Publié le 28, Oct 2013 in
Interviews
<p align="center">INTERVIEW DE CCB PAR JRT</p>
<p>1) Quelles sont les principales actions que vous entendez mener au cours de votre mandat ?</p>
<p>Permettez-moi d’abord de vous rappeler que le CNB est un parlement qui élit non seulement son président mais aussi les membres de son bureau et les présidents des commissions. Le président du CNB n’a pas pour fonction de décider seul, mais d’être le porte-parole du CNB, c’est-à-dire le représentant de la profession toute entière.</p>
<p>Bien sûr, il appartient au président, en harmonie avec son bureau, d’impulser des réformes et de définir des orientations sur lesquelles travaillent les commissions pour présenter ensuite une résolution ou un projet soumis au vote de l’assemblée générale.</p>
<p>Nous avons d’ores et déjà défini un certain nombre de sujets qui nous paraissent importants :</p>
<p>- l’amélioration de la représentation des avocats au sein d’une institution nationale réformée pour la rendre plus représentatives et plus efficace ;</p>
<p>- un travail sur la formation initiale des avocats pour la rendre à la fois plus courte et recentrée sur l’essentiel : la déontologie, les relations avec les clients, les adversaires, les partenaires et les magistrats ; la gestion d’un cabinet ; la pratique de l’écrit et l’apprentissage de l’oral, qu’il s’agisse de négocier ou de plaider, etc. On doit également y enseigner le maniement des procédures.</p>
<p>En revanche, on doit s’interdire de mimer l’université : l’enseignement du droit lui appartient et ce n’est pas le rôle des écoles d’avocats.</p>
<p>- le CNB travaillera également à l’ouverture aux nouveaux métiers du droit, l’avocat étant, par définition, plus légitime que tout autre juriste, partout où le droit est en cause, puisqu’il s’y applique en respectant une déontologie exigeante ;</p>
<p>- une grande réforme de la procédure disciplinaire s’impose pour la rendre plus transparente, tout en permettant au plaignant d’y avoir légitimement sa place ; elle à l’étude de la Commission règles et usages.</p>
<p>- Nous veillons avec détermination au respect du secret de l’avocat qui n’est ni un privilège ni un pavillon de complaisance comme j’ai eu souvent l’occasion de le dire au moment de mon combat contre la troisième directive anti-blanchiment, mais le droit pour toute personne en démocratie de pouvoir s’adresser à un confident nécessaire qui ne la trahira pas.</p>
<p>- nous formulerons également des propositions en matière de procédure pénale dont la réforme a été si longtemps annoncée et jamais entreprise afin que soit enfin mis à égalité la défense et l’accusation dans un respect scrupuleux des droits de chacun ; </p>
<p>- enfin, nous devons rayonner vis-à-vis des pays de la francophonie en multipliant l’accueil des stagiaires qui le désirent et en leur facilitant leur séjour pour ceux d’entre eux qui viennent de pays économiquement moins prospères. De même, nous sommes en relation avec plusieurs pays amis désireux que nous organisions pour eux et leurs jeunes avocats des rencontres afin d’aider à leur formation, notamment en déontologie.</p>
<p>Au sein de l’Europe, nous devons continuer à promouvoir une conception unique à la formation de la profession d’avocat, indépendante, exerçant elle-même la discipline et échappant au dogme de la libre concurrence et du marché dont les conséquences risqueraient de transformer les avocats en simples marchands de droit.</p>
<p>2) A la suite des multiples réformes votées par le parlement durant les cinq années écoulées, quelles ont été les avancées majeures du droit ?</p>
<p>La plus importante, de loin, est l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité. La France était en retard par rapport à plusieurs de ses voisins européens. Cette réforme permet, même lorsque la loi n’a pas été censurée par le Conseil constitutionnel avant sa promulgation, de la faire déclarer contraire à la Constitution. Si les circonstances ont changé, soit parce que le personnel chargé de l’appliquer n’a pas la même formation que celui prévu à l’origine, soit parce que d’autres textes de loi survenus depuis en modifient la portée.</p>
<p>Il faut saluer l’initiative prise par le pouvoir politique qui a instauré cette réforme au cours du précédent quinquennat. </p>
<p>La réforme de la garde à vue, imposée au parlement plutôt qu’il ne l’a décidée, a été une avancée importante. La France, là encore, était très en retard par rapport à l’Angleterre, à l’Allemagne, à l’Espagne ou à l’Italie. Elle était même en retard par rapport à la Turquie qui avait modifié sa législation en ce domaine après des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 27 novembre 2008 et du 13 octobre 2009 (Salduz et Dayanan).<br>
Un progrès demeure à faire pour lequel je compte sur la commissaire européenne, Mme Viviane Reding. Nous proposerons au nouveau parlement un texte de loi rédigé comme suit :</p>
<p>« Toute personne amenée à se rendre auprès des autorités de police, de gendarmerie ou des représentants du ministère public a la faculté de se faire accompagner par un avocat ».</p>
<p>Quant à la faculté de renoncer à la présence de l’avocat, elle devra être formulée, au seuil de la garde à vue, en présence d’un avocat pour qu’il n’y ait pas de doute sur la sincérité de cette renonciation.</p>
Dans le même temps, la précédente législature est celle qui a adopté les peines planchers, la rétention de sûreté, l’aggravation des mesures concernant les mineurs et les jurés siégeant en correctionnelle. Ces réformes, qui n’ont été accompagnées d’aucune amélioration de la condition pénitentiaire, sont à mettre au passif du législateur des cinq dernières années.
<p>3) Les barreaux de province rencontrent de graves difficultés dans le fonctionnement du RPVA mis en place. La responsabilité civile du Conseil national des barreaux pourrait-elle être engagée ? Celle-ci pourrait-elle s’aggraver avec l’application de la procédure d’appel devant la Cour ? Comment entendez-vous y remédier ?<br>
Je ne puis être d’accord avec votre façon de poser la question. Dès ma prise de fonction, j’ai fait l’analyse d’un audit et la commission des nouvelles technologies a été confiée à Me Clarisse Berrebi, membre de l’ACE, dont la compétence n’est pas discutée. En réalité, les difficultés rencontrées par le RPVA sont d’ordre très divers : le plus grand nombre tient à l’inadéquation des configurations informatiques des confrères dont beaucoup doivent se mettre à niveau avec le concours de leur informaticien personnel. Ensuite, d’autres difficultés tiennent à des erreurs sur les adresses transmises par les avocats eux-mêmes ou par les barreaux à l’UNCA de qui nous les recevons. Enfin, l’harmonisation n’est pas toujours parfaite entre les juridictions et les barreaux. En tout état de cause, c’est un souci primordial du Conseil national des barreaux.</p>
<p>4) N’estimez-vous pas que les parties demanderesses devant les Conseils de Prud’hommes devraient être dispensées du droit de timbre de 35 € ?<br>
Oui bien sûr. Mais en réalité, aucun plaideur ne devrait être tenu d’acquitter ce timbre.</p>
<p>L’accès à la justice constitue un droit fondamental aussi impérieux que le droit à la santé. Une société sans justice serait une jungle où la loi du plus fort l’emporterait sur les droits du faible.</p>
<p>Evidemment la justice a un coût : Il faut entretenir les maisons de justice, payer leur personnel, rémunérer les juges et les avocats. Une justice sans avocat est aussi inconcevable qu’une justice sans juge et l’un et l’autre doivent pouvoir vivre de leur métier.</p>
<p>L’Etat prend en charge la rémunération des magistrats et des personnels de justice. Chaque partie qui veut être aidée par un avocat rémunère son avocat à charge, pour celui qui a entrepris un mauvais procès ou abusé de la justice, de payer ce qu’il en a coûté à l’autre pour se défendre.</p>
<p>L’accès à la justice suppose qu’il y ait des tribunaux et des magistrats en nombre suffisant. Cela implique également que ceux qui n’ont pas les moyens de rémunérer à son prix l’avocat, puisse recourir à ses services sans qui lui en coûte.</p>
Nous allons promouvoir auprès du nouveau Ministre de la justice la réforme dont je ne suis pas le seul inventeur et que j’avais proposée pendant mon bâtonnat au Conseiller à la Cour des comptes et au conseiller d’Etat qui étaient venus m’interroger.
<p>L’Etat qui abondait autrefois le budget de l’aide juridictionnelle à hauteur de 300.000.000 d’euros (contre 2.400.000.000 de livres en Angleterre) n’en paie en réalité que 240 à 250 millions par an et se dit incapable de fournir un sou de plus. La protection juridique ne fonctionne pas en tant que telle. Simplement, il existe des clauses « défense et recours » dans les contrats d’assurance de toute sorte qui prétendent fournir à l’assuré l’assistance d’un avocat en cas de litige. Les assureurs rémunèrent très faiblement les avocats tout en se plaignant qu’ils soient intéressés. Mais ils gagnent tout de même 700 millions d’euros par an grâce à la protection juridique.</p>
<p>Ce n’est de leur côté que nous devons attendre la solution. Voici notre proposition : il existe, dans le domaine du droit, deux sortes d’activités. L’une est une activité en creux, si je puis dire, et sommes toutes déceptives : c’est le procès qu’on est obligé de subir ou d’intenter. L’autre activité juridique c’est la convention, l’échange, source d’un progrès, d’une entreprise et, pour beaucoup, d’un enrichissement. Il suffit de percevoir à l’occasion de la signature de toute convention soumise à publicité ou à enregistrement (ventes immobilières, cession de fonds de commerce ou d’éléments d’actif, conclusion ou renouvellement de baux commerciaux, constitution de sociétés ou cession de droits sociaux, contrat de licence de marque ou de brevet publié à l’INPI, comme sur tous les contrats d’assurance-vie et tous les contrats de prêt auprès d’une banque pour l’acquisition d’un bien immobilier) :</p>
<p>- une contribution aide-juridictionnelle du montant du droit de timbre, aujourd’hui imposé dans le cadre des procédures, et l’on abondera le budget dans des proportions importantes. Ce sera indolore pour celui qui paye au moment où il s’engage dans une opération contractuelle onéreuse. Et ce sera juste puisqu’il bénéficiera éventuellement plus tard, lorsqu’il lui faudra plaider sur la convention et qu’il n’aura plus les moyens de payer un avocat, de l’aide-juridictionnelle.<br>
C’est une sorte de mutualisation du risque beaucoup plus rationnelle que le système actuel qui fait payer, au moment d’accéder à la justice, celui qui a besoin du juge contre le principe même du libre accès à la justice.</p>
<p>Je vous signale au passage que le parti socialiste dans la législature qui s’achève avait déposé une proposition de loi en ce sens qui n’a pas eu de suite. Je compte beaucoup sur la nouvelle majorité.</p>
5) Peut-on imaginer que le Conseil constitutionnel invalide le récent décret du Ministère de la Justice reconnaissant aux parlementaires de la faculté d’accéder à la profession d’avocat alors qu’ils ne sont pas titulaires du diplôme ?
<p>Nous avons entrepris, le CNB en tête, un recours contre le décret dit « décret de révision passerelle ».</p>
<p>Ce décret est, en effet, d’une grande imprécision dans sa rédaction : au lieu de dire qu’il permet aux sénateurs, aux députés ou aux membres du gouvernement d’accéder à la profession d’avocat, il parle de personnes « ayant exercé des responsabilités publiques » ; au lieu de rappeler que ce nouvel article 97-1 s’appliquerait à des personnes ayant au moins le niveau de maîtrise en droit ou d’un diplôme équivalent comme le prévoit l’article 11 de la loi du 31 décembre 1971, il se borne à caractériser ces candidats sous la formule vague : « ayant participé effectivement à l’élaboration de la loi ».</p>
<p>J’ai eu l’occasion de le dire à maintes reprises : un avocat très naturellement s’investit dans la vie de la cité, comme élu local ou parlementaire. C’est le prolongement de cette mission de juriste engagé au service de ces contemporains.</p>
<p>L’article LO 149 de la loi organique de 1959, énonce que les incompatibilités qui s’imposent à l’avocat devenu parlementaire : </p>
<p>- ne plaide ni pour ni contre l’Etat, ni en matière de fraude fiscale, ni pour ou contre des sociétés nationalisées, ni en diffamation publique en correctionnelle, notamment. C’est un cursus fréquent que cette expansion de l’avocat qui investit le champ public au-delà de la salle d’audience.</p>
<p>Le chemin inverse requiert une certaine exigence, s’agissant de personnes, certes tout à fait honorables, qui n’ont pas choisi à l’origine le métier d’avocat et qui, venant de l’espace public, veulent rejoindre le champ du conseil ou de la défense.</p>
<p>Nous n’avons aucune prévention contre ceux qui veulent devenir avocat après avoir connu une autre carrière mais à trois conditions :</p>
<p>1. ils doivent justifier d’une compétence juridique sanctionnée par diplôme au moins équivalents à la maîtrise en droit ;</p>
<p>2. leur cursus personnel ne doit pas s’être éloigné de la pratique du droit, faute de quoi leur diplôme, des années après, ne serait qu’un chiffon de papier ;</p>
<p>3. ils doivent accepter de soumettre à une formation en déontologie préalable à leur prestation de serment, afin de prendre l’exacte conscience de l’identité de l’avocat qu’ils deviennent et des devoirs qui s’imposent à lui. Les ordres, maîtres de leur tableau, sous le contrôle de la Cour d’Appel, apprécient souverainement si le postulant est doté des qualités nécessaires.</p>
<p>Reste la question du carnet d’adresses et du rôle que jouerait ce nouvel avocat en raison de son passé de parlementaire ou d’homme politique.</p>
<p>Il faut distinguer entre le parlementaire devenu avocat et qui n’est plus parlementaire au moment où il s’inscrit au barreau : de quoi pèse alors son carnet d’adresses ? Surtout, c’est faire injure aux magistrats français que d’imaginer qu’ils sont sensibles à une influence quelconque. Je parle des magistrats qui jugent et dont je tiens à saluer l’indépendance. Si ce nouvel avocat exerce dans le monde du conseil ou de la négociation, que doit-on redouter ? Il existe maints avocats dont le carnet d’adresses est autrement plus fourni que celui de bien des parlementaires. Tant mieux pour eux s’ils sont utiles à leurs clients, dès lors qu’ils ne pratiquent la corruption ou le trafic d’influence. Si tel était le cas, il serait immédiatement traduit en conseil de discipline et radié.</p>
<p>Reste la deuxième catégorie : celle des parlementaires devenant avocat tout en continuant à exercer leur mandat. Il n’est pas possible de leur interdire sous peine de porter atteinte à l’égalité qui existe entre eux d’une part et les avocats devenus parlementaires qui continuent à exercer sous réserve des incompatibilités que j’ai énoncées tout à l’heure.</p>
<p>On pourrait imaginer qu’un nouvel article de loi dispose que le parlementaire avocat (ou l’avocat parlementaire) s’interdit de susciter, de soutenir ou de voter un texte de loi de nature à favoriser l’un de ses clients ou l’un des clients du cabinet où il exerce. Ce serait un article de plus dans la loi organique LO 149 ou dans la loi du 31 décembre 1971.</p>
<p>Voilà comment la question doit être traitée de bonne foi.</p>
<p>6) Pensez-vous qu’une réforme des conditions d’élection au CNB serait souhaitable pour assurer une meilleure représentation nationale de la profession d’avocat ? Les trois institutions : Conseil National des Barreaux, Conférence des Bâtonniers et Ordre des Avocats de Paris, sont-elles à l’unisson ? En d’autres termes, parlent-elles toujours de la même voix ?</p>
<p>Nous avons ouvert un débat au CNB lors de l’assemblée générale du début du mois de mai sur cette question. Ce débat s’est présenté comme un forum au cours duquel chacune des composantes de l’assemblée (collège ordinal Province, collège ordinal Paris, syndicat, associations, listes indépendantes) ont eu la parole 10 à 12 minutes pour exprimer leur choix sur les six grandes questions suivantes : organisation de la profession au plan local ; au plan régional ; réforme du scrutin (liste nationale ou maintien des divisions actuelles entre Province et Paris) ; maintien des corps électoraux divisés ou au contraire unification des collèges électoraux pour faire élire par l’ensemble des avocats les membres de toutes les listes, en ceux compris les ordinaux ; élection du président au suffrage universel ou par l’assemblée ; quel régime juridique pour les organes techniques (UNCA, ANAAFA, etc…) ?</p>
Une rédaction a été entreprise de l’intégralité des débats qui ont eu lieux dont nous tirerons les conclusions aux assemblées d’avant l’été pour parvenir à un projet de réforme et à un vote d’assemblée générale en septembre ou octobre prochain au plus tard.
<p>Les choses ne se feront pas en un jour. Mais elles se feront et, sur ce plan là, qu’elles que soient les différentes sensibilités qui s’expriment, et leurs légitimes différences, ce sera un vote à la majorité qui décidera du projet que nous proposerons à la Chancellerie.</p>
<p>7) Etes-vous partisan de la création du statut salarié dans l’entreprise ? Le secret professionnel ne serait-il pas menacé ? Il semble déjà l’être par les avocats de culture anglo-saxonne ? Que pensez-vous du rapport Prada ?</p>
<p>Voilà une série de questions tout à fait passionnantes et importantes. Quand j’ai créé la première relation entre la conférence du stage du barreau de Paris et le jeune barreau Américain en 1975, il y avait 13000 avocats en France et 40000 jeunes avocats américains de moins de 40 ans.</p>
<p>Au congrès de la jeune section des American Bar Association à Atlanta en 1976, j’avais découvert que l’avocat Américain pouvait exercer en entreprise. Les cartes de visite qu’il remettait portaient le logo et la marque de la société qui l’employait. Je pense notamment à l’un de mes amis de l’époque, le chef des juristes de Texaco qui avait 250 juristes sous ses ordres !</p>
<p>J’ai connu le Canada à la même époque et j’y ai fait le même constat. Comme vous le savez le solliciteur Britannique peut être le représentant légal d’une société. Il en va de même pour l’Espagnol. En France même, il est fréquent que le directeur des affaires juridiques et contentieuses d’une grande entreprise soit un ancien avocat. J’ai eu ainsi l’occasion de retrouver un confrère de ma génération. Nous avions été avocats ensemble. Puis il était devenu le juriste d’un très grand groupe en même temps qu’il siégeait comme juge au Tribunal de Commerce ! Et sous prétexte qu’il était avocat, il ne s’est jamais passé de l’assistance d’anciens confrères à lui, soit pour plaider pour l’entreprise, soit pour l’assister à l’occasion de négociation.</p>
<p>Je parle à titre personnel bien sûr, car cette question fait l’objet de débats très rude au sein du barreau Français. Mais il faut se garder des positions dogmatiques inspirées par des fantasmes. Le fait que demain un avocat soit salarié d’une entreprise ne l’empêchera pas de s’adresser à des confrères extérieurs : au contraire, cet avocat extérieur garantira en quelque sorte sa responsabilité aux yeux de son employeur et fortifiera son indépendance intellectuelle.</p>
<p>En outre, les DPE ou les PME, même d’une certaine importance, n’engageront pas un avocat en tant que salarié avec toutes les conséquences pécuniaires lourdes que cela pourrait entraîner. Elles préfèreront toujours s’adresser à lui à la tâche comme à tout prestataire extérieur.</p>
<p>J’invite d’ailleurs mes confrères à aller sur internet pour consulter le document Canadien qui aborde de manière concrète, question après question, avec ce réalisme qui fait la force des gens qui avance, la question de l’avocat dans ses rapports avec les membres de l’entreprise, depuis le Shift Manager jusqu’à la secrétaire du service, en passant par les associés minoritaires ou majoritaires. Nul plus que les Canadiens n’est sensible à la protection su secret.</p>
<p>Reste que le rapport Prada pose des problèmes. Il imagine en effet un secret professionnel au rabais, Ce qui est inconcevable à mes yeux. S’il devait exister un avocat salarié dans l’entreprise, son bureau serait un sanctuaire et il ne pourrait y avoir de perquisition qu’en présence du Bâtonnier ou de son représentant et à la seule diligence d’un juge d’instruction. La procédure serait la même que pour les perquisitions dans un cabinet d’avocats.</p>
<p>En second lieu, l’avocat licencié par l’entreprise ne serait pas justiciable de la section encadrement du Conseil de Prud’hommes.</p>
<p>Aujourd’hui, l’avocat salarié d’un cabinet d’avocat saisi en premier ressort comme juge du conflit du travail le Bâtonnier. On ne peut imposer cette solution aux entreprises. Mais l’on peut imaginer une juridiction mixte composée de représentants du MEDEF et de représentants du Bâtonnier pour trancher les conflits du travail.</p>
<p>On peut aussi imaginer une saisine du Bâtonnier par voie de question préjudicielle s’il se pose une question d’ordre déontologique qui ne peut être traitée que dans la confidence partagée, un peu à la manière de l’expertise médicale ordonnée par un juge et qui permet à un médecin de dire à son confrère désigné comme expert tout ce qu’il n’a pas le droit de dire à d’autres.</p>
<p>Bien des questions seraient à régler : la faculté laissée ou au contraire de l’interdiction faite à l’avocat salarié de plaider pour l’entreprise, alors qu’aujourd’hui le juriste salarié a le droit de représenter l’entreprise au Tribunal de Commerce ou devant le Conseil de Prud’hommes ; le devoir de vigilance et de déclaration de soupçons auprès du Bâtonnier dans le cadre de la directive anti-blanchiment transposée en 2010 en droit Français ; l’inscription au tableau de l’ordre et les cotisations y afférentes ; etc… Toutes ces questions doivent être abordées par la profession qui, si elle se contente de répondre par des apophtegmes risquera de se voir imposer une réforme qu’elle n’aura pas maîtrisée. Que la profession dise à la fin oui ou non, elle ne sera recevable à s’exprimer que s’il a regardé de très près la question dans tous ses aspects concrets.</p>
<p>Le problème du secret pour un avocat en entreprise doit être réglé, ai-je dit, comme pour les avocats libéraux ou salarié d’un cabinet d’avocat dans le rapport avec la justice. De même, vis-à-vis des tiers. En revanche, le secret de l’avocat, contrairement à certaines erreurs communes, n’est pas opposable à son supérieur, chef de l’entreprise ou mandataire social, puisque c’est précisément son client.</p>
<p>L’avocat n’a rien à cacher à son client puisque le secret est fait pour sa protection exclusive. On confond souvent deux ordres de choses : j’ai le devoir de faire lire à mon client la lettre que j’ai reçue de l’avocat de la partie adverse. En revanche, au titre de la confidentialité, je n’ai pas le droit de lui remettre la copie, sauf s’il s’agit d’une lettre officielle.</p>
<p>De ce point de vue, nous devons tenir à nos règles, sans craindre les anglo-saxons. Leur relation avec le secret n’est pas la même que la nôtre. Je ne dis ni qu’elle est pire, ni qu’elle est meilleure, c’est une autre culture dont nous reparlerons un autre jour si vous le voulez bien.</p>
<p>8) Que pensez-vous des projets d’aggravation de la procédure pénale et des peines en matière d’actes de terrorisme. L’arsenal actuel de répression n’y suffit-il pas ? Parmi les réponses à espérer ou à corriger, êtes-vous oui ou non partisan d’une réforme du statut du Parquet ? Etes-vous pour le maintien des jurés-citoyens devant les tribunaux correctionnels ?</p>
<p>La législature qui s’achève a émis une série de lois que je n’ai pas manqué de critiquer et je n’étais pas le seul. </p>
<p>Cela avait commencé avant elle il est vrai, avec l’allongement de la garde à vue à six jours en matière de terrorisme par une loi de 2004 retardant la venue de l’avocat jusqu’à la 72ème heure et même la 96ème en matière de terrorisme.</p>
<p>Les peines planchers, la rétention de sûreté et la réforme du droit des mineurs m’avaient conduit à publier, en janvier 2011 un petit essai, « La rage sécuritaire », que j’avais adressé à tous les Bâtonniers de France.</p>
<p>Dans le temps où le gouvernement et le parlement n’avaient pour toute réponse que celle de l’enfermement, le plus longtemps possible, y compris pour les enfants, nos prisons continuent à faire honte aux pays civilisés tant elles sont des pourrissoirs où la naissance ou la renaissance à l’humain relève du miracle.</p>
<p>Georges Bernanos écrivait, au lendemain de la guerre de 14-18 : « Tous les vingt ans, les jeunesses du monde posent une question à laquelle les vieux ne savent pas répondre. Faute de répondre, ils mobilisent ! ». C’est une phrase admirable qui peut être transposée exactement à notre société actuelle : faute de réponse aux angoisses de la jeunesse et notamment à cette part de la jeunesse que l’on n’éduque pas, que l’on n’intègre pas, à qui l’on ne donne pas de travail, on l’incarcère.</p>
<p>Je ne veux pas faire d’angélisme. Mais nous savons très bien que les désordres pénaux sont liés principalement à la misère culturelle financière et sociale.</p>
<p>Vous me parlez de la réforme du statut du Parquet. Elle est nécessaire en raison de l’ambiguïté actuelle. En effet, un vieux dicton énonce : « si la plume est serve, la parole est libre ». Le Parquet qui dépend de l’exécutif, reçoit naturellement des instructions. Mais il a le droit de dire, après avoir requis ce qu’on lui demande, qu’il a reçu une instruction mais qu’il n’a ???? contraire. Personne ne le fait jamais. Du moins, ne l’ai-je jamais entendu en près de quarante de vie professionnelle.</p>
Pire ! Quand on demande à un parquetier s’il a reçu une instruction, sa bouche est muette et sa porte se ferme. J’ai vu des exemples précis. D’un côté, il est naturel que l’Etat puisse être représenté en justice par un magistrat qui porte sa parole. Il est souhaitable qu’il y ait une politique pénale unifiée pour l’ensemble du territoire et non pas laissée à la discrétion de chaque Procureur général selon son propre système de valeur ou de priorité. Mais il faut redonner au Procureur la liberté de parole. Leur devoir les conduira à opérer comme on leur demande et en indiquant qu’on leur a demandé, les instructions devant être publiques. Ils auront ensuite la faculté de dire ce qu’ils pensent si c’est différent de l’ordre reçu.
<p>Pour ce faire, il faut que leur carrière, leur avancement, leurs décorations ne dépendent pas de l’exécutif et qu’ils ne soient pas menacés à tout moment d’être mis au placard parce qu’ils auraient déplus.</p>
<p>Telle est, à titre personnel, la réforme qui me paraît souhaitable.</p>
<p>Elle sera beaucoup plus utile que l’institution des jurés-citoyens qui, en réalité, a consisté à faire entrer les tricoteuses dans les salles d’audiences dans l’espoir de faire aggraver les peines que des magistrats prétendument laxistes n’oseraient plus prononcer. Vous connaissez le débat qui a opposé le Président de la République au juge. J’espère que ces temps sont définitivement révolus.</p>