Texte d’Eve BOCCARA à remettre ce vendredi 1er juin avant la fin de la matinée.
Christian Charrière-Bournazel, président du Conseil national des barreaux
Une réforme de la « gouvernance » apparaît de plus en plus essentielle au sein de la profession d’avocats, dont les trois institutions représentatives et les161 ordres locaux xxxxx Chapo à compléter. Les 4 et 5 mai, le Conseil national des barreaux décidait de consacrer son assemblée générale à la question de la « gouvernance », ouvrant la tribune à chaque représentant de groupe et syndicat pour un temps identique. En attendant la synthèse de ces contributions, présentée en juillet, et un vote en septembre, le président Christian Charrière-Bournazel livre à la Gazette du Palais son sentiment.
Gazette du Palais : Après plus d’une journée de discussion sur la « gouvernance » avec l’ensemble des membres du Conseil national des barreaux, que pouvez-vous d’ores et déjà affirmer ?
Christian Charrière-Bournazel : Je profite de votre question pour rappeler que je n’aime pas le mot « gouvernance » (on ne gouverne pas les avocats) ; je préfère parler d’organisation et de représentation professionnelle. Si tout le monde concède qu’une réforme est indispensable, que l’éclatement des compétences entre les institutions nécessite une réorganisation, les participants au forum du CNB ont exprimé, de manière unanime, la nécessité de maintenir les ordres locaux partout où il y a un tribunal avec un président et un procureur. Ces ordres doivent conserver leurs missions fondamentales : admettre les nouveaux avocats, conférer l’honorariat, et assurer la défense de la défense en toute occasion. La plupart des contributions entendues rue de Londres début mai étaient opposées à la création d’ordres régionaux ou de cour, qui, pour avoir une certaine utilité, deviendraient pour ainsi dire les tuteurs des ordres locaux, affaiblissant du même coup l’autorité du bâtonnier local et de son Conseil de l’Ordre. En revanche, s’est exprimé le souhaite d’une mutualisation de certaines tâches.
G.P. : L’éclatement de la profession en 161 royaumes rend son fonctionnement complexe… Les mots de mutualisation des ordres reviennent fréquemment.
C. C.-B. : Les conseils de discipline régionaux ont évolué et doivent être maintenus. Nous souhaitons encourager de la même manière un regroupement, plus rapide et plus déterminé, des Carpa. Une telle mutualisation me paraît personnellement salutaire. Ces caisses n’y perdraient bien évidemment rien du tout, au contraire : aux économies d’échelle s’ajouterait la faculté d’obtenir davantage des banques dès lors que le poids financier des CARPA regroupés serait plus important. Pour chaque ordre, le retour sur ses dépôts serait proportionnel à ses apports. Les ordres auraient aussi intérêt à se rapprocher pour mutualiser certains services ou certaines ressources. Ils gagneraient en temps, en argent et en efficacité. Je sais que les ordres souhaitent garder leur contrôle sur eux-mêmes… C’est l’esprit de nos institutions. Il ne s’agit pas d’orgueil mais de crainte de perdre leur indépendance.
G. P. : Qu’en est-il à l’échelle nationale ? On a beaucoup parlé ces dernières années de la mise en place d’un ordre national en lieu et place du Conseil national des barreaux…
C. C.-B. : Les membres du Conseil national des barreaux sont attachés, je crois, à l’idée d’un parlement plutôt qu’à celle d’un ordre national, tout du moins les avocats qui se sont exprimés pour leurs confrères. J’ai relevé une volonté de conserver les syndicats et associations comme tels au sein du Conseil. Jean-Luc Forget, le président de la conférence des bâtonniers, plaide, lui, pour un collège unique, par souci de simplification, plutôt que pour deux listes, une syndicale et une ordinale comme c’est le cas aujourd’hui. Mais si des « doublons » sont autorisés et que des membres de syndicats peuvent apparaître sur plusieurs listes, cela peut compliquer le calcul. Ce qui est très clair, c’est que je n’ai entendu personne demander que le CNB devienne un Ordre national. La majorité est opposée à un organe qui serait hiérarchiquement supérieur aux ordres locaux. En revanche, elle souhaite une représentation des intérêts collectifs de la profession confiée au seul CNB.
G. P. : Vous avez-vous-même, dès le début de votre mandat, dit vouloir voir le CNB plus impliqué dans la procédure disciplinaire des avocats, de quelle manière ?
C. C.-B. : Il faut réfléchir à ce qui, au sein du CNB, pourrait être une « composante ordinalo- disciplinaire », constituée de membres du CNB ayant rempli une fonction ordinale et compétente dans trois cas. D’abord pour régler les conflits inter-ordinaux en ce qui concerne l’interprétation de la règle. Aujourd’hui, lorsque deux barreaux n’arrivent pas à régler une difficulté, un bâtonnier autre est désigné comme tiers arbitre. Cette composante serait chargée de cet arbitrage avec la faculté de provoquer une poursuite disciplinaire comme le fait un bâtonnier local, autorité de poursuite, ou un procureur général.
Cette composante serait également l’instance disciplinaire du premier degré pour connaître des manquements commis par des bâtonniers et des membres des conseils de discipline locaux. Elle aurait aussi vocation à juger en cas de récusation d’un conseil de discipline local. De cette manière, serait renforcée la fonction disciplinaire, corollaire de notre indépendance.
Enfin, avec des membres différents, elle serait l’instance nationale d’appel des décisions rendues en première instance par les conseils de discipline. Ce n’est pas par défiance à l’égard des cours d’appel. Mais nous devons veiller à harmoniser la jurisprudence déontologique. Seule une instance nationale peut réaliser cette unification. Il ne s’agit pas d’écarter les magistrats professionnels qui, au contraire, grâce à un véritable échevinage, siégeraient au sein de cette composante, comme ils siégeraient également dans les conseils de discipline du premier degré.
Personnellement, je souhaiterais que cette réforme puisse être mise en place. Elle serait accompagnée d’une seconde : la participation du plaignant à l’instance disciplinaire qui le concerne, et à celle-là seule. Nous devons, en effet, ne pas avoir peur de la transparence.
G. P. : Qu’en est-il de l’élection au suffrage universel direct, qui est une proposition fortement défendue par la FNUJA ?
C. C.-B. : Vous parlez de l’élection du président. Je ne suis pas favorable à son élection au suffrage universel direct qui entraînerait un déséquilibre entre les candidats en campagne, les uns pouvant économiquement se permettre d’arrêter d’exercer, mais pas les autres. Chacun pourrait être tenté de se faire aider par des groupes de pression, des clients, etc. Enfin, tandis que les membres d’une assemblée seraient élus au scrutin de liste, le président tout seul le serait par tout le peuple des avocats. Je crains les dérives bonapartistes. Les discussions sont en cours sur tous ces sujets et rien n’a été décidé.
G. P. : Le bâtonnier Castelain avait lancé une consultation à l’automne. Environ 5000 avocats y avaient répondu. Il en ressortait que les parisiens souhaitaient la fin des ordres locaux et l’avènement d’un ordre national.
C. C.-B. : Vous avez entendu comme moi, lors de ce forum du mois de mai, que Paris ne souhaitait pas s’exprimer sur le sujet avant un débat au sein du Conseil de l’Ordre. Il ne m’appartient pas aujourd’hui de parler au nom du Barreau de Paris.
Paris, le 31 mai 2012