Le 13 février 2015, Robert Badinter a accepté d’évoquer à nouveau, dans le cadre du Palais Littéraire et Musical, le comportement de notre Conseil de l’Ordre à l’égard des avocats juifs de 1940 à 1944.
Des dizaines avaient été radiés parce que juifs, sans état d’âme.
Il a souhaité que cette évocation ait lieu le 13 février, jour anniversaire des arrêts de la Cour d’appel de Paris validant les décisions du Conseil de l’Ordre dans la salle de la Première chambre de la Cour où furent plus tard jugés Pierre Laval et le maréchal Pétain.
Ce rappel d’une période indigne de notre barreau présente à mes yeux une nécessité impérieuse.
C’est aussi ce qui m’avait déterminé comme bâtonnier à faire sculpter le visage de Pierre Masse dans un médaillon en bronze apposé dans la galerie de la Première chambre de la Cour.
Je n’aime pas l’expression « devoir de mémoire ».
En revanche, l’histoire est une liberté publique dont personne ne doit se trouver privé. Se souvenir n’est pas de l’ordre de l’abaissement. C’est au contraire l’honneur des êtres libres : les peuples dont on réécrit l’histoire sont des peuples tyrannisés. Ceux qui l’oublient volontairement se déshonorent.
Né en 1946, je ne me sens d’aucune manière coupable de ce que les aînés de mes compatriotes ou des membres de mon Ordre ont pu tolérer ou commettre. Au demeurant, le barreau de Paris a compté, en même temps que des avocats qui le déshonoraient jusque dans les fonctions officielles qu’ils remplissaient, des victimes et des résistants.
Comme bâtonnier de l’Ordre, parce que j’avais reçu comme dans une succession un actif et un passif, j’ai estimé indispensable de ne pas oublier ce qui fut de l’ordre de l’indignité de quelques-uns comme de l’héroïsme et du martyre des autres.
Le souvenir de ce qui fut misérable et de ce qui fut grand fonde, non pas le remords de ceux qui ne sont pas coupables, mais l’espérance des vivants et de leur descendance.
Voilà pourquoi je remercie de tout cœur Robert Badinter d’avoir contribué, à nouveau, sans haine et sans crainte, à raviver la flamme du souvenir.
Christian Charrière-Bournazel