14.12.07
LE DIVORCE SANS JUGE, C’EST LA LOI DU PLUS FORT
Le gouvernement est atteint de frénésie. Sous le prétexte que la France a besoin de réformes, il multiplie les effets d’annonces. Au lieu d’interroger les praticiens et les spécialistes, il décrète, il impose et, dans le domaine de la justice, il ne fait que semer le désordre là où il faudrait avec intelligence, non pas bouleverser, mais faire mieux. La réforme proposée du divorce par consentement mutuel est une absurdité.
Elle consiste à donner aux notaires le pouvoir de prononcer les divorces en retirant ce pouvoir aux juges.
Le divorce par consentement mutuel n’est pas un contrat ordinaire. Quand deux êtres décident de se marier, ils n’engagent qu’eux-mêmes. Un homme et une femme expriment leur désir de construire ensemble une vie commune et une famille. Leur témoin est l’officier d’état civil qui reçoit leur consentement.
Plus tard, les mêmes décident de divorcer. L’acte n’est pas anodin. Un rapport de force s’est créé entre l’époux et l’épouse. La situation patrimoniale qui leur est commune ne dépend plus de la liberté de chacun comme au moment où ils s’étaient engagés. Si des enfants sont nés, la séparation les concerne au premier chef. On peut être d’accord pour divorcer mais pour autant, cet accord ne fait pas un contrat. Un contrat suppose que deux volontés claires et conscientes, détachées de toute pression, se rencontrent pour un projet d’avenir.
Dans beaucoup de cas, le consentement au divorce peut avoir été imposé par le plus fort des deux au plus faible. Il arrive que les conditions de la séparation, présentées comme un divorce d’accord, soient en réalité déséquilibrées. L’intervention du juge est indispensable pour vérifier la qualité des consentements donnés par l’un et par l’autre aux conséquences du divorce, aussi bien pour ce qui concerne le sort des enfants, que ce qui touche aux conséquences pécuniaires et notamment la prestation compensatoire.
Le juge est impartial et indépendant. Il n’est choisi par aucun des deux. Il contrôle en toute objectivité les conséquences du divorce telles qu’arrêtées apparemment d’un commun accord entre les époux. Si ces conséquences lui paraissent déséquilibrées ou injustes, il le fait savoir et exige une modification des accords.
Si demain le notaire est substitué au juge, la porte est ouverte à l’arbitraire : on imagine facilement que le plus fort économiquement des deux époux (qui paiera de ses deniers le professionnel alors que le juge est payé par l’Etat) soit porté à rédiger une convention qui ne fasse pas la part belle à l’époux le plus faible. Le notaire, déjà, reçoit les actes de celui qui le rémunère en veillant d’abord à ses intérêts. Combien de testaments ont été reçus par des notaires sur des lits d’hôpital ou de maison de retraite en présence de prétendus témoins (parfois salariés de l’étude) qui donneront lieu ensuite à des procès interminables de la part d’héritiers estimant que la volonté de l’auteur du testament a été surprise.
Demain, l’époux économiquement le plus fort paiera le praticien notaire pour lui faire rédiger un divorce par consentement mutuel dans son intérêt à lui, tandis que la femme, démunie et pauvre, n’aura aucun moyen de faire valoir ses propres droits.
Il en irait de même si, à la place du notaire, le divorce était enregistré par un avocat unique.
Or, dans l’état actuel du droit, lorsqu’un divorce est élaboré entre deux époux pour aboutir à une procédure de consentement mutuel, chacun est assisté par un avocat et chacun a pu faire valoir ses prétentions et ses espérances dans ce dialogue où chacun est assisté par un professionnel.
Pour autant, le juge n’est pas dépossédé – heureusement ! – de son pouvoir de contrôle. Il est indispensable parce qu’il vérifie la qualité du consentement donné par chacun des époux au projet de divorce et notamment à ses conséquences pécuniaires. S’y ajoute le contrôle que ce juge exerce sur le sort réservé aux enfants qui ont des droits personnels propres qu’ils peuvent faire valoir par des avocats qu’ils choisissent en application de la Convention de New-York sur les droits de l’enfance.
Non seulement la réforme annoncée a pour conséquence de banaliser le divorce comme une convention anodine, mais surtout, de supprimer la protection du plus faible dont personne ne contrôlera la réalité du consentement.
S’il s’agit de maintenir un divorce dans lequel chacun sera assisté par son avocat pour comparaître devant un notaire, on voit mal pourquoi ce ne serait pas toujours devant les juges que les choses se passeraient.
S’il s’agit d’écarter l’avocat après avoir écarté le juge, on se trouve en face d’une terrifiante dérive du droit qui livre le destin du moins armé aux volontés du plus fort, secondé par le praticien libéral d’autant plus soumis à lui que c’est lui qui le paie.
Quels arguments peuvent militer pour une réforme aussi stupide ?
L’économie de temps ? Cela n’a aucun sens. Le divorce par consentement mutuel peut être aujourd’hui rapidement administré. De toute manière, le temps passé à construire sa procédure est aussi celui qui est nécessaire à la réflexion conduisant au renoncement ou au sacrifice. Il faut réussir son divorce quand on a raté son mariage.
S’agit-il d’économiser de l’argent ? Le notaire sera payé directement par les parties, alors que le juge ne l’est pas. Mais on voit mal au nom de quoi le notaire écarterait la présence de l’avocat si l’une des parties exige d’être assistée. Ce serait contraire aux principes constitutionnels.
Il n’y a donc aucune raison de substituer le notaire au juge, ni en terme d’économie, ni en terme de gain de temps.
C’est une fausse et une mauvaise réforme. Elle ne semble dictée que par le souci d’éloigner les avocats alors que, de toute manière, l’homme qui divorce ou la femme qui divorce ne pourront jamais être conduits à renoncer à l’assistance de l’avocat.
Une fois de plus, au lieu d’augmenter les moyens de la justice en personnel, le gouvernement cherche des voies parallèles sans se soucier des conflits d’intérêts. Les avocats ne peuvent pas accepter une réforme qui fait fi des droits des plus faibles comme de ceux des enfants. Ce n’est pas le notaire choisi par l’un des époux et payé par le seul mari fortuné qui est en mesure, demain, de suppléer le juge. Nous avons besoin du juge. N’y touchez pas !
Christian Charrière-Bournazel
Bâtonnier désigné de l’Ordre des
Avocats à la Cour d’appel de Paris