Me Christian Charrie?re-Bournazel
Je représente ici l’ensemble des avocats de France . Je voudrais réagir tout de suite aux propos de Mme le Professeur selon lesquels la France serait le « pays des droits de l’homme ». Lors d’un précédent colloque, j’ai eu l’occasion de dire que la France semble écrasée par son héritage, au lieu de le porter haut et loin. Robert Badinter m’avait répondu lors de ce colloque que la France n’est pas la patrie des droits de l’homme ; elle est en réalité la patrie des déclarations des droits de l’homme. Je pense qu’il faut toujours garder cette réponse en mémoire.
La prison telle qu’elle est conçue et pratiquée, telle que les juges eux-mêmes se la représentent, nous paraîtra probablement, si l’esprit évolue comme il l’a fait ces derniers siècles, aussi impensable que l’est aujourd’hui la roue pratiquée avant la Révolution française ou les supplices de l’Inquisition.
Nous avons une réflexion à conduire sur ce qu’a de révoltant le système même carcéral. La prison, c’est la privation de liberté. C’est un droit tout à fait essentiel qui est enlevé à une personne humaine. Cela s’accompagne de tellement d’autres privations que l’on est au-delà de la simple privation de la liberté. La façon de punir, lorsque des délits ou des crimes ont été commis, ne doit pas conduire à avoir comme seule réponse celle de l’enfermement.
Or, ce sont d’abord les tribunaux qui ont la responsabilité d’envoyer en prison. Ils ne peuvent pas se décharger sur le fait que ce serait à l’administration pénitentiaire d’aménager la peine. La première décision importante est celle du Conseil constitutionnel du 10 mars 2011. Il y est affirmé que l’exécution des peines privatives de liberté « en matière correctionnelle et criminelle a été conçu non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion. » Punir est une chose, mais on n’enseigne pas à quelqu’un la naissance ou la renaissance à l’humain en lui témoignant mépris, irrespect ou en l’assujettissant à des tourments qui ne lui permettent pas de penser à autre chose qu’à lui-même.
Une autre jurisprudence essentielle de la CEDH rappelle que la prison est un lieu soumis au droit et aux principes de l’Etat de droit. C’est un arrêt déjà très ancien, qui date de 1984 : l’arrêt Campbell. La Cour européenne des droits de l’homme dit dans cet arrêt que la justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons. Rien ne permet de priver les détenus de la protection de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, c’est-à-dire le droit à un procès équitable. On n’est pas, parce que l’on est en prison, devenu un objet ou un animal : on reste une personne humaine.
C’est la raison pour laquelle j’ai beaucoup de reconnaissance à l’égard du conseiller d’État Jean-Marie Delarue, contrôleur des lieux de privation de liberté, qui n’a pas hésité à dire à quel point il avait constaté des violations graves des droits des personnes détenues. Je vous renvoie à son rapport du 24 octobre 2011, dans lequel il dit que les violations de ces droits ne concernent pas seulement l’organisation des systèmes pénitentiaires, ou les décisions prises à leur encontre, mais le fonctionnement le plus quotidien de l’incarcération. Il y est écrit : « On doit se souvenir aussi que la capacité de se plaindre de ces personnes ou d’exercer un recours est nécessairement limité du fait de l’insuffisance de moyens, de la pauvreté d’informations et de la possibilité de mesures de rétorsion ».
Ainsi, le Conseil national des barreaux se préoccupe de cette situation, tout comme vous. Nous ne pouvons qu’être reconnaissants à nos compatriotes d’être aussi présents aujourd’hui et à l’OIP de faire le travail remarquable qu’il fait. C’est un concours de volontés et d’efforts qui permettront de changer les choses et d’abord de changer les mentalités.
Il faut que soit élaboré en France un véritable code de l’application de la peine. C’est le sens de la résolution du Conseil national des barreaux du 21 avril 2012. Ce code devrait comprendre les modalités d’exécution des peines prononcées, les règlements intérieurs des établissements de détention, les mesures destinées à favoriser la réinsertion des condamnés et l’indemnisation des victimes.
Ce code devrait aussi prévoir un régime disciplinaire des détenus, pour que ceux-ci ne soient pas livrés à l’arbitraire de l’administration. Il faut qu’existe en effet une véritable procédure juridictionnelle pour que les juridictions d’application des peines avaient une véritable autonomie et que tout ce qui se passe à l’intérieur de la prison, notamment en matière de répression d’actes délictueux entre détenus ou envers les gardiens, soit le fait d’une commission de discipline en détention, dotée d’un statut juridictionnel avec un exercice plein des droits de la défense. À cet égard, je signale le jugement très récent d’un tribunal qui a annulé une sentence administrative d’un centre pénitentiaire parce que le prisonnier n’avait pas eu accès à un enregistrement que l’on voulait lui opposer. Par conséquent, le droit essentiel que constitue la communication des pièces avait été violé.
Je vous rappelle aussi que le Contrôleur des lieux de privation de libertés a poussé un cri d’alarme à propos de la prison des Baumettes, mais ce cas n’est pas isolé. J’en appelle au sens des responsabilités des juges : peut-on considérer qu’un tribunal peut, de manière totalement abstraite, condamner à une peine dont il n’a pas expérimenté le contenu ou dont il ne peut pas ignorer qu’il sera inhumain et dégradant ? Peut-il le faire sans être, plus que moralement responsable, juridiquement responsable ? C’est une question que je pose et que je continuerai à poser car on ne peut pas se réfugier derrière l’autonomie des pouvoirs, le judiciaire d’un côté, le pénitentiaire de l’autre, pour laisser à l’abandon des personnes humaines qui seront dans la maltraitance, les traitements inhumains et dégradants, comme si cela ne regardait pas celui qui les a ordonnés.
À l’époque de ce colloque, Me Christian Charrière-Bournazel était président du Conseil National des Barreaux.