Rien n’est plus approximatif, inexact même, que d’assimiler l’avocat à l’acteur.
L’avocat a l’impérieuse obligation d’être lui-même pour convaincre, tandis que l’acteur a le devoir d’être un autre. Ils n’ont en commun que le devoir d’affronter un public, plus ou moins averti, ignorant ou blasé.
Mais les qualités communes qu’on leur attribue pour être efficaces (la présence, la tenue, la voix) ne sont qu’accessoires vis-à-vis de l’essentiel qui les caractérise, exactement opposé pour l’un et pour l’autre.
L’acteur s’efface pour devenir qui il n’est pas. Il doit s’oublier et se fuir. Il ne s’incarne en autrui qu’aux dépens de sa propre identité. Il doit pouvoir être tantôt Alexandre ou Lorenzaccio, Arnolphe ou Horace, Hémon ou Créon. Quand l’acteur joue si juste qu’on a peine à reconnaître l’homme, il atteint le sommet de son art.
L’avocat, au contraire, ne s’identifie jamais au personnage qu’il assiste et au nom duquel il parle. Il a soin d’en demeurer distant. Il convainc par ses qualités propres, sa science du droit, son humanisme, la force de son caractère et sa réputation d’intégrité. Il métamorphose l’humain médiocre et confus – le réel brut – en œuvre cohérente et achevée, sans concéder pour autant à la vulgarité du mensonge. Comme un alchimiste, il s’efforce de transformer en noble métal la terre grise, voire la boue, de notre commune condition. Il n’est pas acteur, il est auteur.
Enfin, ce que met en jeu l’acteur est sans proportion avec la charge qui pèse sur l’avocat. Lorsque l’acteur fait un four, il ne compromet que sa gloire. Le texte qu’il a mal servi, comme le personnage qu’il n’a pas su incarner, lui survivent ; un autre les fera rayonner à nouveau. Mais l’avocat, lui, porte le poids d’une aventure humaine, d’une espérance, d’une tragédie qu’il doit faire passer des ténèbres vers la lumière. Un univers de déception et de souffrance où, à l’inverse, l’embellie d’un nouveau monde peuvent naître de sa prestation. S’il n’est pas indifférent aux louanges comme aux critiques dont la rumeur publique l’accompagne, il est constamment ramené de la jouissance de soi, toujours éphémère, au service des autres qui est l’essence de sa vie et de son engagement.
Aimons les deux sans les confondre, l’acteur qui nous fait croire au rêve et l’avocat qui rend vivable le réel.
Christian Charrière-Bournazel
21 avril 2010
(311ème anniversaire de la mort de Jean Racine)