Molière et Lulli avaient bien ri en mettant en scène le couronnement par le Grand Turc du pauvre Monsieur Jourdain. La Cour appela cette farce une « turquerie » et s’en amusa.
Il n’y a pas de quoi rire des turqueries de M. Erdogan et ce depuis longtemps.
Les persécutions multiples dont font l’objet les journalistes et les avocats auraient dû justifier de longue date que soit mis un terme à la contorsion tragique qui laisse siéger la Turquie au Conseil de l’Europe et un magistrat turc à la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg.
Personne n’ose broncher au nom d’une maxime non avouée : « l’économique d’abord ! ». Les Turcs sont des partenaires commerciaux importants et, de surcroît, se chargent des émigrés venus d’Orient. Mais à force de servir l’argent et d’éviter l’inconfort du partage, les puissances occidentales ont choisi de se déshonorer en tolérant l’intolérable.
Sous prétexte de flétrir la tentative d’un coup d’État militaire, elles ferment les yeux sur les arrestations par milliers d’officiers, de soldats, de juges, de procureurs, d’avocats, de journalistes et même d’imams. Aucune voix ne s’est élevée pour clamer que la justice implique de cultiver l’humanité, l’humilité et la retenue afin d’accorder le plus grand soin au cas de chacun des suspects, examiné l’un après l’autre. Une justice de masse est sœur du terrorisme du même nom.
Mais plus grave encore, la Turquie est au bord de rétablir la peine de mort et donc de se mettre en contravention définitive avec les termes du protocole n° 6 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales concernant l’abolition de la peine de mort, adopté le 28 avril 1983.
Non seulement la Turquie n’a aucun titre à postuler pour devenir membre de l’Europe unie, mais elle doit être suspendue de toutes les institutions qui regroupent quarante-sept États d’Europe autour de la Déclaration européenne de sauvegarde des droits de l’homme du 4 novembre 1950 et des deux institutions qui les réunissent : le Conseil de l’Europe et la Cour de justice de Strasbourg.
Cette suspension devra précéder la procédure d’une éventuelle expulsion.
Les puissances occidentales ne peuvent à la fois prétendre incarner les libertés fondamentales et la démocratie garante de ces libertés dans le respect des croyances ou des philosophies de chacun et, en même temps, tolérer la barbarie d’État.
L’heure est passée des compromis historiques quand ce qui fonde une société de liberté, d’égalité et de fraternité est remis en cause par ceux que l’on traite en alliés.
On ne transige pas avec l’absolu.
Christian Charrière-Bournazel
Ancien Bâtonnier du Barreau de Paris
Ancien Président du Conseil National des Barreaux