La place du plaignant dans la procédure disciplinaire

Le Règlement Intérieur du Barreau de Paris, dans ses articles 72 et suivants consacrés à la juridiction disciplinaire, qui reprend, en les détaillant, et le cas échéant, les complétant, les dispositions édictées par la loi et le décret, est pratiquement muet sur les droits éventuels du plaignant.

Tout au plus, est-il disposé à l’article 72.2 que l’enquête, à laquelle le Bâtonnier a la faculté de faire procéder sur le comportement d’un avocat de son Barreau, peut l’être, non seulement de sa propre initiative ou à la demande du Procureur Général, mais, également, sur la plainte de toute personne intéressée.

En revanche, et contrairement au Procureur Général, qui peut saisir, directement, le Conseil de l’Ordre, aux termes de l’article 188 du décret du 27 novembre 1991, le plaignant, si sa réclamation n’est pas prise en considération ou si le rapport établi à la suite de celle-ci est classé sans suite, ne dispose d’aucune voie de recours.

S’agissant de l’instruction disciplinaire, l’article P. 72.4.2 se borne à prévoir que le rapporteur peut entendre, contradictoirement, toute personne susceptible d’éclairer l’instruction.

De même, l’article P.72.5.11, qui traite de l’instruction à l’audience, dispose que « éventuellement » et « selon le pouvoir décisionnaire du Président de la formation de jugement », dont il ne semble pas, et c’est une litote, qu’il soit fait un usage abusif, la formation disciplinaire peut procéder à l’audition « de témoins, de plaignant, de sachants ».

Il n’est, en revanche, pas prévu que le plaignant soit prévenu de la date d’audience à laquelle il pourrait assister lorsque celle-ci est, selon la règle générale, publique, ni qu’il soit tenu informé de la décision rendue.

On sait, dans la pratique du Barreau de Paris, qu’aucune information n’est spontanément communiquée au plaignant et que, s’il s’inquiète du sort donné à sa réclamation, il lui est adressé une réponse d’une parfaite et volontaire langue de bois du style « votre réclamation a connu la suite qu’elle devait comporter ».

Cette situation fait l’objet de critiques de plus en plus vives.

Elle apparait comme une volonté de préserver, non seulement les avocats fautifs, mais la profession toute entière et, certains n’hésitent pas à parler d’omerta.

Si cette accusation est, tout-à-fait excessive, la perception extérieure de la procédure suivie par notre profession justifie qu’on s’interroge sur son bien fondé et sur les éventuelles modifications à y apporter.

Il en va d’autant plus ainsi que des professions voisines et, notamment les professions médicales, donnent au plaignant une beaucoup plus grande place et en font même une véritable partie à la procédure.

C’est, dans cet esprit, que seront examinées les modifications ou améliorations qui pourraient, aux différents stades de la procédure, être envisagées pour mieux tenir compte du légitime souci d’information du plaignant.

1.         L’enquête

L’expérience montre que de nombreuses plaintes sont dénuées de tout fondement et qu’à leur seule lecture, leur caractère fantaisiste apparaît, sans qu’il soit nécessaire, de procéder à une enquête.

Il ne paraît donc pas souhaitable que, contrairement à la pratique du Conseil de l’Ordre des Médecins, le Bâtonnier soit, systématiquement, tenu d’ouvrir une enquête ou de procéder à une tentative de conciliation.

Au demeurant, les plaignants ont, toujours, la possibilité, s’ils estiment que la décision du Bâtonnier de ne pas donner suite à leur plainte n’est pas fondée, de saisir le Procureur Général.

Encore faut-il qu’ils soient informés de la décision du Bâtonnier.

La seule modification proposée par les rapporteurs serait donc d’ajouter,  à l’article P.72.2, l’obligation, pour le Bâtonnier, d’informer le plaignant de sa décision d’ouvrir ou non une enquête et, si celle-ci est diligentée, d’informer, également, le plaignant de son résultat.

2.         L’instruction

Il semble que la moindre des choses serait que le plaignant, informé du résultat de sa réclamation, puisque le Bâtonnier en aurait, par hypothèse, l’obligation et, sachant, par conséquent, qu’une procédure disciplinaire est diligentée, soit entendu par le rapporteur chargé de l’instruction, après qu’il aura recueilli les observations de l’avocat poursuivi et que, si nécessaire, soient organisées des confrontations.

Sans doute, cette audition, d’ores et déjà, pratiquée, aura-t-elle, si elle devient systématique, l’inconvénient d’alourdir le travail des membres de la formation d’instruction, mais, c’est le prix à payer pour que les procédures apparaissent, au moins, partiellement, contradictoires.

3.         L’audience

Le principe étant la publicité de l’audience, rien ne s’oppose à la présence du plaignant qui ne pourra, toutefois, user de ce droit, qu’à la condition, bien sûr, qu’il soit averti de celle-ci.

Sans doute, l’expérience montre-t-elle que la plupart du temps, les avocats poursuivis ne souhaitent pas la publicité de l’audience.

Il conviendrait donc, si l’on s’oriente sur cette voie, de prévoir, dans le texte, que même en cas de huis clos, le plaignant pourra assister à l’audience.

Faut-il aller plus loin et admettre, comme c’est le cas pour les médecins, que le plaignant peut être une partie à la procédure et intervenir par lui-même ou par l’intermédiaire d’un conseil à l’audience ?

C’est une question difficile et grave sur laquelle les rapporteurs s’abstiendront de prendre, personnellement, position.

Ils se limiteront à relever les conséquences qu’aurait une décision positive.

Elle imposerait, tout d’abord, que la décision prise par la formation disciplinaire soit notifiée à la partie plaignante et qu’un droit d’appel lui soit ouvert.

La formation disciplinaire n’ayant aucune qualité pour prononcer une condamnation indemnitaire, ces appels ne pourraient porter que sur l’absence de condamnation ou sur le quantum de celle-ci.

La présence du plaignant en tant que partie aurait deux autres conséquences.

Elle entraînerait, de manière quasi-automatique, la publicité de la sanction.

Il serait, en effet, tout à fait illusoire et, à vrai dire, sans fondement, de prétendre interdire au justiciable, qui a obtenu la condamnation de son ancien avocat, de révéler la décision du Conseil de l’Ordre.

Ainsi, la publicité perdrait son caractère de sanction complémentaire éventuelle sans, pour autant, cesser d’être ressentie comme telle par l’avocat concerné.

Elle conduirait, volens nolens, à terme à l’introduction de l’échevinage.

Il paraît, en effet, difficile, dès lors qu’un tiers non avocat est partie à la procédure, que celle-ci reste l’apanage des seuls avocats et, qu’au moins, la présidence de la formation disciplinaire ne soit pas assurée par un magistrat.

Il s’agit, au demeurant, d’une évolution que certains pensent inéluctable lorsqu’ils ne l’appellent pas de leur vœux.

Il convient, enfin, de relever le risque que le justifiable use de son droit d’intervenir dans la procédure disciplinaire pour préparer ou conforter une action en responsabilité.

L’un des rapporteurs pense que cet inconvénient pourrait être pallié par une règle de procédure créée par la cour de cassation dans une affaire de diffamation : celle de l’épuisement du droit à agir.

En d’autres termes, le client qui a d’abord agi pour mettre en jeu la responsabilité de son avocat ne sera plus recevable à prétendre être partie dans la procédure disciplinaire. En revanche, l’inverse ne paraît pas possible : s’il a d’abord agi au disciplinaire, il ne semble pas qu’on puisse lui interdire de demander réparation devant le seul juge compétent qui n’est pas la juridiction disciplinaire, mais la juridiction de droit commun. Cette notion de l’épuisement du droit à agir, voisine de la règle « una via electa » n’aurait qu’une portée limitée.

4.         La décision

Si la solution, consistant à faire du plaignant une partie à la procédure,  était retenue, le problème de l’information de la décision ne se poserait évidemment pas.

Dans le cas contraire, deux solutions peuvent être envisagées :

  • soit informer le justiciable de la décision effectivement prise et, par conséquent, donner à celle-ci, nécessairement, une publicité ;
  • soit se limiter à l’informer de l’existence d’une sanction sans en préciser la nature.

On peut se demander si cette dernière solution ne relève pas d’une grande hypocrisie.

En conclusion, il apparaît que le problème essentiel est celui de savoir si le plaignant doit ou non être partie à la procédure.

En toute hypothèse, et même si cette solution n’était pas retenue, une place plus importante donnée au plaignant dans la procédure disciplinaire, que les rapporteurs pensent, pour leur part, souhaitable, aurait, nécessairement des conséquences sur les règles régissant, actuellement, la publicité des procédures disciplinaires.

Bâtonnier Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL

Bâtonnier Jean-René FARTHOUAT