Remise des insignes à Madame Ariane Weben, Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur
Le samedi 22 juin 2013
Madame la bâtonnière, Chère Ariane,
L’honneur que vous m’avez fait m’a fourni l’occasion de vous mieux connaître.
A soit seul, c’est un privilège.
La République a bien raison de vous distinguer pour ce qu’elle sait de vous au service de vos contemporains : d’abord comme avocate à Caen depuis le 10 décembre 1982.
Comme chargée de travaux dirigés de droit civil à la faculté de droit de votre ville.
Pour votre contribution à la création et à la présidence d’un centre de médiation « choisir la médiation » pendant cinq ans.
Pour vos activités humanistes généreuses au sein de l’association « Solidarité Tchernobyl » qui a permis l’accueil d’enfants biélorusses irradiés un mois pendant trois ans et comme trésorière de l’Institut International des droits de l’homme et de la paix.
Ainsi, la lauréate du stage que vous fûtes en 1985 devait nécessairement comme une prédestination, siéger trois fois de suite au conseil de l’Ordre en y occupant la fonction de déléguée générale des bâtonniers Bruneau de la Salle et Maunoury, avant d’être portée à cette responsabilité suprême en 2011 et 2012.
Voilà sommairement résumé ce qui justifie amplement la reconnaissance qui vous était due.
Mais nos services, nos métiers, les charges qui nous sont confiées par les autres ne seraient que des oriflammes battues par les vents si la hampe qui les porte ne s’enracinait dans le solide terreau d’une âme vraie.
Permettez-moi de parler de la vôtre à partir de ce que vous avez bien voulu m’en livrer.
Vous vous définissez d’abord comme animée par une foi profonde. Elle a imprégné votre éducation, votre culture et votre cœur. Et vous lui dédiez, comme protestante, ce que vous avez de rigueur et de réserve mais aussi le sens du dévouement à vos contemporains et aux causes que vous estimez justes.
Votre plus grand souci est de ne pas les trahir.
Ce qui m’a frappé le plus, et qui fait mon admiration, réside dans votre sens de la solidarité envers vos sœurs et frères humains, solidarité qui vous est naturelle parce que nourrie d’un attachement quasi vital à ceux de votre famille de qui vous tenez la vie et qu’animait, comme suprême raison de vivre, l’amour des autres. Il est ainsi des grâces qui se transmettent comme un ADN et c’est le cas dans votre lignage.
Le destin de vos grands-parents paternels est de ce point de vue bouleversant : votre grand-père, enfant abandonné, fut recueilli par une femme protestante de qui il reçut, sans avoir à l’apprendre, le sens des autres.
De la femme qu’il épousa, protestante comme lui, il eut six enfants. Mort prématurément à 49 ans, c’est à elle que revint la charge de les élever alors que l’aîné avait à peine 20 ans. Et comment les élever mieux qu’en les habituant au service des autres comme elle le faisait à la paroisse ou en se consacrant à l’accueil des étrangers ?
Votre arrière-grand-père maternel était le célèbre Maurice Leenhardt, missionnaire, ethnologue et humaniste, spécialiste de la Nouvelle-Calédonie où il fut missionnaire protestant pendant 18 ans. Janes Clifford, son biographe américain, lui a consacré un livre intitulé « Maurice Leenhardt, personne et mythe en Nouvelle-Calédonie ». Lui aussi était d’abord préoccupé des autres au point d’avoir une connaissance exceptionnelle du peuple kanak.
Bien que vous soyez très discrète, j’ai plaisir à rendre hommage à ce grand homme, auteur de plusieurs livres et d’articles dans la « Revue du Pacifique » et dans la « Revue des deux mondes », qui fut directeur du département d’Outre-mer du musée de l’homme et membre de l’Académie des sciences d’Outre-mer avant de s’éteindre en 1954.
Vous étiez bien jeune alors, mais l’intensité d’une brève rencontre suffit à marquer pour la vie un enfant attentif.
Votre grand-mère maternelle, l’une de ses quatre enfants, épousa un agrégé de géographie, votre grand-père maternel, écrivain fécond lui aussi, cependant qu’il dirigeait le lycée Jean-Jacques Rousseau à Montmorency où il aura introduit la mixité. Le couple de vos grands-parents maternels eut sept enfants.
Votre ascendance est donc celle d’une famille profondément attachée à l’humanisme protestant fait d’intérêt et d’empathie pour les autres. En même temps intellectuelle et militante jusqu’à s’engager dans le légitime combat féministe en ce qui concerne votre mère et vos tantes maternelles.
Votre mère Violaine Dardel-Weben était également une femme d’esprit, professeure d’histoire-géographie et comme votre père Jean-Pierre Weben, aujourd’hui ingénieur chimiste retraité, elle était éprise de théologie. L’un et l’autre furent pasteurs. Violaine Dardel-Weben eut été heureuse d’être avec nous ce soir, mais, comme on passe le relais à l’enfant dont on est sûr, elle s’est éteinte à la veille de votre prise de fonction comme bâtonnière.
Nous devons ce que nous sommes à ceux qui nous ont le plus aimé et de qui nous tenons l’héritage sacré d’une spiritualité et d’un humanisme, en dépit de séparations brutales, comme la mort de votre frère Charles décédé à 28 ans et aussi peut-être grâce à elle.
La femme que vous êtes ne manque pas de rendre hommage à celui que vous appelez « votre tendre et très cher époux Didier ».
Vous êtes revenue au Grand Hôtel de Cabourg comme au jour de votre mariage. Didier dirige un centre de thalassothérapie à Luc-sur-mer et vous dites qu’il aime peindre, qu’il aime la vie, le rire, les belles et bonnes choses. Ensemble, vous chérissez Alexandre, Quentin, Solène, Maelys qui vous donnent autant de joie que vous leur avez donné d’exemples.
C’est cette histoire personnelle qui explique à quel point vous êtes avocate, c’est-à-dire de quelles valeurs vous assurez le service et de quel idéal se trouvent empreint vos actes et vos paroles.
Trois maîtres-mots illustrent votre parcours de bâtonnière : la confraternité, l’éthique et l’engagement du barreau.
Dans votre discours au jeune barreau en 2012, vous avez affirmé : « la confraternité ne se résume pas à la courtoisie ni à l’élégance d’une relation, la confraternité ne se réduit pas au respect du contradictoire, la confraternité ne se réduit pas non plus à la considération de son confrère ni au simple respect et forme des règles et principes instaurés par notre profession ».
Qu’est-elle alors de plus ?
Selon vous, la confraternité s’apparente à un sentiment presque familial : « le partage des valeurs communes auxquelles nous avons tous adhéré en prêtant serment et aussi une attention particulière à nos pairs ».
Cette magnifique définition est le plus bel hommage que vous pouviez rendre à ceux de votre famille que j’évoquais tout à l’heure qui vous ont donné ce sens de l’altruisme sans lequel il n’est pas de vie en commun qui ne tourne à l’affrontement.
Concevoir la déontologie comme un lien fondé sur des valeurs communes plutôt que comme un corpus froid de règles, favoriser comme vous l’avez fait des rencontres au petit-déjeuner, le brassage des générations et l’élaboration d’une charte de la déontologie, furent autant de mises en œuvre des convictions qui vous habitent.
Car vous ne vous limitez pas à dire, vous faites. Une pensée élevée qui ne s’incarne pas est aussitôt balayée par le vent du temps.
Vous pouvez faire vôtres les vers de Charles Péguy :
« Que le spirituel couche toujours dans le lit de camp du
Temporel !
Que le spirituel ne manque point du charnel !
Que Dieu ne manque point de sa création ! »
C’est aussi ce qui a justifié l’engagement du barreau sous votre bâtonnat à l’occasion de la mise en place de la réforme de la garde à vue. Vous avez préparé une permanence opérationnelle efficace dès le 15 avril.
Vous avez mobilisé des confrères, édité des communiqués de presse, multiplié des interviews. Vous êtes intervenue auprès de la Procureure en raison des propos qu’elle avait tenus lors de l’audience solennelle de rentrée de janvier 2011 sur la place des avocats en garde à vue.
Vous avez mobilisé vos confrères et organisé des mouvements de protestations auprès du premier président en raison des délais d’audience sur les procédures devant le Juge aux affaires familiales et pour le traitement des dossiers d’aide juridictionnelle.
Je ne saurais énumérer tout ce que vous avez fait, depuis votre déplacement en Palestine pour y participer au jury du concours de plaidoirie à l’université d’Al Quds, à votre combat militant contre le sort des détenus et la violence en prison, en passant par la commémoration du 30ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort.
Ce qui caractérise votre engagement, c’est celui du service de la personne humaine pour le respect de ses droits, de ses libertés, de sa dignité.
Telles sont les raisons pour lesquelles Madame la bâtonnière et chère Ariane, j’ai eu bonheur et joie à parler de vous, et telles sont les justes raisons pour lesquelles :
Au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la légion d’honneur.
Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel
Président du Conseil national des barreaux
Le lundi 17 juin 2013