Publié le 10 juin 2012, sur Canal Académies
Avec Hélène Renard, journaliste
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L’avocat, de l’Académie française, dialogue autour de ce procès mémorable avec Me Christian Charrière-Bournazel
Février-avril 1942 : un moment de notre histoire où le mot « infamie » ne semble malheureusement pas excessif… A Riom, non loin de Vichy, se déroule en effet un procès mémorable avec comme accusés : Daladier, Blum, Gamelin… De quoi seraient-ils coupables et quel est le but inavoué de cette parodie de justice où le pouvoir politique s’immisce dans le pouvoir judiciaire ? Me Jean-Denis Bredin, de l’Académie française, auteur du livre L’Infamie, le procès de Riom, dialogue ici avec Me Christian Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats.
Le procès de Riom tenu en 1942 a fait l’objet de plusieurs études historiques, le livre de Me Bredin n’est donc pas le premier ni le seul, d’où l’intérêt de lui demander les raisons personnelles qui l’ont incité à écrire sur ce sujet : lorsqu’il se préparait à être étudiant -il avait tout juste 16 ans-, il a assisté au procès du Maréchal Pétain (en 1945) et les références au procès de Riom y étaient incessantes. De plus, son beau-père, Me Jean Lemaire, était l’un des avocats du Maréchal, de même que Me Isorni chez lequel Me Bredin commença à exercer son métier. C’est donc tout naturellement que le début du dialogue entre nos deux invités, deux avocats de renom qui sont aussi amis de longue date, porte sur le Maréchal Pétain. Bien que, -et dans son livre, Me Bredin ne manque pas de le rappeler- notre histoire de France offre bien d’autres exemples de procès qui, au fil des siècles, furent aussi des parodies de justice.
Me Charrière Bournazel dresse d’abord un résumé du procès de Riom de façon à ce que, d’emblée, nos auditeurs sachent de quoi il est question.
Puis le dialogue s’articule en deux parties : dans la première, sont évoqués le contexte, les prémices, l’instruction et le réquisitoire, jusqu’à l’arrêt rendu ; puis dans la seconde partie, le déroulement des audiences du procès lui-même et le final. Rappelons que le texte ci-dessous n’est qu’un résumé des propos de nos invités et qu’il convient d’écouter cette émission pour profiter des détails, des informations, des nuances qui y sont exprimés.
1ère partie : l’instruction du procès
Me Bredin explique comment et pourquoi le Maréchal avait créé une « Cour suprême de justice »: « le gouvernement avait mission, pour constituer la « Cour suprême de justice » de nommer les juges. Il les choisit « avec soin ».
Petit retour en arrière : les premières arrestations avaient eu lieu en septembre 1940. Edouard Daladier, le général Gamelin, Léon Blum, Paul Reynaud, Georges Mandel, et d’autres, tous hommes politiques ou militaires ayant exercé les plus hautes fonctions et les plus grandes responsabilités. Le but était de condamner ceux qui étaient au pouvoir et qui « dans le passage de l’état de paix à l’état de guerre » (le choix des mots est évidemment important), soit avant le 4 septembre 1939, (mais après 1935 ! Pourquoi ? parce qu’en 1934, c’était Pétain qui était ministre de la Guerre…) avaient failli à leur tâche et avaient ainsi permis la guerre… Les Allemands, qui avaient été accusés en 1918 d’être responsables de la guerre, exigeaient dans les négociations de l’armistice que soient recherchés et jugés les Français responsables de la seconde Guerre. Et pour le gouvernement de Vichy, il s’agissait bel et bien de condamner non seulement les hommes mais surtout la politique du Front Populaire, et ainsi de discréditer la démocratie.
« Une longue instruction commença, écrit Me Bredin, page 50, conduite par les juges eux-mêmes, contrairement aux règles judiciaires ». D’autres irrégularités sont soulignées dans le livre de notre invité (les avocats ne furent convoqués à aucun acte d’instruction, les innombrables témoins furent choisis par l’accusation, etc)
Le réquisitoire, du 16 octobre 1941, sur 184 pages, accusait les ministres d’avoir « trahi les devoirs de leur charge »… Me Charrière Bournazel explique que non seulement cette accusation est imprécise et floue, mais qu’il s’agit là d’un « trompe-l’oeil ».
Et le politique s’imposa dans le judiciaire…
Comme ce réquisitoire ne donna pas satisfaction au gouvernement, le Maréchal Pétain fit alors usage d’un acte constitutionnel n° 7. Il avait en effet été autorisé par l’Assemblée nationale du 10 juillet 1940 à promulguer une nouvelle Constitution et pour l’établir, il avait fait poser plusieurs « actes constitutionnels ». Le n° 5 créait la « Cour suprême de justice » ; le n° 7 lui donnait tous pouvoirs pour prendre des sanctions.
Le discours du Maréchal du 16 octobre 1941 avait fait l’effet d’une bombe : il annonçait la création d’un « Conseil de justice politique ». C’était évidemment une intrusion du pouvoir politique dans le pouvoir judiciaire. Me Bredin et Me Charrière-Bournazel partagent sur ce point le même avis : « Rarement le droit et la justice n’avaient été traités avec tant de mépris. »
Le rendu du jugement fut donné le 28 octobre 1941 : Blum, Daladier, Gamelin, Gui La Chambre et Robert Jacomet seront jugés. Reynaud et Mandel resteront incarcérés « dans une enceinte fortifiée. J’ai ordonné cette mesure » dit le Maréchal dans son fameux discours (ce sera le fort du Portalet jusqu’à leur arrestation par les Allemands le 27 novembre 1942).
2ème partie : le déroulement du procès
Tandis que Léon Blum, l’ancien président du Conseil, choisit de se défendre point par point (toujours courtoisement souligne Me Bredin) et rejeta toutes les accusations contre lui.
Dans son livre, Me Bredin examine tous les interrogatoires, on ne peut les détailler au cours de cette émission mais nul doute que nos auditeurs intéressés par cette période historique sauront se procurer l’ouvrage (et d’autres, car la bibliographie proposée dans ce livre, s’avère fort utile).
Nos deux invités terminent l’émission en livrant leur analyse personnelle, précisant quelles leçons ils tirent de l’observation d’un tel moment, après avoir admis que le travail des membres de la Cour s’effectua sans déshonneur et raconté comment s’est terminé ce pseudo-procès finalement abandonné sous le prétexte d’un « nécessaire supplément d’information »… jusqu’à ce que la loi du 21 mai 1943 déclare close la session de la Cour suprême de Justice.
Et les condamnés ?
Au fond, un procès qui n’aura servi à rien, pas même à satisfaire Hitler. « Mais, conclut Me Bredin, il avait exprimé à sa manière la haine, la soif de vengeance, l’indifférence à la démocratie quand elle semble dérangeante, vieilles maladies françaises, qui risqueront toujours de poursuivre leur chemin ».
Source : Canal Acédémies
https://www.canalacademies.com/emissions/au-fil-des-pages/jean-denis-bredin-linfamie-le-proces-de-riom-1942