Dossier Professionnels du droit et du chiffre en Europe
Interview du bâtonnier de Paris, Christian Charrière-Bournazel
Quelles sont les spécificités du barreau de Paris ?
Le Barreau compte actuellement plus de 20.000 avocats, soit 45% des avocats français. C’est un barreau composé majoritairement de femmes, depuis novembre 2008. La part des femmes atteint même les 65% dans les jeunes générations. Cette importance numérique des avocats à Paris s’explique par le caractère centralisé de notre pays. La conférence des bâtonniers a d’ailleurs été historiquement créée afin de contrebalancer l’importance du barreau parisien. Désormais, le CNB permet aux avocats de parler d’une seule voix, puisque le Président de la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier de Paris sont membres de droit du bureau du CNB. Paris est attirant pour les cabinets d’affaires internationaux, car c’est une place économique centrale en Europe. Mais, peu de cabinets français pèsent à l’étranger. Les Français sont si bien en France qu’ils n’ont pas envie de s’en aller !
Quel est votre principal cheval de bataille au niveau européen ?
Les directives anti-blanchiment. Ce sujet est d’ailleurs révélateur d’une déontologie commune aux professionnels de droit latin, que l’on ne retrouve pas outre-manche. La 3ème directive ne pose pas de problème aux solicitors anglais. Sur 27 pays européens, 14 n’ont pas encore transposé. Nous attendons avec impatience l’arrêt du conseil d’Etat, relatif aux décrets de transposition. En France, les déclarations de soupçon des avocats doivent être effectuées par l’intermédiaire du bâtonnier, ce qui n’est déjà pas le cas dans tous les pays européens. Mais le principe de la déclaration d’un soupçon demeure inacceptable.
Comment procédez-vous pour inciter des avocats français à voir de nouveaux horizons ?
Le barreau de Paris propose des prêts aux élèves de l’École de Formation du Barreau (EFB) de Paris pour compléter leur formation à l’étranger. Cette convention présente la particularité de proposer à ces élèves des prêts sans avoir à fournir de la caution d’un tiers. C’est l’Ordre des avocats de Paris qui se porte caution, avec la banque. Le prêt peut aller jusqu’à 70 000 euros, avec un remboursement sur cinq ans, après un différé de deux ans.
Que pensez-vous de l’idée d’une grande profession du droit, en Europe?
Partout où le droit est en question, l’avocat est concerné, car la profession d’avocat est garante d’une éthique et d’une déontologie. En France, la réflexion est à l’ouverture de la profession à des activités connexes : mandataires en transactions immobilières, agents sportifs,… La plus value de l’avocat est parfaitement perceptible dans les débats sur la question d’un statut d’avocat en entreprise. L’avocat sera libre de refuser ce qu’on lui propose en faisant jouer sa clause de conscience, et en même temps il sera considéré par le chef d’entreprise comme un confident du fait de son secret professionnel.
Globalement, cinq critères font la force du métier d’avocat : la notion de service dans le droit, l’indépendance, le secret professionnel absolu, l’inflexibilité relative au conflit d’intérêts, et le désintéressement. Nous ne sommes pas en affaires avec nos clients.
Quelle est la situation financière des avocats parisiens ?
Le revenu médian est de 60.000 € par an. Cependant, avant la crise, 17% du barreau gagnait moins que le SMIC, même si ce chiffre est à relativiser par rapport aux activités connexes que peut exercer un avocat (ex : chargé de TD). Par ailleurs, l’Ordre a mis en place un système afin d’aider les avocats en avançant le solde de leurs cotisations pour obtenir le versement de leur retraite. Nous avons également créé un système d’assistance au recouvrement des honoraires pour les clients récalcitrants, avec la constitution d’un groupe d’avocats spécialisés en la matière.
Comment expliquez-vous que la plupart des cabinets parisiens soient regroupés dans le 8ème arrondissement, et moins dans des quartiers populaires, tels que le 19ème ou le 20ème ?
La profession a parfois une conception bourgeoise de son activité, qui altère le sens de la proximité avec les clients. Il est vrai qu’il y a aussi moins de locaux professionnels dans les quartiers évoqués. Pour remédier en partie à cette situation, nous avons signé une convention avec la Chambre des métiers et de l’artisanat de Paris. Nous avons mis en place un module de formation généraliste pour répondre aux besoins en droit des entreprises. Les avocats, ayant suivi cette formation, reçoivent un certificat et sont ensuite inscrits sur une liste de la Chambre des métiers. Le chef d’entreprise pourra ensuite choisir dans cette liste un avocat capable de réaliser ses actes juridiques pour un abonnement modique.