Paris, le 13 juillet 2022
Cher Ami,
Ton papier sur la Justice, bien écrit comme toujours, mérite une réponse de ma part car il témoigne d’une sorte d’amertume qui ne te ressemble pas.
Dans l’ordre des valeurs, se situent le Bien, le Beau, le Vrai et le Juste. Notre passion pour le juste l’emporte sur notre attachement au bien, au beau et au vrai. La preuve résulte dans le fait qu’il n’y a pas de Ministère du bien mais un Ministère des affaires sociales, pas de Ministère du beau mais un Ministère des affaires culturelles et pas de Ministère du vrai, seulement dans les pires moments un Secrétariat d’État à l’information.
Mais il y a un Ministère de la Justice. De la naît notre inévitable déception. Nos juges appliquent la loi qui est, à un moment donné, l’expression de la conscience collective. Or la conscience collective évolue constamment et plus vite que la loi ne change. Il en résulte un décalage permanent entre notre sentiment du juste et l’application du droit par le Juge.
C’est ce qui rend la parole de l’avocat essentielle.
En témoignent le procès de Bobigny sur l’avortement en 1972 où Gisèle Halimi a obtenu contre la loi une peine symbolique préfigurant la future légalisation de l’avortement, ainsi que le procès de Patrick Henry que Robert Badinter fit échapper à la peine de mort avant d’obtenir que la loi ne la supprime cinq ans plus tard.
Bien sûr nous sommes confrontés perpétuellement au sentiment de l’injustice que nous ne parvenons pas toujours à vaincre.
Permets-moi de te renvoyer à la parole du Curé de Torcy au jeune Curé d’Ambricourt dans Le Journal d’un Curé de Campagne de Georges Bernanos :
« Méfie-toi de l’injustice ! Surtout ne t’imagine pas que tu la feras reculer en la fixant droit dans les yeux comme un dompteur : tu n’échapperas pas à sa fascination et à son vertige. Surtout ne la regarde juste que ce qu’il faut et ne la regarde jamais sans prier ! ».
Je te souhaite de toujours privilégier l’espérance.
Je te redis mon indéfectible amitié.
Christian Charrière-Bournazel