Interview de Christian Charrière-Bournazel par Droit & patrimoine – 17 juillet 2013
Droit & patrimoine : Comment la profession d’avocat a-t-elle évolué ?
Christian Charrière-Bournazel : La profession d’avocat a été cantonnée pendant des siècles au judiciaire. La réforme de 1990 l’a modifiée totalement, en intégrant les conseils juridiques, lesquels sont des rédacteurs et des conseils proches des entreprises.
On a alors découvert que l’avocat est légitime dans cette activité en raison de sa déontologie extrêmement exigeante. J’ai tenu, pendant mon bâtonnat à Paris, en 2008 et 2009, à ouvrir la profession à de nouvelles activités dans la ligne de la mission de mandataire qu’un avocat a le droit d’accepter : mandataire en transactions immobilières, mandataire de sportifs ou d’artistes etc. Nous sommes préférables à tout autre dans ces domaines en raison de notre éthique et de nos règles déontologiques : le mandat d’un avocat est révocable à tout moment et les honoraires, même convenus et payés, peuvent toujours être discutés devant le bâtonnier, arbitre des honoraires sous le contrôle de la Cour d’appel.
D&P : Selon vous, qu’est-ce qui caractérise l’identité de l’avocat ?
> Les cinq piliers de notre identité sont les suivants : nous exerçons une profession de service dans le domaine du droit, qu’il s’agisse de plaider, de conseiller ou de construire. L’avocat est indépendant quelle que soit sa forme d’exercice. Il est astreint au secret professionnel le plus absolu. Il est marmoréen sur le conflit d’intérêts et désintéressé. Certes, il doit gagner sa vie le mieux possible. Mais il n’est pas l’associé de son client. Il n’est pas en affaires avec lui.
D&P : Comment la relation avec le public a-t-elle évolué ?
> Autrefois, l’avocat ne pouvait pas faire pas un pas sans demander l’autorisation de son bâtonnier. Les choses aujourd’hui ont changé avec l’avènement du numérique et la fin de l’interdiction totale du démarchage. L’avocat a le droit de se faire connaitre et effectuer des sollicitations personnalisées.
D&P : Qu’en est-il des relations des avocats avec les autres professions ?
> Il y a eu des hauts et des bas avec les notaires. Ils ont très peur que Bruxelles ne mette un terme au numerus clausus. Mais ils savent se battre beaucoup mieux que les avocats dont ils ne sont pas les ennemis mais les alliés.
Quant à l’interprofessionnalité, elle se met en place. Nous cheminons avec les experts-comptables de manière positive vers une interprofessionnalité fonctionnelle. Il ne s’agit pas qu’un avocat devienne le larbin d’un gros cabinet d’expertise comptable ni l’inverse. Mais deux structures similaires ayant une force économique comparable doivent pouvoir travailler ensemble dans les mêmes locaux, à la condition que notre secret professionnel soit garanti, que les conflits d’intérêts soient parfaitement cernés et que le rapport de force soit équilibré dans les décisions à prendre.
D&P : Que pensez-vous du lobbying de la profession ?
> Le lobbying s’est un peu mieux organisé depuis 20 ans, notamment grâce à la création de la Délégation des barreaux de France qui informe les institutions représentatives de la profession de ce qui se prépare à Bruxelles. En 1991, la création du Conseil national des barreaux a eu pour but d’éviter l’émiettement de la représentation professionnelle entre les Ordres, les avocats honoraires, le Syndicat des avocats de France, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats, l’Association nationale des avocats etc. Le but poursuivi était de construire une unité qui nous donne plus de force. C’est pourquoi, cette institution est à la fois ordinale et syndicale. Mais nous atteignons une limite. Ma démission le 12 juillet est la conséquence de l’opposition qui m’a été manifestée à la fois par mon Bureau et par des forces syndicales. Monsieur Michel Dufranc, ancien bâtonnier de Bordeaux, a souligné que le CNB fonctionne à la manière du Parlement libanais où chacun vient défendre ses intérêts sectoriels avec son idéologie communautariste, de sorte qu’il est très difficile d’obtenir des décisions unanimes. Il est surtout irréaliste de penser que cette institution où chacun campe sur son territoire arrivera à se réformer d’elle-même pour améliorer son fonctionnement et son rayonnement.
Signature :
Propos recueillis par Clémentine Delzanno et Laure Toury