4 juin 2012
Retranscription Interview de Agnès Bricard et Christian Charrière-Bournazel
Question : on a l’impression que les relations entre avocats et experts-comptables sont aujourd’hui de qualité, en tous cas au niveau de leurs institutions, après des périodes de tension. Comment expliquez-vous cela ?
Agnès Bricard : Les avocats et les experts-comptables sont, de façon complémentaire, au service des entreprises. Les cabinets font très bien ce travail. Les institutions aussi, par leur prise de positions politiques et, plus récemment, avec la loi sur l’interprofessionnalité. Cette dernière est dotée des décrets monoprofessionnels pour nos deux métiers du chiffre — l’un pour les experts-comptables, l’autre pour les commissaires aux comptes — et sera accompagnée cet été du décret d’application sur l’interprofessionnalité entre métiers du chiffre et du droit.
Christian Charrière-Bournazel : Le climat apaisé qui règne entre nos deux professions est dû à un premier facteur : la qualité de Madame Agnès Bricard, que je salue particulièrement pour sa volonté affichée et déterminée, manifestée depuis sa prise de fonctions, d’une relation de grande harmonie et de complémentarité avec la profession d’avocat. Nos deux professions ont l’habitude de travailler ensemble sur beaucoup de dossiers. Il est paradoxal de voir des conflits au plan institutionnel, alors que dans la vie quotidienne, nous sommes les uns avec les autres au service des mêmes personnes. Il faut surmonter cela. Pour ce faire, il faudra de la volonté, un peu d’imagination et un sens aigu du réel. Il ne suffit pas de dire qu’on va s’entendre et qu’on va s’associer, il faut savoir comment.
Question : quelles solutions concrètes proposez-vous pour que l’interprofessionnalité soit une réalité sur le terrain ?
CCB : Un texte d’application interviendra bientôt pour autoriser l’interprofessionnalité capitalistique et donc autoriser, des professions non juridiques à entrer au capital de SPFPL qui détiendraient des structures d’exercice juridique. C’est une évolution considérable, mais il faudra prévoir tous les verrous nécessaires pour garantir l’indépendance des avocats et éviter les risques de chantage à la cessation de la participation financière. Concernant l’interprofessionnalité capitalistique, on pense d’abord aux professionnels, qui vont s’associer ensemble au plan de leurs intérêts pécuniaires. Mais ce qui nous plaît davantage, à Madame Bricard et à moi, c’est de faire avancer les choses concrètement, dans l’intérêt des personnes que nous avons mission de servir et donc d’avoir une démarche utile vers une interprofessionnalité fonctionnelle.
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Agnès Bricard : J’aime beaucoup ce terme d’interprofessionnalité fonctionnelle qui démarre aujourd’hui par l’assurance santé des entreprises. Ce nouveau dispositif est destiné à fournir aux entités en difficultés un accompagnement par un expert-comptable ou un avocat alors même que l’entreprise, malade, souffre généralement de problème de trésorerie. Il est accessible aux sociétés comme aux entreprises individuelles qui ont volontairement souscrit à cette assurance disponible auprès de 9 compagnies. Cet accompagnement peut être obtenu après qu’une ordonnance ait été prise par le président du tribunal de commerce à la demande des experts de crise, avocats ou experts-comptables. L’interprofessionnalité fonctionnelle doit porter aussi sur les transmissions d’entreprise. Avocats et experts-comptables doivent accompagner ces opérations ensemble.
Les avocats y jouent un rôle essentiel en raison de la présence des clauses de garantie d’actif et de passif. Nous, experts-comptables, devons aussi faire en sorte de favoriser les transmissions d’entreprise. C’est une source de modernisation du tissu économique qui ne doit pas nous faire craindre de perdre des honoraires. C’est pour cette raison que nous menons une réflexion pour introduire un système mixte pour que notre profession obtienne une rémunération fixe et un honoraire de succès.
Comment cette collaboration sur le terrain pourrait-elle se traduite en termes d’interprofessionnalité d’exercice ?
CCB : Nous travaillons à un projet de modèle de GIE interprofessionnel, que nous espérons pouvoir présenter à nos professions respectives avant l’été. Avocats et experts-comptables qui le souhaitent pourraient ainsi travailler ensemble, dans les mêmes locaux. Notre idée, c’est de proposer des GIE, dans lesquels seraient mis en communs des moyens et des frais. Les bénéfices ne seraient pas communs, mais le partage de la structure est quelque chose d’important. Au sein de ce GIE, les décisions seront prises à égalité de voix, pour éviter les déséquilibres. Pour la déontologie, les règles les plus exigeantes s’appliqueront, qu’elles viennent de l’avocat ou de l’expert-comptable. Cette réunion de professionnels ne fera pas baisser le niveau éthique, au contraire. Sur le plan du secret, il suffira, au sein du GIE, de reprendre et d’adapter la solution qui existe déjà dans les cabinets d’expertise comptable, où l’un des deux associés est CAC et l’autre pas: l’avocat ne sera pas le conseil de la société dont l’expert-comptable sera CAC, et réciproquement. Nous aurons, grâce à ces échanges l’opportunité de devenir meilleurs en donnant aux clients un service complet avec une synergie formidable.
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Agnès Bricard : J’ajouterai deux choses. Premièrement, nous devons détecter les vulnérabilités et les opportunités des entreprises. Les avocats le font avec la veille juridique et nous avec celle économique et financière. Deuxièmement, nous, experts-comptables, allons faire en sorte de créer, avec les avocats, dans les PME un réflexe d’intelligence économique pour qu’elles soient plus compétitives. Troisième volet, la protection des actifs de ces entreprises y compris de leur savoir-faire, ce qui va au-delà de la protection des brevets. Nous avons mis en ligne ces trois volets sous la forme d’un scoring dans lequel les entreprises vont pouvoir s’auto-évaluer. Enfin, j’ajouterai le sujet des femmes, c’est à dire de la gouvernance des entreprises. Nous allons lancer la fédération des femmes administrateurs qui regroupera l’association des femmes experts-comptables administrateurs, que j’ai créée en novembre 2010, l’association des femmes huissiers, l’association des femmes avocats, l’association des femmes juristes d’entreprise. Cette fédération interprofessionnelle servira les ETI (entreprises de taille intermédiaire) dont les conseils d’administration doivent, au plus tard en 2017, être composés d’au moins 40% de femmes.
Question : Experts-comptables et avocats veulent, chacun dans leur cadre professionnel, pouvoir réaliser des activités commerciales. Quels en sont les objectifs et quelles en seraient les modalités d’application ?
CCB : Il faut d’abord savoir de quoi on parle. Le fait de rédiger un contrat de cession de fonds de commerce pour un client relève-t-il davantage de l’activité juridique civile ou de l’activité commerciale à titre accessoire ? Il convient donc de s’entendre sur une définition de l’activité commerciale.
Pour le moment ce n’est pas clair et la jurisprudence elle-même n’est pas clairement établie. Partout où il y a du droit, l’avocat est légitime et il est dans son rôle, parce qu’il a une déontologie exigeante, sanctionnée par un conseil de discipline que peut éventuellement saisir le procureur général en plus du bâtonnier. L’avocat, qui doit traiter à armes égales avec le cocontractant et ne doit pas le surprendre, est ici dans son rôle. Il a le devoir d’être toujours vigilant quant aux intérêts de l’autre partie dans le domaine contractuel. C’est cela qui distingue l’avocat en action d’un simple professionnel du commerce qui n’a pas ces responsabilités éthiques.
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Agnès Bricard : Je suis d’accord sur la nécessité de définir l’activité commerciale. Je rajouterai que nous sommes à 75% dans des activités mixtes puisque nous sommes 19000 experts-comptables dont 12000 sont aussi commissaires aux comptes. Donc la Chancellerie est contre tout ce qui est activités commerciales, en pensant par exemple aux assurances, donc à ce fameux registre Orias (organisme pour le registre des intermédiaires en assurance) sur lequel nous aurions à nous inscrire. Je ne souhaite pas que l’on prenne une position permettant de nous inscrire chez Orias. Je n’ai pas envie que le registre Orias se substitue à notre institution. Nous ne voulons être ni courtiers, ni indicateurs, ni prescripteurs.
Question : Les projets d’avocat en entreprise et d’expert-comptable en entreprise semblent avoir pris des orientations différentes, les premiers devant respecter la déontologie et le secret professionnel, alors que les seconds seraient considérés comme des salariés ordinaires. Pour quelle raison ?
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Agnès Bricard : nous voulions un statut particulier pour les experts-comptables diplômés qui travaillent en entreprise, comme les avocats souhaitent un statut particulier des avocats en entreprise. Le Medef a souhaité qu’on arrête là nos travaux pour ne pas ajouter de complexité dans les relations de travail et notamment en cas de licenciement d’un expert-comptable diplômé. Nous avons donc choisi une autre approche, qui n’est plus latine mais anglo-saxonne, qui mette en avant notre rôle économique pour mener des actions telles que le renforcement des fonds propres. C’est pour cette raison que nous avons demandé à créer une liste spéciale pour les experts-comptables salariés d’entreprise. Mais ce n’est pas un statut.
CCB : Le problème vient, en premier lieu, du fait qu’en France, on est d’abord pour le dogme. Et si le réel dément le dogme, c’est le réel qui se trompe. Dans notre vieux pays jacobin, nous sommes dans des corsets que nous n’arrivons pas à faire sauter. C’est cependant très simple :l’avocat en entreprise serait salarié de l’entreprise, et alors ? L’avocat qui n’a qu’un client, est-il vraiment libéral et indépendant ? La crainte pour l’indépendance de l’avocat dans l’entreprise, quand on sait qu’il y a des avocats qui n’ont qu’un seul client ou tout comme, est infondée. Il faut arrêter les fantasmes. Deuxièmement, il n’y aura pas de secret au rabais. Le cabinet de l’avocat salarié de l’entreprise, s’il existait demain, serait comme le cabinet de l’avocat dans son appartement parisien ou provincial : un sanctuaire. Je vais donc m’efforcer de faire preuve de pédagogie pour montrer aux avocats que leur intérêt, c’est d’avoir des avocats salariés de l’entreprise qui feront appel à eux. Mais c’est tout un débat. Je précise que je m’exprime, sur ce sujet, à titre personnel et non pas comme président du CNB puisqu’il n’a pris aucune décision sur ce point.