Voilà un titre en forme de sujet pour dissertation de philosophie.
Deux notions antinomiques qui paraissent exclusives l’une de l’autre.
Le secret est ce qui est enfoui, inaccessible aux autres. Il appartient à son seul maître qui le partage éventuellement avec le confident qu’il choisit.
La transparence, au contraire, est l’attribut d’une chose ou d’une substance qui ne fait aucun obstacle au regard : une vitre, une eau, une atmosphère sont transparentes.
Par un abus de langage on qualifie de transparent quelqu’un qui n’a plus d’épaisseur ni d’intimité, au point de tout laisser voir de lui-même.
Qu’il s’agisse du secret ou de la transparence, dans les acceptions habituelles, les deux notions présupposent la volonté de la personne, soit de cacher son secret, soit de se faire accessible à tous par désir de ne rien cacher. Je suis secret ou je suis transparent parce que je le veux bien. Et c’est de ma liberté que dépend que je sois l’un ou l’autre.
Notre système juridique consacre ces deux droits : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme proclame le droit pour chacun au respect de sa vie privée et de son intimité. C’est l’article 8. En même temps elle institue par le biais de l’article 10 la liberté que j’ai de me montrer comme je suis, de m’exposer à tous les regards : c’est la liberté d’expression.
Nos sociétés, fondées sur ces valeurs supranationales, ne demeureront des démocraties qu’autant que la personne humaine continuera d’y être érigée comme source première et comme unique finalité du droit. La seule restriction possible que peut imposer l’État au droit de tout citoyen au secret réside dans la nécessité de protéger un tiers, de faire cesser un acte délictueux ou de l’identifier pour le réprimer. Pour autant, l’État ne peut le faire qu’avec des précautions strictement encadrées par la loi. En aucun cas il ne peut ériger la transparence en valeur, comme si tout de moi- même pouvait être, à tout moment, connu de lui.
De la sorte, tout mécanisme législatif qui aurait pour effet de contraindre chacun à faire connaître tout ce qui le concerne, à tout propos et à toute fin, serait le prélude à l’instauration d’une véritable tyrannie. Pour nous, avocats, le premier devoir est de garder le secret qui nous est remis. Le gardien d’un secret ne peut être assimilé à un complice. Il devient le dépositaire sacré de ce qui ne lui appartient pas. De l’autre qui est venu me voir comme avocat, je garde « jusqu’aux secrets que je crains de savoir », pour reprendre le mot de Paul Valéry. Nul ne peut m’en délier, et la pieuvre transparence qui prétend se mêler de tout, tout savoir, tout conserver dans ses fichiers informatiques et sa mémoire inaltérable, est à ce moment-là l’ennemie mortelle de la personne humaine.
Je l’ai dit et je le répète : jamais les avocats n’accepteront de devenir, au nom de je ne sais quelle transparence sécuritaire, les délateurs des personnes qui se confient à eux. Il suffit qu’ils s’abstiennent de donner la main à leurs projets illégaux.
Les avocats dans la République, comme les confesseurs de l’Église catholique, ne doivent pas avoir peur d’être un jour, quand reviendront les heures sombres, les martyrs de leur secret.
Paris, le 25 avril 2008
Christian Charrière-Bournazel
Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris