CCB/VP
29/05/2000
NON ! ON NE PEUT PAS TOUT DIRE IMPUNÉMENT
Les propos de Renaud Camus ont suscité une série de protestations au point que son éditeur a spontanément choisi de retirer son livre. L’affaire aurait pu être tenue pour réglée si aujourd’hui des pétitionnaires venant au secours de Renaud Camus ne cherchaient à déplacer le débat en faisant naître une controverse sur la liberté d’écrire.
Il est temps de conclure et de clore cette polémique. Nous souhaitons y concourir par quelques réflexions sur les propos eux-mêmes et sur la liberté.
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Renaud Camus proteste qu’il n’est pas antisémite. Mais il est agacé de voir trop de juifs à France Culture et d’y entendre trop d’émissions sur la culture juive ou sur la shoah. Il n’est pas du tout xénophobe, mais il pense que les français de la première ou de la seconde génération ne sont pas capables de manifester envers les lettres françaises une sensibilité assez fine pour en bien discourir.
Renaud Camus est bel et bien antisémite et xénophobe. Faut-il lui rappeler qu’avant lui, il s’est trouvé une faction française légiférant pour limiter le nombre des juifs dans la société et y instituer, dans tous les domaines d’activités, des « numerus clausus » ? Ceux-là aussi auraient pu protester après coup que la shoah leur faisait horreur et qu’ils n’entendaient se mêler que de ratios ou de pourcentages.
Quant à l’extraordinaire vitalité de la littérature française, que l’on mesure ce qu’elle doit au cours du seul XXème siècle à des étrangers dont il suffit de citer les noms : Julien Green, Samuel Becket, Eugène Ionesco, Léopold Senghor, Hector Biancotti, Tahar Benjelloun, Andréï Makhine et Dae Sijue, l’auteur du tout récent Balzac et la petite tailleuse chinoise. Saluons ces créateurs magnifiques qui ont régénéré notre langue après nous avoir fait l’honneur de la choisir comme patrie !
Les pensées viles et médiocrement transcrites de Renaud Camus vont assurément se dissoudre dans le temps comme ces émanations nocives et volatiles dont l’expansion subite effraie, mais que la première brise disperse.
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Reste l’artificielle controverse sur la prétendue interdiction d’un livre.
Les intentions sont-elles réellement pures de tous ceux qui ont voulu déplacer le débat sur le terrain de la liberté ? La liberté d’expression, toute sacrée qu’elle est, ne peut se concevoir comme absolue. Il n’existe pas de droit absolu. Les déclarations des droits de l’homme – l’universelle et l’européenne – énoncent que chacun peut être appelé à répondre des abus de cette liberté.
Or, Renaud Camus n’a pas été assigné en justice. Son livre n’a pas été interdit. Ceux qui s’indignent du retrait par Fayard de l’ouvrage en question omettent de dire qu’il s’est opéré sans procédure judiciaire, sans mesure de police, sans coercition d’aucune sorte. Une interdiction que la justice profère ou exécute ne saurait se confondre avec l’interdit moral dont chaque personne apprécie en conscience la force, décidant ou non de s’y soumettre.
En l’espèce, chez l’éditeur quelqu’un a seul décidé ce qui lui a paru bon. Hommage lui soit rendu. Renaud Camus trouvera sans mal un autre éditeur pour imprimer son ouvrage ou un site internet pour l’accueillir, de même qu’il doit pouvoir publier dans la presse ses moyens de défense.
Une conception intégriste de la liberté voudrait que la chose éditée jouisse d’une immunité absolue, comme si le droit fondamental de toute personne à s’exprimer sacralisait n’importe quels mots. C’est absurde : la loi réprime l’outrage, le faux témoignage, le chantage, le harcèlement, tous délits qui ont pour supports actifs les mots. La revendication bruyante par certains intellectuels de cette immunité de la parole rappelle les anciens combats pour le maintien des privilèges.
Si demain Renaud Camus, désormais averti, récidive, il lui sera demandé compte en justice de son endurcissement dans la bêtise et dans le racisme. C’est le moins que puissent faire les démocrates pour assurer les victimes de toutes les discriminations et de tous les rejets qu’elles ne sont pas seulement objet d’échanges savants entre entomologistes de l’esprit, mais qu’elles méritent plus que quiconque d’être résolument défendues.
Paris, le 29 mai 2000
Patrick Gaubert
Président de la LICRA
Président de la commission juridique de la LICRA
Michel Zaoui
Avocat au Barreau de Paris
Christian Charrière-Bournazel
Avocat au Barreau de Paris
Vice-président de la LICRA