La liberté d’expression n’est pas seulement consubstantielle à la démocratie, elle en est le symbole même. Les restrictions, qu’à un certain moment on lui fait subir, sont un symptôme inquiétant d’un retour à la tyrannie.
Les fondateurs des États-Unis d’Amérique qui avaient fui l’oppression de la misère ou des pouvoirs en Europe en ont fait le premier amendement de leur Constitution. En France, la Révolution de 1830 est née des censures que Charles X prétendait lui faire subir. La IIIème République avait six ans lorsque fut promulguée la loi du 29 juillet 1881 qui réaffirme, dans la ligne de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « l’imprimerie et la librairie sont libres ». Les soixante-huit articles qui suivent enserrent dans des règles exigeantes les exceptions qui peuvent affecter la liberté d’expression.
Aucune liberté n’est absolue : sa limite réside dans les droits d’autrui.
S’agissant de l’avocat, sa liberté d’expression mérite une protection renforcée car elle est le corolaire de l’indépendance sans laquelle les droits de la défense ne sont plus assurés.
Après avoir examiné les textes qui assurent l’immunité de l’avocat, nous nous attacherons aux restrictions qui l’affectent avant d’examiner les rapports entre la liberté d’expression de l’avocat et le secret auquel il est tenu.
Article 10 :
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
Article 11 :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
En son article 9 est affirmée la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il précise qu’il est même possible de manifester en public sa conviction dès lors qu’on ne trouble ni la sécurité publique, ni l’ordre, ni la santé, ni la morale, ni les droits et libertés d’autrui.
L’article 10 consacre la liberté d’expression et énumère de manière limitative les restrictions que la loi peut prévoir lorsqu’elles constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique : la sécurité nationale, l’intégrité territoriale, la sûreté publique, la défense de l’ordre, la prévention du crime, la protection de la santé ou de la morale, la protection de la réputation et des droits d’autrui.
Ces restrictions peuvent également être édictées « pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
Le 8ème congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants a adopté des principes de base relatifs au rôle du barreau. C’était en 1990. Le paragraphe 20 stipule que les avocats doivent bénéficier « de l’immunité civile et pénale pour toute déclaration pertinente faite de bonne foi dans des plaidoiries écrites ou orales ou lors de leur parution ès-qualité devant le tribunal ou une autre autorité juridique ou administrative ».
La loi du 29 juillet 1881 consacrait déjà cette immunité :
« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ».
Ce que consacre la loi de 1881, c’est donc une liberté d’expression totale et une immunité absolue de l’avocat au cours des débats judiciaires pourvu qu’il parle de bonne foi.
Nous verrons les subtilités de la jurisprudence interprétant cet article.
Le combat pour l’immunité de l’avocat connaît des avancées puis des retours en arrière.
La portée du serment de l’avocat
Le serment de l’avocat, tel qu’en vigueur avant la loi du 15 juin 1982, lui imposait de ne rien dire qui soit contraire au respect de la loi, des tribunaux, de l’ordre établi, etc … Bref, plaider que la loi est injuste constituait un manquement au serment. Dans la République française, patrie des déclarations des droits de l’homme, Antigone n’aurait pu être défendue puisqu’elle contestait la loi de Créon.
On se rappelle les périodes troublées, celles des juridictions d’exception telle la Cour spéciale de justice militaire ou la Cour de sûreté de l’État. Jacques Isorni, pour avoir pris à partie un conseiller, fut, le lendemain, condamné par la juridiction elle-même à trois ans de suspension.
Jean-Louis Tixier-Vignancourt était passé maître dans l’art des insolences. Qu’il me soit permis d’en citer deux :
– à l’intention des juges de la Cour spéciale de la justice militaire, il avait dit : « Je rappelle à la Cour qu’elle est là pour rendre des arrêts et non pas des services ». Et lorsque le président l’interpella : « Que venez-vous de dire, Maître ? », Tixier répondit : « Une phrase du chancelier d’Aguesseau » ;
– à un président de juridiction qui lui avait reproché son outrance : « Comment, Maître Tixier ? Vous ne respectez pas le tribunal ? », il avait répondu : « Au tribunal tout mon respect, de confiance aucune ! ». Il ne fut poursuivi ni dans l’un ni dans l’autre cas.
Mais lorsque l’on raconte une histoire de cette nature aux avocats américains, ils sont très scandalisés. Le pays, champion de la liberté d’expression, trouve normal qu’après une telle insolence, le juge mette l’avocat en prison pour vingt-quatre heures et suspende le procès jusqu’à son retour.
La loi du 15 juin 1982 a modifié le serment de l’avocat ainsi que le régime auquel il est soumis en cas d’abus.
L’article 41 dispose, après avoir affirmé le principe de l’immunité :
« Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages et intérêts ».
C’est ce que l’on appelait autrefois le « bâtonnement ». Le juge peut exiger de l’avocat (ou de la partie) qu’ils retirent de leurs écritures des propos injurieux, outrageants ou diffamatoires et assortir cette injonction de dommages et intérêts réparant le préjudice qui a pu en résulter et qui n’est, bien sûr, que moral.
Les juridictions interprètent très restrictivement cette faculté qui leur est donnée : les cas de bâtonnement sont extrêmement rares. Davantage encore le sont les dommages et intérêts.
Le dernier alinéa de l’article 41 dispose :
« Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers ».
L’hypothèse couverte par cet alinéa est celle de propos qui n’ont rien à voir avec la cause. Ils ne seront pas jugés par la juridiction saisie du procès mais par une autre juridiction, après que le tribunal aura réservé l’action sous la forme d’une inscription au plumitif à la demande de la victime de ces propos si elle était présente ou représentée si elle en a fait la demande.
Les tiers qui n’étaient pas parties au procès et qui n’auront pu s’y exprimer, disposent de l’action en diffamation publique ou en injure publique sans qu’elle ait été réservée puisque les actes de procédure versés devant un tribunal aux fins d’une audience publique sont publics comme les propos qui ont pu y être tenus.
Il suffira que des témoins à l’audience les aient entendus et témoignent de ce qu’ils ont été proférés pour permettre, dans le cadre d’une instruction ultérieure, d’en établir la réalité et la publicité et d’en identifier l’auteur.
L’immunité ne joue que dans l’espace de temps des débats judiciaires. Lorsque le tribunal arrive, son président dit : « L’audience est ouverte, vous pouvez vous asseoir ». Il se retire en disant : « L’audience est levée ». En réalité, le champ clos de l’immunité est plus restreint : c’est celui de l’affaire dont il va être débattu entre l’appel de la cause et la formule qui la clôture : « Les débats sont clos. L’affaire est mise en délibéré. Le jugement sera rendu le … ».
Nombre d’exemples pourrait être fournis d’avocats qui ont été condamnés pour diffamation publique pour avoir rapporté devant les caméras de télévision et les micros des radios ce qu’ils avaient dit à l’audience ou ce qu’ils allaient dire. L’immunité ne profite qu’à ce qui est dit pendant le temps du débat judiciaire.
Quand bien même les propos seraient-ils tenus dans l’enceinte du palais de justice par un avocat en robe, s’ils sont prononcés avant ou après le débat judiciaire, ils ne bénéficient d’aucune immunité. Je pense à un avocat, décédé aujourd’hui, qui venait de plaider dans une affaire sensible en affirmant que le directeur de l’aviation civile de l’époque avait substitué, après un accident d’avion, de fausses boîtes aux boîtes originales. Proférés à l’audience, ses propos n’étaient pas étrangers à la cause et ne pouvaient donner lieu à aucune poursuite.
À peine venait-il d’achever de plaider qu’il est sorti de la salle d’audience, en robe. Assailli par les journalistes qui n’avaient pu entrer, il a répété, en robe, contre la porte de la salle à laquelle il tournait le dos, les propos qu’il venait de tenir. Il fut condamné.
La loi du 15 juin 1982, votée à l’initiative de Gisèle Halimi, a simplifié le serment :
« Je jure, comme avocat, d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité ».
L’avocat désormais a le droit de critiquer la loi, les puissances instituées, comme de s’en prendre à l’accusation ou au système judiciaire lui-même.
Nous verrons quelles limites il ne doit pas franchir.
Antérieurement à la loi du 15 juin 1982, c’est au tribunal qui s’était senti outragé que revenait le pouvoir de juger lui-même l’avocat considéré comme coupable.
Depuis 1982, la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires, a vu son article 25 réécrit :
« Toute juridiction, qui estime qu’un avocat a commis à l’audience un manquement aux obligations que lui impose son serment, peut saisir le procureur général en vu de poursuivre cet avocat devant le Conseil de l’Ordre dont il relève ».
Les conséquences de ce texte sont considérables :
1) le juge outragé n’est plus le juge de l’outrage qu’il a subi ;
2) ce n’est pas une juridiction de droit commun mais le conseil de discipline qui est compétent pour juger et éventuellement sanctionner l’avocat, sous le contrôle de la Cour d’appel statuant en matière disciplinaire.
Ainsi, l’indépendance et l’immunité se trouvent-elles renforcées.
Deux textes se heurtent :
– l’alinéa de l’article 41 qui dit : « Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux » ;
– l’article 434-24 du code pénal qui dispose :
« L’outrage par paroles, gestes ou menaces, par écrits ou images de toute nature non rendus publics ou par l’envoi d’objets quelconques adressé à un magistrat, un juré ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice et tendant à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.
Si l’outrage a eu lieu à l’audience d’une cour, d’un tribunal ou d’une formation juridictionnelle, la peine est portée à deux ans d’emprisonnement et à 30.000 euros d’amende ».
On pourrait penser que tout avocat qui se laisse aller à l’audience à des propos trop forts susceptibles de constituer un outrage envers un magistrat ou envers toute personne siégeant dans la juridiction peut être condamné à deux ans d’emprisonnement et à 30.000 € d’amende.
Seule la diffamation, l’injure ou l’outrage commis de bonne foi (article 41) bénéficieraient de l’immunité.
Que signifie « bonne foi », notion subjective laissée à l’appréciation des juges ?
La contradiction réside également dans les deux régimes prévus, l’un par l’article 434-24, le régime correctionnel de droit commun, et celui prévu par la loi du 15 juin 1982 selon lequel l’avocat qui a commis un manquement à son serment (dignité, conscience, indépendance et humanité) relève du conseil de discipline.
Cette imprécision donne lieu à des interprétations diverses.
Ainsi, la chambre criminelle, le 24 novembre 1998, a-t-elle estimé que l’immunité de l’article 41 ne pouvait pas recevoir application dès lors que le procureur de la République avait été accusé par un avocat de « forfaiture ». « Ce parquet est la honte de la Nation » avait-il ajouté. La chambre criminelle a estimé que ces propos excédaient les limites des droits de la défense. On verra que dans une autre affaire, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg pour avoir condamné des propos similaires.
Nombreuses sont les incertitudes.
Le 5 avril 2012, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré qu’un avocat qui tient des propos à connotation raciale jetant l’opprobre sur les jurés et la suspicion sur leur probité commet un manquement au devoir de modération et de délicatesse justifiant le prononcé d’un avertissement par le conseil de discipline. En l’espèce, l’avocat avait dit ne pas être surpris d’une justice rendue par des blancs condamnant un noir.
Mais en sens inverse, en 1999, la Cour d’appel de Paris avait jugé qu’il ne pouvait être reproché à un avocat d’avoir tenu des propos outrageants ayant pour but de discréditer une chambre d’accusation, de mettre en cause son indépendance ou de porter atteinte à l’autorité de la justice. Il avait prononcé les paroles suivantes à l’audience :
« Je ne vous écoute même pas, je ne peux pas rester ici à plaider devant une justice colonialiste ».
Ces paroles avaient été prononcées lors de la défense d’une personne impliquée dans une information pénale ouverte à l’encontre de plusieurs habitants du département de la Guyane poursuivis pour avoir commis diverses infractions sur le territoire à l’occasion de manifestations à caractère politique. Dès lors, les propos ne pouvaient pas s’interpréter comme une attaque spécifique contre les membres de la chambre, mais comme une critique d’ordre général du fonctionnement de la justice.
Dira-t-on que la contradiction n’est qu’apparente ? Que dans un cas, chaque juré pouvait se sentir personnellement outragé pour être traité de raciste, alors que, dans le second cas, c’est le système de la justice elle-même, installé par l’État , qui était en cause et non pas les juges.
Distinction subtile : l’avocat qui refuse d’écouter des juges au prétexte qu’ils sont les représentants d’une justice colonialiste, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas eux-mêmes de réaction personnelle impartiale et qu’ils n’obéissent qu’à un État imposant par la force la justice à des citoyens asservis, ne se livre-t-il pas à une attaque personnelle ?
De même, un avocat, aujourd’hui décédé plaidant aux assises à Paris dans la célèbre affaire Colonna, avait traité la cour d’assises de « junte birmane », sans qu’aucune poursuite ne soit déclenchée contre lui.
Peu après, la première chambre civile de la Cour de cassation, le 4 mai 2012, a estimé qu’un avocat avait manqué au principe essentiel de délicatesse en traitant un avocat général de « traître génétique ».
Dans un premier cas, la juridiction toute entière est visée de manière non personnalisée. Dans le second cas, l’avocat général est atteint, à titre personnel, en ce qu’il est le fils d’un collaborateur du régime de l’État français.
En d’autres termes, la jurisprudence française considère aujourd’hui que si des propos, même violents et excessifs, à l’égard du système judiciaire ou d’une juridiction prise in abstracto, peuvent bénéficier de l’immunité, en revanche l’attaque contre un magistrat manifestant une animosité personnelle ne bénéficie pas de cette immunité.
Cette position mérite une réserve et une critique.
La réserve tient à la difficulté d’opérer la distinction entre ce qui est de l’ordre du général et ce qui est de l’ordre du personnel.
La critique, c’est que la jurisprudence française ne fait aucune distinction entre le juge indépendant qui juge et le procureur, subordonné de l’exécutif, qui n’est qu’une partie au procès au même titre que la défense.
C’est ce que la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg rappelle.
Appliquant l’article 10 de la Convention européenne du 4 novembre 50 enrichi par sa jurisprudence, la Cour de Strasbourg a eu l’occasion de dire, à de multiples reprises, que la liberté d’expression est un des fondements essentiels d’une société démocratique (CEDH, Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976).
La CEDH, d’arrêt en arrêt, affine le contenu juridique de la liberté d’expression et établit des degrés entre des niveaux différents de protection.
Les droits de la défense sont inséparables du droit de critique : l’avocat affronte directement l’accusation et, parce qu’il est en désaccord avec sa démarche, fustige ses excès ou ses insuffisances (CEDH, Steur c/ Pays-Bas, 28 octobre 2003).
Mais cette liberté ne revêt pas un caractère absolu (CEDH, Nikula c/ Finlande, 21 mars 2002 ; CEDH, Kyprianou c/ Chypre, 15 décembre 2005 ; CEDH, Dumas c/ France, 15 juillet 2010).
D’un côté, les droits de la défense s’accompagnent d’une expression libre et forte. Comme le tribun de la plèbe à Rome, l’avocat doit bénéficier d’une protection de sa liberté de parole.
De l’autre, la justice doit être l’objet d’une considération qui justifie la confiance du peuple.
Le droit de critique est consacré par la CEDH.
Au surplus, elle distingue clairement entre les juges du siège et les magistrats du parquet qui, depuis longtemps, sont, notamment au pénal, assimilés à la partie adverse (CEDH, Nikula c/ Finlande, 21 mars 2002). C’est le corolaire du procès équitable que cette liberté de propos réaffirmée dans l’arrêt Dumas c/ France où on lit :
« Un avocat de la défense (…) jouit d’une grande latitude, au nom de l’égalité des armes, pour formuler des critiques à l’égard d’un procureur » (alinéa 48 de l’arrêt du 15 juillet 2010).
La Cour, dans l’arrêt Nikula c/ Finlande, fait la distinction entre les critiques très vives qu’un procureur doit tolérer dans la mesure où elles visent la manière dont il s’est acquitté de ses fonctions et non pas ses qualités professionnelles en général, si elles ne comportent pas d’injure personnelle et qu’elles se limitent à l’enceinte du tribunal.
Au surplus, la Cour estime qu’il est nécessaire de prévenir tout effet inhibiteur sur la liberté d’expression des avocats : une peine trop sévère leur ôterait pour l’avenir leur liberté de s’exprimer. De la sorte, « l’infliction d’une peine d’emprisonnement à un avocat emporte, par sa nature même, un effet dissuasif, non seulement sur l’avocat lui-même, mais aussi sur la profession dans son ensemble » (CEDH, Kyprianou c/ Chypre, 15 décembre 2005).
Voilà la réponse donnée à l’inapplicabilité de l’article 434-24 de notre code pénal aux excès que commettrait un avocat à l’audience.
La situation n’est pas la même, selon la CEDH, pour l’avocat, pour le journaliste ou pour un citoyen.
La Cour estime qu’une affaire particulière peut nécessiter « un niveau élevé » de protection du droit à la liberté d’expression. Elle énonce trois critères :
– une information intéressant l’opinion publique ;
– une expression politique ;
– un ancien personnage politique.
Elle en déduit une marge d’appréciation particulièrement restreinte pour les autorités judiciaires. C’est ainsi qu’elle a condamné la France pour avoir condamné Roland Dumas. Il avait reproduit dans un livre de souvenirs la phrase outrée qu’à l’audience il avait décernée au procureur.
En revanche, la Cour considère que le respect de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire constitue une justification à la limitation de la liberté d’expression de l’avocat. Elle condamne fermement l’émergence de procès médiatiques qui supplantent le débat judiciaire. Si elle reconnaît le « rôle clé » des avocats en tant qu’intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux, la Cour affirme que les avocats doivent contribuer au bon fonctionnement de la justice et à la confiance que le public met en elle.
Dans l’arrêt Schöpfer c/ Suisse, du 20 mai 1998, elle a ainsi rappelé que les avocats disposent du « droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice », mais en affirmant avec force que leurs critiques ne doivent pas porter atteinte aux « impératifs d’une bonne administration de la justice et de la dignité de la profession d’avocat ».
Deux arrêts en faveur de la défense ont été prononcés récemment :
1) Arrêt Alfantakis c/ Grèce, 11 février 2010 : la CEDH a condamné la Grèce pour violation de l’article 10 pour avoir condamné un avocat qui avait critiqué, de manière ironique, le rapport d’un procureur et le procureur lui-même.
Tout en soulignant le besoin qu’ont les magistrats et les procureurs de la confiance des citoyens pour prospérer, la Cour a rappelé que « la liberté d’expression vaut aussi pour les avocats qui ont le droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice, mais dont la critique ne saurait franchir certaines limites ».
En l’espèce, les critiques avaient été exprimées en direct lors d’un journal télévisé, c’est-à-dire au cours d’une émission conçue pour susciter un libre échange de points de vue dans un format d’émission qui ne permettait pas au requérant de les retirer sur le vif ou de les parfaire.
2) Arrêt Gouveia Gomes Fernandes et Freitas e Costa c/ Portugal, 29 mars 2011 : dans le même esprit, la Cour qui avait été saisie par deux avocats portugais condamnés pour avoir porté atteinte à la réputation d’un juge, a rappelé que la liberté d’expression vaut aussi pour les avocats.
Le Portugal a été condamné après que la Cour d’appel portugaise eut estimé que « le droit à la liberté d’expression devait céder devant le droit à la protection de la réputation ».
Arrêt Mor c/ France, 15 décembre 2011 :
Une avocate avait commenté dans la presse une expertise menée dans le cadre d’une information judiciaire en cours.
La CEDH, comme toujours, a d’abord analysé les articles du code pénal français et a remarqué que l’ingérence subie dans la liberté d’expression avait pour fondement le texte réprimant la violation du secret professionnel, texte qui, selon elle, poursuit un objectif légitime.
En revanche, en l’espèce, l’ingérence n’était pas nécessaire dans une société démocratique dès lors que « les déclarations de la requérante s’inscrivaient dans le cadre d’un débat d’intérêt général. Les faits concernaient une question de santé publique. L’opinion publique était donc assurément intéressée par cette question ».
Mieux encore, la Cour énonce : « La protection de cette liberté (liberté d’expression de l’avocat) doit prendre en compte l’exception prévoyant que l’exercice des droits de la défense peut rendre nécessaire la violation du secret professionnel ».