CCB/VP
15/06/2000
L’AVOCAT ET LA PROTECTION EFFECTIVE DES DROITS FONDAMENTAUX
Mesdames, Messieurs,
L’honneur est grand pour moi de prendre ici la parole sur cette terre d’Afrique. J’en mesure le privilège immérité et la charge redoutable. Ai-je, en effet, quoi que ce soit d’utile à dire à mes confrères africains sur la protection effective des droits fondamentaux, alors qu’en de multiples circonstances, ils savent montrer un courage exemplaire au péril de leurs biens, voire de leurs vies ?
Si je puis témoigner c’est en effet de cette volonté de convaincre et de cette passion de servir que j’ai vus à l’œuvre ici et là sur ce continent dans des situations de crise où la protection des droits de l’autre impose à l’avocat l’oubli de sa propre sécurité.
Mon propos tendra seulement à proposer à notre méditation commune quelques réflexions sur les rapports entre les droits fondamentaux, les pouvoirs et l’avocat.
Le titre de mon exposé contient l’évocation de cette relation trinitaire. Si l’avocat a pour mission de protéger, c’est nécessairement contre quelqu’un ou contre quelque chose. Et s’il en a l’obligation, c’est que la seule affirmation du caractère fondamental d’un droit ne suffit pas à le rendre sacré, intouchable. Ce rapport trinitaire implique le conflit : dans une société rêvée, les personnes devraient être premières, le pouvoir se bornant à garantir l’exercice de leurs droits et de leurs libertés et à sanctionner au nom du droit les entraves à ces libertés ou les abus commis dans leur exercice. L’avocat, dans cette société idéale, serait le garant de ce que les juges respectent la procédure tout en portant vers eux la parole de leurs clients.
Mais nos sociétés ne sont point idéales. Les droits de la personne se revendiquent contre des pouvoirs souvent plus dévorants que protecteurs (I) ; la justice a beaucoup à faire pour émerger de l’arbitraire (II) ; et l’avocat doit, chaque jour, se poser en gardien du droit et en garant des libertés (III).
I – LE DROIT CONTRE LA FORCE
De l’antiquité grecque jusqu’à 1948, ce sont deux mille cinq cents ans durant lesquels Antigone, en vain, a tenté de tenir tête à Créon (A).
Depuis 1948, Antigone a philosophiquement triomphé de Créon (B).
Pour autant, aucune force universelle n’est encore au service des droits fondamentaux (C).
A – LA LONGUE LUTTE D’ANTIGONE CONTRE CRÉON
Le jour où la petite fille noire, princesse de Thèbes, s’est dressée contre le souverain, son oncle, au nom d’une loi supérieure – celle des dieux – qui, à ses yeux, rendait inique l’ordre du droit positif, un germe destructeur de la tyrannie a été semé au cœur du monde. Il y a constamment grandi.
La récupération du spirituel par les pouvoirs, comme opéré par la monarchie française de droit divin, a tourné court. Tandis que Beccaria invente les droits de l’homme, Voltaire met en lumière la relativité du droit positif.
Il écrit dans le Dictionnaire philosophique : « on peut être coupable en un ou deux points de l’hémisphère et parfaitement innocent dans tout le reste du monde ».
La prise de conscience qu’a permise le développement de la culture grâce à l’imprimerie, a révélé une grande incertitude des systèmes de pensée et l’imperfection de tout gouvernement.
S’il est un ordre du monde qui préexiste à toute conscience humaine (le mouvement des planètes, la biologie, la chimie et la physique), obéissant à des lois immuables qui régissaient déjà l’univers quand aucune conscience humaine ne les percevait et qui les régiront toujours quand aucune conscience ne pourra plus les concevoir, au contraire l’ordre du droit est un ordre provisoire fantasmé par la conscience. Il est une tentative temporaire, variable et imparfaite pour organiser les sociétés et pour remédier, par quelques règles, au chaos des relations humaines et au désordre des passions.
Mais ce droit positif, qu’il résulte d’un pacte social ou qu’il soit imposé par un tyran, est variable, relatif, fragile, sans cesse modifié.
On peut prendre des exemples de cette variation du droit dans l’espace :
Variabilité dans le temps : en France, de vieux avocats qui exercent encore ont, dans leur jeunesse, plaidé aux assises pour des femmes criminelles parce qu’elles s’étaient fait avorter.
Au soir de leur vie, les mêmes confrères peuvent être amenés à plaider pour des hommes et des femmes délinquants parce qu’ils ont voulu empêcher des femmes d’exercer leur droit à avorter.
Variation du droit positif à cent quatre-vingts degrés en l’espace d’une vie humaine !
Mais Antigone a triomphé de Créon.
B – LES DROITS UNIVERSELS PROCLAMÉS EN 1948
Depuis 1948 s’est mis en place un ordre universel du droit fondé sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée et proclamée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948.
En affirmant que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde », l’assemblée des Nations Unies a décrété la personne humaine source et finalité du droit. La personne est la référence ; ses droits sont l’absolu du droit. Plus aucun État, plus aucun gouvernement, plus aucun pouvoir, même limité, ne peut s’estimer légitime s’il méconnaît la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Certes, le texte, dit-on ici et là, ne constituerait qu’une pétition de principe sans force obligatoire. D’ailleurs, l’assemblée générale qui a proclamé la Déclaration l’a présentée comme « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société … s’efforcent de développer le respect de ces droits et libertés … ».
Mais quand bien même ne se serait-il agi que d’une pétition de principe, elle est fondamentale : deux mille cinq cents ans après Antigone, laquelle fut enterrée vivante pour avoir prétendu opposer à la loi du tyran une loi supérieure, tous les peuples de la terre ont défini, comme idéal à atteindre, le respect et la promotion des libertés et des droits fondamentaux de la personne humaine. A l’inverse de l’héroïne de Sophocle et d’Anouilh, personne ne peut plus être légitimement jugé et condamné pour avoir rappelé l’ordre universel du droit. La force des tyrans a cessé d’être légitime. Les peuples devraient ne plus avoir peur.
C – DE LA PÉTITION DE PRINCIPE À LA MISE EN ŒUVRE
Il est vrai que si le droit a triomphé théoriquement de la force, il n’existe pas encore de force internationale au service de ce droit absolu et universel. Des tentatives ont vu le jour. Elles ne sont pas négligeables :
Les instruments de la justice sont nécessaires. Bernanos le disait :
« La loi sans sanction n’est plus une loi, c’est un précepte moral, aussitôt bafoué par les cyniques, trahi par les hypocrites et les pharisiens, trahi par un baiser. Pas de loi sans la sanction, pas de sanction sans contrainte, pas de contrainte sans maître. »
Le droit s’est imposé contre la force des souverains. Une force judiciaire internationale doit imposer le droit universel. Nous en sommes tous conscients et par-delà les frontières, nous sommes solidaires. Jamais n’aura été aussi juste le mot d’Alphonse de Lamartine :
«Je suis concitoyen de tout homme qui pense :
La liberté, c’est mon pays ».
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II – LA JUSTICE CONTRE L’ARBITRAIRE
Inexorablement, le monde change : les droits de la personne humaine montent en puissance et s’ils sont loin de triompher partout, aucun tyran ne se trouve plus à l’abri de devoir un jour rendre compte. À l’expression du pouvoir absolu conçu par la monarchie française (« c’est légal parce que je le veux », disait Louis XVI), s’est substituée aujourd’hui, même chez les plus entêtés, sinon la conviction d’être illégitime, du moins la crainte de perdre un jour toute immunité.
Le chemin est cependant encore long et pas un État ne peut se targuer d’avoir atteint une sorte de perfection des institutions qui en ferait un Eldorado juridique.
Le maintien d’un état de droit démocratique implique la mise en place d’institutions dans lesquelles le bon juge pourra s’épanouir tout en garantissant les personnes contre les juges médiocres.
Mais le mythe de Salomon – celui du grand juge – a sa vertu pédagogique et ne saurait être négligé.
A – LE MYTHE DE SALOMON
On garde de Salomon une vision déformée à cause de l’expression toute faite « jugement de Salomon » utilisée pour désigner un jugement mi-chèvre mi-choux, qui se tient à mi-chemin entre l’injuste et l’absurde. Pourtant, quelle extraordinaire leçon de sagesse et d’humilité !
Salomon n’a aucun moyen de trancher entre les deux femmes qui prétendent l’une et l’autre être la mère de l’enfant. Il n’a aucun moyen de connaître la vérité : pas d’état civil, pas de témoin, pas de possession d’état pour ce nouveau-né et encore moins de test ADN.
Salomon commence par rendre une décision absurde : « Qu’on coupe l’enfant en deux ! ». L’une des deux mères acquiesce au jugement rendu, l’autre renonce à sa demande. Il n’y a plus d’instance. Le juge devrait normalement se considérer comme dessaisi.
Pourtant, Salomon se transforme immédiatement en juge de l’exécution de sa première sentence, pour en suspendre les effets. Puis il se transforme en juge d’appel de sa propre décision, alors qu’il n’est saisi d’aucun recours. Il n’hésite pas à se mouvoir dans la confusion des genres.
Juge du premier degré, juge de l’exécution, puis juge d’un appel que personne n’a interjeté, il infirme sa première décision et, sans motiver, tranche.
Il ne sait toujours pas la vérité. Il peut seulement la deviner. Il se pose une seule question : laquelle des deux femmes est-elle digne d’être la mère ?
L’enseignement du mythe de Salomon est double :
Salomon, modèle idéal du souverain, du juge et du prosélyte des droits fondamentaux.
B – QUELS JUGES POUR QUELLE JUSTICE ?
L’expérience nous a appris aux uns et aux autres que l’avocat le plus talentueux ou le plus courageux s’évertue vainement s’il parle à un juge fou, médiocre, pervers, corrompu ou totalement dépendant.
Tout avocat rêve de trouver les mots qui comme les trompettes de Jéricho feront tomber les murailles. Il est malheureusement des consciences de juges emmurées dont on se demande si la trompette du jugement dernier suffirait à les ébranler.
Réfléchissons un instant aux garanties sans lesquelles il n’y a pas de juges dignes de ce nom.
L’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 dispose :
« Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Implicitement, cet article définit les critères d’une justice qui ne soit pas arbitraire. Ils tiennent :
1°) Le choix des juges
Deux questions sont ici posées :
a – dans une société donnée, comment s’opère la nomination à la fonction de juge ?
b – lorsqu’une affaire prend naissance, comment s’opère le choix de la juridiction qui sera appelée à en connaître ?
a – l’accès à la profession
Qui veut une justice impartiale doit favoriser un système de recrutement des juges exigeant quant à leur compétence juridique, intraitables sur leurs qualités personnelles et soucieux d’un statut économique décent. Les avocats ne peuvent pas être indifférents au sort des juges. La protection des droits fondamentaux dépend de la justice institutionnelle. Un juge mal formé ou réduit, par son statut, à la misère, ne peut pas être un bon juge.
Nous sommes les alliés objectifs des magistrats dans leurs légitimes revendications à plus de compétence, plus de moyens et à un meilleur traitement.
b – le choix des juridictions et l’orientation des dossiers
Il est des États où lorsque le pouvoir veut neutraliser un opposant politique, il lui fait un procès pour mauvaise gestion. Curieusement, ce sont toujours le même juge d’instruction, la même chambre du tribunal et la même chambre de la cour d’appel qui sont appelés à connaître ce genre de procédures.
Les mécanismes par lesquels sont choisies les juridictions font partie des garanties fondamentales de l’impartialité judiciaire.
2°) L’indépendance des juges vis-à-vis des pouvoirs
L’indépendance d’un juge s’apprécie à trois degrés :
Aucun pouvoir ne souhaite réellement une justice indépendante. La France fournit, sur ce plan là, un exemple tout à fait symptomatique : un bras de fer a longtemps opposé la monarchie absolue et les parlements. Aucun édit royal n’avait force exécutoire aussi longtemps que les parlements ne l’avait pas enregistré. Lorsque les parlements s’y opposaient, le roi devait tenir « lit de justice ».
La Révolution Française puis la République ont eu l’obsession de tenir les juges en bride :
La Constitution de 1958 ne parle même pas du « pouvoir judiciaire » mais de « l’autorité judiciaire ».
Or, c’est aux avocats que revient d’exiger des juges indépendants. Combien de fois l’avocat a-t-il le mauvais réflexe de préférer un juge sous influence en espérant pouvoir bénéficier de cette influence, plutôt que de s’en remettre à l’indépendance d’un homme probe et libre avec, comme seul recours contre sa décision, les recours effectifs prévus par la loi ?
Les droits fondamentaux que l’avocat revendique pour ses clients commandent qu’il ne transige pas avec l’indépendance du juge. Dès que nous préférons obtenir ou tenter d’obtenir par l’intrigue ou le rapport de force une décision qui ne devrait être inspirée au juge que par sa conscience, par son expérience et par sa science du droit, nous provoquons immanquablement un recul des droits que nous sommes censés servir.
c°) La soumission au droit
Le troisième critère, prévu par l’article 10, d’une justice équitable, c’est la seule soumission que l’on doive tolérer d’un juge : la soumission au droit.
En réalité, c’est « le droit au droit » institué au profit des personnes et l’obligation faite au juge d’entendre une cause « équitablement et publiquement » avant de décider.
L’équité n’est pas une notion subjective ou morale. Est équitable l’ordre du droit universel. La loi injuste qui y contrevient doit être écartée par le juge au nom du droit. Car le juge ne doit pas se contenter d’entendre, il doit décider. Juger n’est pas un pouvoir ou un privilège, c’est un devoir.
Et c’est encore à l’avocat de rappeler au juge cette obligation impérieuse de se soumettre à l’ordre du droit. L’avocat est, en effet, le garant du droit et le gardien des libertés.
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III – L’AVOCAT GARANT DU DROIT ET GARDIEN DES LIBERTÉS
Le développement du droit universel fondé sur la personne et conçu d’abord pour elle nous conduisit, voici près de quinze ans, à rappeler sous l’égide des Bâtonniers Aboygbor, Dialo et Stasi, lors de la conférence de Lomé, que nous avions tous vocation à être désormais avocats sans frontière, tribuns de la plèbe universelle et pèlerins de l’universel chaos.
Nous savons que la solitude nous rend fragiles alors que l’union fait notre force. Et cette force n’est légitime que parce qu’elle s’enracine dans une éthique professionnelle d’une extrême exigence.
Quelques réflexions sur l’ordre, sur la part de l’avocat dans la vie des institutions et sur l’exigence déontologique.
A – L’ORDRE
Dans le vieux pays de France, l’ordre est né avec le roi Louis IX, dit Saint Louis. Bouclier de la défense, l’ordre des avocats est garant de l’indépendance et en contrepartie, assure la régulation déontologique.
La naissance d’un ordre des avocats dans un pays donné révèle toujours la montée en puissance des libertés fondamentales et des droits de l’homme. C’est la reconnaissance de la fonction éminente remplie par la défense, aussi dérangeante que soit la parole de l’avocat. Si le mot « avocat » n’est pas prononcé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, l’article 11 consacre le droit de toute personne à « un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. »
Dans les situations de convulsion qui font se durcir les pouvoirs, les avocats sont souvent les premières victimes. Qu’il me soit permis ici d’évoquer la figure de trois grands avocats que je vis comparaître devant des juridictions iniques, détenus et l’un d’eux enchaîné même pour avoir exercé leur mission et servi les droits de la personne :
Et parlerai-je ici de ceux qui pour avoir rempli leurs fonctions de défenseurs des droits de l’homme et des libertés essentielles ont vu leur cabinet brûlé et leur voiture détruite ?
Même avec l’ordre, l’avocat garant du droit et gardien des libertés remplit parfois ce rôle au péril de ses biens, de sa liberté, de sa vie.
B – LES INSTITUTIONS PUBLIQUES
À ce rôle de témoin (sens étymologique du mot grec martyr) des libertés fondamentales, l’avocat ajoute celui d’acteur privilégié de la vie publique.
Les ligues des droits de l’homme, les organisations non gouvernementales accréditées auprès de l’ONU, toutes les associations assurant le relais entre les peuples et les pouvoirs sont autant de cénacles essentiels à la fois à une pédagogie des droits fondamentaux et à leur protection.
Rien n’est plus utile que l’onde de choc produite par un rapport international remontant jusqu’à Genève puis redescendant sur les gouvernements en cause à propos des droits de l’homme.
À l’intérieur des frontières, les commissions nationales consultatives des droits de l’homme qui ont vu le jour ici et là comme les fonctions de médiateurs remplies par d’éminents avocats, sont autant d’actes positifs assurant une protection effective des droits fondamentaux.
C – LA DÉONTOLOGIE
L’avocat est d’autant plus écouté, d’autant plus recherché et d’autant plus respecté qu’il double sa connaissance du droit d’une déontologie scrupuleuse et exigeante.
Le procureur de la République de Nanterre, Yves Bot, invité à un colloque ayant pour thème : « L’avocat, la vérité et le secret », définissait la relation entre l’avocat et son client comme « la rencontre d’une confiance et d’une conscience ».
Nous ne pouvons être d’utiles auxiliaires des droits de l’homme et des libertés fondamentales qu’à la condition de ne méconnaître aucun des cinq piliers sur lesquels se fonde notre identité d’avocats :
La méconnaissance d’une seule de ces règles dénature la profession. Le respect de ces cinq principes, au contraire, donne une identité commune à tous les avocats de la planète.
Tous perçoivent, avec la même acuité, malgré les différences de culture, de langue ou d’ancienneté dans la pratique démocratique, que les avocats ne peuvent servir au même moment des intérêts contraires ; qu’ils doivent respecter le principe du débat contradictoire car en foulant au pied les droits de l’adversaire, ils se condamnent à ne plus pouvoir les revendiquer pour les clients qu’ils assistent ; qu’ils ne peuvent spéculer sur des décisions de justice comme on le fait en bourse sur des valeurs financières.
En revanche, le vingt et unième siècle sera indiscutablement marqué par la recherche d’une définition juste et universelle des rapports entre la défense et le secret.
Figure au nombre des droits fondamentaux le droit de chaque personne humaine à une relation secrète avec un confident nécessaire comme l’avocat, le prêtre ou le médecin. Ce qui allait de soi hier n’est plus aujourd’hui ni évident, ni universel.
Si on laisse de côté la perversion, heureusement limitée, d’avocats indignes de ce nom qui se sont servis du secret comme d’un pavillon de complaisance pour abriter des marchandises inavouables, demeure le conflit qui oppose le juge à la recherche de la vérité et l’avocat gardien du secret comme d’une liberté fondamentale.
Sous-jacentes à cette question se trouvent des problématiques particulièrement délicates qui ne sont pas réglées de la même manière en France ou en Grande-Bretagne, sans parler de régimes autoritaires qui imposent à l’avocat de tout consigner pour tout dire, le cas échéant, à la police ou à la justice.
Pour l’avocat anglais, constitue une faute dénommée « comptent of court » le fait de tenir cachée une pièce défavorable. La procédure de la « discovery » permet à tout avocat d’aller au cabinet de son confrère et de s’y faire montrer tout le dossier.
Au contraire, l’avocat français est renvoyé à sa conscience : c’est à lui qu’appartient de faire le tri entre ce qu’il va dire et ce qu’il retiendra.
Certains confrères osent soutenir que l’avocat aurait droit au mensonge, ce contre quoi, à titre personnel, je m’élève de toutes mes forces. En revanche, l’avocat est indiscutablement tenu au silence si le client l’exige. Comment alors se déterminer entre l’obligation de se taire et l’interdiction que l’on se fait de mentir si le silence conduit à une omission lourde de conséquence ?
Parce que cette problématique n’est pas réglée, les juges s’autorisent à perquisitionner à toutes fins dans les cabinets. Le débat, en France, est largement ouvert. Nous touchons du doigt à quel point la protection par l’avocat des libertés et des droits fondamentaux est intimement liée à la redéfinition constante de ses obligations déontologiques et des rapports essentiels que l’avocat entretient avec la morale. Ce sera l’objet des débats qui suivront, que cet exposé n’avait pour ambition que d’ouvrir.
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Pour conclure cette introduction aux échanges qui vont suivre, qu’il me soit permis d’en appeler à nouveau à Georges Bernanos. Je laisserai à votre méditation une première phrase résumant cette nécessité que j’évoquais plus haut d’avoir de bons juges :
« Le mot justice évoque d’abord à mes yeux, – dit-il -, l’image d’un pauvre diable mal payé, mal nourri, qui passe en hâte sur sa jaquette, après déjeuner, une espèce de toge et coiffe son chef d’un pot galonné d’or ou d’argent … ».
Ce juge-là n’est qu’un agent de la régulation sociale, alibi du pouvoir en place.
Or, rien n’est pire que la justice conçue comme un attribut du pouvoir. Écoutons-le encore :
« La justice entre les mains des puissants n’est qu’un instrument de gouvernement comme les autres. Pourquoi l’appelle-t-on justice ? Disons plutôt l’injustice, mais calculée, efficace, basée toute entière sur l’expérience effroyable de la résistance du faible, de sa capacité de souffrance, d’humiliation et de malheur. L’injustice maintenue à l’exact degré de tension qu’il faut pour que tournent les rouages de l’immense machine à fabriquer les riches sans que la chaudière éclate. »
Nous sommes précisément avocats pour enrayer l’immense machine et redonner aux plus petits de nos semblables honneur, espérance et liberté.
Ouagadougou, le 15 juin 2000
Christian Charrière-Bournazel
Avocat au Barreau de Paris