CCB/VP
02.12.13
REMISE DES INSIGNES DE LA LÉGION D’HONNEUR À MME ANNE VAUCHER
Le 2 décembre 2013
Chère Anne,
Vos proches, vos amis, vos confrères et consœurs ici présents, ont tenu à assister à vos premiers pas de légionnaire d’honneur. Près de deux cents personnes qui ne sont qu’un échantillon de toutes celles et de tous ceux qui vous aiment et vous admirent.
Vous allez donc devoir subir l’éloge que je vais avoir le bonheur de vous décerner avec le Bâtonnier Philippe-Henri Dutheil. Mme Nicole Courrech du Pont vous remettra, ensuite, les insignes de votre nouvelle dignité.
Le sourire calme qui illumine toujours votre visage et cette harmonie de votre tempérament qui vous rend plus vivante que quiconque doivent vous rassurer : rien à voir avec un éloge funèbre.
Vous êtes née un 9 mars sous le signe des poissons et votre élément est l’eau. Vous n’êtes pas de l’espèce des menus fretins de nos petits ruisseaux d’eau douce. Mais vous êtes aussi le contraire d’un squale qu’obséderait le souci de dévorer les autres. Vous faites irrésistiblement penser au dauphin (que vous deviendrez sûrement un jour dans une autre acception) et votre élément naturel, c’est l’océan.
Vous y avez été portée par le fleuve – la Loire – sur les rives duquel vous êtes née à Orléans, la ville de vos grands-parents, de votre mère qui, elle-même, y était née et qui a tenu à y mettre au monde ses quatre enfants : Sylvine votre sœur et vos deux frères Marc et Grégoire.
Votre mère avait toujours voulu enfanter à Orléans, ville de Jeanne d’Arc et de son fleuve. Elle se comparaît – dites-vous – au saumon qui, à l’époque de la pondaison, remonte immanquablement à son lieu de naissance quand vient l’heure pour lui de donner la vie.
Et le souvenir de Jeanne d’Arc n’est pas non plus indifférent à ce choix : Jeanne, la bergère, était partie des rives de la Meuse pour donner un roi à son pays et mobiliser, par sa seule force, des armées d’hommes de guerre afin de rendre la France à la France.
Alors que vous avez vécu à Paris, à Londres, à Francfort, Orléans est la ville de vos racines, celles des week-ends nombreux et réguliers que vous partagiez avec vos frères et sœur, baignés par l’amour de votre mère et de votre père que vous qualifiez d’incommensurable et de bienveillant.
Votre mère était infirmière. Elle vous a quittée le 6 avril 2013. Vous avez reçu d’elle le sens de la générosité qui l’animait en toute circonstance ainsi que le respect des autres. Elle est morte dans la plus grande réserve et discrétion malgré ses souffrances, fidèle à ce qu’elle avait toujours été.
Votre père était ingénieur conseil, d’une intelligence supérieure, d’une curiosité insatiable et promoteur du développement de l’intelligence artificielle en France.
Ils ont légué à leurs enfants leur passion de l’ouverture aux autres, le goût des horizons lointains, le sens du réel et l’amour de l’art.
Qu’on en juge ! Sylvine, votre sœur aînée, vit en Grèce sur l’île de Lesbos avec son mari Yorgos. Leur fille aînée, Maïa, est étudiante en art à Bruxelles tandis que son frère Noé, qui passe actuellement son bac en Grèce, s’oriente vers des études scientifiques.
Marc, le second de la fratrie, réside à New-York avec sa femme Catherine. Elle est docteur en droit. Lui, qui fut avocat, est aujourd’hui Ombudsman à l’ONU. Il se consacre à résoudre les différends par des actes de médiation constructifs afin de trouver des solutions positives. Victoire, qui a douze ans, leur fille aînée, est une danseuse classique éminente tandis que Léonor, qui n’a que six ans, a déjà un caractère affirmé tout en étant une petite fille enjouée.
Naturellement, vos quatre neveux et nièces sont des élèves exemplaires.
Quant à Grégoire, il a créé son entreprise dont l’objet est de livrer des œuvres d’art.
Ainsi, la postérité d’Odile Germain et de Jean Vaucher, vos père et mère, a-t-elle été fécondée par ce mélange harmonieux d’ouverture au monde, de souci des autres, du désir de créer et de la passion pour la beauté.
Vous-même, chère Anne, vous tenez de vos parents cet humanisme fait de considération pour les autres, de soif de connaissance, de créativité et de modestie.
Si l’affection familiale vous ramenait vers le fleuve, vous étiez bel et bien faite pour l’océan du voyage : Londres d’abord, quelques mois après votre naissance où vous dormiez dans une caisse de bois qui avait servi à déménager les livres de vos parents.
Vous attribuez, avec une humilité charmante, à cette écorce inspirée le développement de votre intelligence et de votre culture. Mais c’est vous qui avez créé votre propre sève.
Vous avez été scolarisée à Saint-Michel sur Orge, au lycée français de Francfort, puis au lycée français de Londres quand vous aviez quinze ans. Auparavant, vous aviez déjà porté l’étendard en affrontant les suffrages de vos amis de l’école primaire du Parc de Lormoy : ils vous avaient élue à l’unanimité déléguée de classe.
C’est au lycée Jean-Baptiste Corot de Savigny-sur-Orge que vous avez obtenu votre bac, avec mention, en section économique. Puis ce fut l’université de Paris I Panthéon Sorbonne, deux années à Tolbiac et trois années, place du Panthéon.
Excellente élève et camarade, vous rendez hommage à vos professeurs, M. Virassamy, chargé de conférence, et le Pr Lagarde. C’est à M. Lagarde que vous devez votre intérêt pour le droit international privé parce qu’il permet d’harmoniser les relations entre les personnes par-delà les frontières, les aide à vivre ensemble comme à résoudre leurs différends en dépit de législations différentes ou grâce à elles.
Et cette passion de l’humain universel vous conduit à mettre au-dessus de toute norme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Vous avez toujours été animée par l’amour du droit. Depuis vos onze ans, vous avez toujours écrit, sur la feuille d’information que remplissent les élèves lors de la rentrée des classes, que les professions qui vous intéresseraient plus tard étaient celles d’avocate ou de sculptrice.
Sculptrice parce que vous avez, très tôt, été éveillée à l’art par vos parents et que cette passion ne vous a jamais quittée.
Mais quel rapport avec la profession d’avocat ?
Le sculpteur fige un rêve pour l’éternité dans le bloc résistant, pour paraphraser Théophile Gautier. L’avocat, lui, agit dans l’instant, sculpte le vent des paroles ou écrit sur le sable à marée basse. L’un et l’autre créent à partir de l’humain une forme belle. L’avocat façonne une vie nouvelle ou donne consistance au rêve de l’être vivant. L’un et l’autre s’effacent ensuite, le sculpteur derrière son œuvre durable, l’avocat dans l’ombre de la personne reconstruite. C’est ainsi que je vous ai vue œuvrer au Conseil national des barreaux. J’en dirai un mot tout à l’heure mais le Bâtonnier Philippe-Henri Dutheil va nous dire ce qu’il sait d’Anne Vaucher, l’avocate.
En 2012, notre consoeur Nicole Courrech du Pont vous a présentée, en disant tout le bien qu’elle pensait de vous, au président de l’association des avocats conseils d’entreprise (ACE), notre ami William Feugère. Vous avez apprécié (et vous n’êtes pas la première) le charme de cet homme que vous décrivez « séduisant, enthousiaste, dynamique » et qui vous accorda une place éligible sur la liste province de l’ACE pour devenir membre du Conseil national des barreaux.
C’est à partir de votre élection que je vous ai davantage connue et admirée.
Vous avez travaillé, avec une intelligence et une compétence auxquelles je tiens à rendre hommage, sur le difficile sujet de l’interprofessionnalité fonctionnelle.
Nous avons partagé le même souci de renforcer notre efficacité au service de nos clients, particuliers ou entreprises, en faisant cesser la guerre du chiffre et du droit.
On ne parlait alors que de l’interprofessionnalité capitalistique qui renvoie à l’intérêt exclusif des professionnels eux-mêmes.
Nous nous sommes tout de suite accordés sur l’idée de créer enfin une interprofessionnalité fonctionnelle qui permette à ceux que nous avons mission de servir de pouvoir, dans le même espace, rencontrer le professionnel du chiffre et celui du droit, tout en ayant le plus grand soin de ne pas laisser dominer l’un sur l’autre, d’éviter des conflits d’intérêts et de promouvoir la déontologie la plus exigeante à tout moment, tout en instituant un mode de règlement des litiges pouvant survenir entre partenaires.
Vous avez avec calme, sur ce sujet comme sur tant d’autres, déployé une intelligence, un talent et une modestie qui ont fait mon admiration. Car le Conseil national des barreaux, institution fondamentale, est le lieu où s’expriment des sensibilités aussi différentes que dans le parlement libanais. Le mot n’est pas de moi mais de l’ancien Bâtonnier de Bordeaux, Michel Dufranc, qui a vu juste.
Notre profession dont la fonction est d’inventer les meilleures solutions juridiques pour aider ceux qui font appel à nous a les plus grandes difficultés à envisager des réformes utiles et courageuses.
Sans vous départir de votre sourire, vous avez toujours travaillé avec détermination à expliquer et à convaincre. Et ce qui pour moi prime sur le reste, c’est votre sens de l’élégance : lorsque l’assemblée rechignait à adopter une résolution, pourtant intelligente et féconde, vous n’avez jamais manifesté de susceptibilité personnelle ni le moindre mouvement d’humeur. Vous faites partie de ces êtres d’exception qui, visionnaires avant l’heure, ne se froissent d’aucune manière d’être entourés de regards moins éclairés que les leurs.
Ainsi vous êtes-vous dépensée sans compter au sein de la commission du statut professionnel de l’avocat que vous présidez ou dans le cadre de la commission droit et entreprise dont vous êtes la vice-présidente pour travailler sur des sujets essentiels aux côtés de William Feugère son président.
Tantôt m’accompagnant et tantôt sans moi, vous avez rencontré les rapporteurs de l’Assemblée Nationale et du Sénat, les membres du cabinet de Bernard Cazeneuve en présence du directeur de Tracfin. Avec votre concours, nous avons réussi à les convaincre de renoncer à imposer la déclaration de soupçon aux CARPA à l’heure où les pouvoirs publics nationaux et européens tentent de faire des avocats des miliciens fiscaux.
Vous vous êtes attachée à travailler à la simplification de la vie des entreprises grâce à des propositions concrètes transmises à Bercy et au député Thierry Mandon : elles se retrouvent dans le projet de loi organique en cours d’examen au Parlement.
Vous vous êtes battue contre le projet de loi ALUR surgi soudainement et prétendant donner aux notaires l’exclusivité des cessions de parts de SCI.
Vous avez activement préparé le salon des entrepreneurs, les États Généraux du droit de l’entreprise, les plaquettes de présentation de l’activité des avocats en matière fiscale ou en droit de l’entreprise dont j’avais suggéré la rédaction à notre chargée de la communication.
Ce ne sont que des exemples de votre inlassable dévouement.
Loin de tout esprit corporatiste, vous avez comme premier souci de défendre les libertés individuelles et collectives.
Tout cela coïncide parfaitement avec les engagements humanistes qui sont les vôtres : vous présidez toujours la commission des droits de l’homme du barreau des Hauts-de-Seine. Loin d’être pour vous un titre de plus, vous assumez ce service avec détermination et notre consoeur franco-camerounaise Lydienne Yen Eyoum, dans l’immonde prison où elle est arbitrairement détenue à Yaoundé, sait ce qu’elle doit à Béatrice Voss et à vous-même pour ne pas désespérer.
Chère Anne, permettez-moi, pour conclure, de vous remercier d’être comme vous êtes et de m’avoir permis de le dire à toutes celles et à tous ceux qui en étaient déjà convaincus et dont l’admiration et l’affection vous sont acquises pour toujours.
Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel