Un de nos anciens, qui fut Premier Secrétaire de la Conférence, distinguait trois sortes d’avocats : les avocats à la Cour ; les avocats de Cour et les avocats sur cour !
Que dirait-il aujourd’hui devant ce déballage incessant de propos d’avocats sur des affaires non encore jugées, parlant au nom de leur client dont ils violent les confidences ou mettant en cause de manière agressive leurs adversaires qui ne sont pas là pour leur répondre ?
Faut-il rappeler que le recours à l’opinion publique n’est justifié que lorsque les pouvoirs, de manière illégale ou obscure, tentent de faire échec à la justice, malmènent le droit ou exercent des pressions qui n’ont rien à voir avec l’impartialité et le souci du droit ?
Dans les autres cas, je crains de devoir mettre sur le compte d’un narcissisme intéressé les démonstrations publiques de nombre de mes consœurs ou confrères qui n’hésitent pas à parler de leurs clients et, pire encore, de leurs relations avec eux qui sont pourtant couvertes par le secret professionnel le plus absolu dont rien ni personne ne peut nous délier.
Il en va de même de la prolixité des procureurs de la République qui désormais, quelle que soit la nature de l’affaire, se prêtent au jeu des conférences de presse, la plupart du temps en contravention avec l’article 11 du code de procédure pénale qui dispose en son troisième alinéa, tel qu’issu de la loi du 15 juin 2000 :
« Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ».
La loi ne prévoit donc que deux circonstances dans lesquelles un procureur peut être amené à s’exprimer publiquement : éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou mettre fin à un trouble à l’ordre public.
Toutes les autres situations dans lesquelles il s’exprime sont l’occasion, comme pour les avocats, d’une violation du secret de l’instruction.
Cette agitation désordonnée à laquelle nous assistons quotidiennement viole la loi et donne souvent le sentiment que ce qui compte le plus de la part de ceux qui s’expriment, c’est de se montrer pour le plaisir d’être vus.
Je les invite à méditer les vers de Leconte de Lisle dans son sonnet Les Montreurs :
« Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal,
Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,
Je ne danserai pas sur ton tréteau banal
Avec tes histrions et tes prostituées ».
Nous ne sommes jamais aussi efficaces, grands, admirables et enviés que dans la dignité qui émane du silence.
Gardons nos mots, nos phrases assassines et nos apophtegmes pour la barre.
Paris, le 25 septembre 2018
Christian Charrière-Bournazel
Ancien Bâtonnier du Barreau de Paris