Intervention donnée dans le cadre d’un colloque organisé au Parlement belge par l’Institut d’études sur la Justice sur la « Répétibilité des honoraires de l’avocat »
L’imputation des honoraires de l’avocat à la partie qui a perdu le procès devrait aller de soi.
En effet, l’aspiration à la justice est l’une des plus profondes passions humaines. Le droit à la justice fonde les sociétés démocratiques. Comment justifier qu’il en coûte au citoyen pour exercer son droit?
Pourtant, près de trente ans après l’entrée en vigueur en France du décret qui a permis au juge de faire supporter au plaideur défaillant les honoraires de son adversaire, on est bien loin d’une imputabilité systématique et d’une réparation autre que symbolique la plupart du temps.
Je développerai mes réflexions en trois points :
– la loi et l’esprit de la loi ;
– les réticences de la jurisprudence ;
– la responsabilité des avocats en ce domaine.
I. LES TEXTES ET L’ESPRIT DE LA LOI
Trois ordres de texte régissent la matière :
– l’article 700 du nouveau code de procédure civile pour tous les litiges relevant de l’ordre judiciaire civil ;
– l’article 475-1 du code de procédure pénale pour ce qui concerne les juridictions répressives ;
– l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs pour ce qui concerne cet ordre de juridiction compétent pour trancher les litiges entre le citoyen et l’État.
A – LES TEXTES
1°) L’article 700 du nouveau code de procédure civile
Dans sa première rédaction, bientôt trentenaire, issue d’un décret du 29 juillet 1976, cet article a institué pour la première fois l’imputabilité dans les termes suivants :
« Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine ».
Cette rédaction très laconique permettait au juge de condamner aussi bien la partie qui succombe que la partie qui gagne à supporter les honoraires de son adversaire: un arrêt de la 2ème chambre civile de la cour de cassation du 1er décembre 1982 avait admis, à titre exceptionnel, que la partie gagnante fût condamnée sur le fondement de l’article 700, s’agissant d’un créancier qui avait utilisé une procédure trop longue pour recouvrer une créance minime. La rédaction initiale de l’article laissait donc le champ libre au juge contre le plaideur qui aurait abusé de son droit à agir légitimement en justice.
Une loi du 10 juillet 1991 modifiant le régime de l’aide juridique comporte un article 75 I repris littéralement par le décret du 19 décembre 1991 modifiant l’ancien article
700 qui désormais est rédigé dans les termes suivants :
« … dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ».
Dans cette nouvelle rédaction, seule la partie perdante peut être condamnée à payer une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, c’est-à-dire les honoraires de l’avocat.
Dans la rédaction antérieure, le soin était laissé au juge de déterminer cette somme. La nouvelle rédaction lui fournit des critères d’appréciation, il est vrai assez imprécis : l’équité et la situation économique de la partie condamnée.
2°) L’article 475-1 et l’article 472 du code de procédure pénale
Ces deux articles inscrits dans le code de procédure pénale sont destinés à permettre de faire supporter au prévenu reconnu coupable une partie des frais irrépétibles exposés par la partie civile aux fins de sa défense (article 475-1) et de faire supporter ces mêmes frais, en cas de relaxe du prévenu, à la partie civile qui a déclenché l’action publique (article 472), sans préjudice des autres dommages et intérêts pour dénonciation calomnieuse ou abus de constitution de partie civile prévu par les textes.
3°) L’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs
Il dispose :
« Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ».
B – L’ESPRIT DE LA LOI
– L’imputation des honoraires n’est jamais obligatoire
Elle énonce d’abord un principe selon lequel le juge « condamne » la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre quelque chose au titre des honoraires de son avocat.
Mais c’est aussitôt pour préciser que le juge peut aussi dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.
La première observation, c’est que le législateur a délibérément écarté le principe d’une imputabilité systématique des honoraires de l’avocat de la partie qui triomphe à celle qui succombe.
En même temps, se trouve supprimée la latitude laissée au juge dans la première rédaction de condamner éventuellement la partie qui a gagné aux honoraires de celle qui a perdu en cas d’abus du droit de plaider et de vaincre.
Enfin, avec une sorte de pudeur qui justifierait une psychanalyse collective de la société française dans ses rapports avec l’argent, le mot « honoraires » et le mot
« avocat » ne sont pas prononcés par le législateur autrement que par une périphrase digne de la Préciosité du XVIIème siècle :
«Au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ».
– L’imputation est à la discrétion du juge
A cet égard, deux observations s’imposent : la première c’est que dans un système de liberté de fixation des honoraires (exactement contraire au système allemand où l’honoraire est tarifé par la loi), le législateur n’a pas voulu que le sort du plaideur qui succombe dépendît des conventions d’honoraires préétablies entre une partie et son avocat.
On ne saurait l’en blâmer : la convention d’honoraires entre un plaideur et son avocat, dans un système de libre fixation des honoraires, est une res inter alios acta. Elle ne peut avoir d’effet qu’entre les parties signataires. L’extension de ses effets à un tiers ne peut être que le fait d’un juge qui la prend en compte au regard des principes régissant la responsabilité civile : la faute qui a consisté à faire un procès injuste oblige celui qui l’a perdu à réparer une partie des conséquences dommageables parmi lesquelles les honoraires exposés.
Mais dans le même temps, le juge, livré à lui-même, ne dépend que de sa conscience et de sa subjectivité pour décider de manière souveraine s’il y a lieu ou non à application de l’article 700 et dans quelles proportions.
Là réside toute l’imperfection du système dont je parlerai en troisième partie : comment un juge qui ne sait rien de l’équilibre économique d’un cabinet d’avocats et à qui l’avocat la plupart du temps ne fournit aucun moyen d’évaluation de ses diligences peut-il déterminer la réalité du préjudice subi par le plaideur qui a dû payer son avocat ? Surtout est particulièrement critiquable la disposition du texte qui institue une sorte d’exonération de responsabilité au profit de la partie économiquement faible, même si elle a abusé de son droit à la justice, soit parce qu’elle y a recouru à tort, soit parce qu’elle a préféré être assignée plutôt que de s’exécuter avant jugement.
II. L’INTERPRÉTATION JURISPRUDENTIELLE DES TEXTES
La jurisprudence a défini le domaine d’application par rapport aux juridictions, aux procédures et aux parties.
Elle a défini le régime juridique de l’article 700.
Enfin, bien qu’il n’y ait pas de recensement systématique des condamnations, le quantum des condamnations prononcées mérite examen.
A – LE DOMAINE D’APPLICATION DE L’ARTICLE 700
1°) Les juridictions
Cet article s’applique devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire : cour d’appel, tribunal de grande instance, tribunal d’instance, conseil de prud’hommes chargé des litiges en matière de droit du travail, sécurité sociale malgré la gratuité de la procédure, juge de l’exécution et même commission d’indemnisation des victimes d’infractions.
Devant les juridictions pénales, c’est l’article 475-1 qui trouve application. L’article 700 s’applique encore devant toutes les formations des juridictions, aussi bien la formation de référé ou le juge unique que les formations collégiales.
Il s’applique aussi non pas devant le Conseil de la concurrence mais en appel lorsque la cour juge un recours contre une décision du Conseil de la concurrence.
Le contentieux fiscal, lorsqu’il relève des juridictions judiciaires (droits d’enregistrements, droits de succession, responsabilité personnelle des chefs d’entreprise pour les impôts dus par la société, etc …) ne fait pas exception à l’application de la répétibilité des honoraires d’avocats.
Il en est de même pour le contentieux électoral ou pour le contentieux relatif à l’élection aux conseils des prud’hommes.
2°) Les procédures
L’article 700 trouve application même dans les matières où la représentation par avocat n’est pas obligatoire ni même l’assistance d’un avocat : devant les conseils de prud’hommes où le salarié peut se faire assister par un délégué syndical, par exemple.
Simplement dans tous les cas, le bénéfice de l’article 700 ne peut être demandé que pour les sommes exposées dans le cadre de l’instance où il est sollicité et non, par exemple, pour les sommes exposées à l’occasion d’une procédure antérieure.
Il ne peut être réclamé que pour des sommes exposées en raison d’une instance.
En revanche, lorsque l’affaire vient devant la cour d’appel, le bénéfice de l’article 700 peut être sollicité pour l’ensemble des sommes exposées à la fois en seconde et en première instances.
Bien entendu, pour que la demande fondée sur l’article 700 soit recevable, il faut que la procédure le soit elle-même.
3°) Les parties
C’est la partie perdante ou la partie qui est condamnée aux dépens qui peut se voir réclamer l’article 700.
Même si elle n’est condamnée qu’à payer une fraction des dépens (dans le cas d’un partage de responsabilité entre plusieurs co-défendeurs par exemple), une partie peut être condamnée au titre de l’article 700. Elle peut même l’être au profit d’une partie elle- même condamnée à payer une fraction des dépens.
Inversement, le bénéfice de l’article 700 peut être accordé à une partie bien que celle-ci n’ait pas obtenu gain de cause sur toutes ses demandes.
La réduction en cause d’appel de la condamnation d’une partie ne fait pas obstacle à l’application de l’article 700 à son encontre.
Enfin, un sort différent est fait à l’administration lorsqu’elle est justiciable des tribunaux judiciaires : dès lors que l’administration se confond avec la collectivité, il est apparu qu’il ne serait ni équitable ni économiquement injustifié de laisser aux demandeurs qui ont gagné contre elle la charge de leurs frais irrépétibles !
Encore une particularité propre à la France où l’on sait que l’État est premier et les personnes subsidiaires.
B – LE RÉGIME JURIDIQUE
L’article 700 fonde une demande de la même nature que les autres demandes en justice : son bénéfice ne peut être accordé que s’il est demandé.
La nature de la demande qui le concerne est une demande incidente.
En second lieu, l’article 700, même s’il a un caractère indemnitaire, n’est pas subordonné à la condition d’une faute. La recevabilité de la demande fondée sur l’article 700 n’impose pas que les frais irrépétibles invoqués aient été préalablement payés.
S’agissant d’une demande indemnitaire, par application des principes du code civil, la somme allouée par le juge à ce titre emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Les intérêts courent à compter du prononcé du jugement, sauf si le juge en a décidé autrement.
Enfin, parce que c’est une demande indemnitaire, l’application de l’article 700 relève du pouvoir discrétionnaire du juge. La jurisprudence l’a rappelé constamment depuis l’origine, en même temps qu’elle a souligné le pouvoir souverain d’appréciation de la condition d’iniquité posée par l’article 700.
Rappelons-nous, en effet, que ce qui détermine le juge à faire application de l’imputabilité des honoraires à la partie perdante, c’est l’idée qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie victorieuse des frais non compris dans les dépens qu’elle a dû exposer aux fins de sa défense.
Aucun critère objectif n’a été exprimé par la jurisprudence qui définirait l’iniquité et la cour de cassation estime que le juge s’est suffisamment expliqué lorsqu’il a recouru au visa de l’article 700 sans davantage d’indication.
Ce pouvoir discrétionnaire en vertu duquel le juge se détermine sans avoir à s’expliquer sur son appréciation de l’équité conduit, en fait, à un véritable arbitraire, d’autant plus sensible que les réparations accordées sont la plupart du temps sans rapport avec le coût du procès.
C- LES SOMMES ALLOUÉES
Pour le même type d’affaires, elles sont extrêmement variables d’une juridiction à l’autre comme au sein de la même composition du tribunal d’une affaire à l’autre, dans des cas tout à fait voisins.
A titre d’exemple : la chambre de la presse du tribunal de grande instance de Paris accorde 1.500 €, dans la meilleure des hypothèses, à la victime de la diffamation qui a gagné son procès. Que ce soit au civil (article 700) ou au pénal (article 475-1).
Or, la TVA étant à 19,60 %, c’est un honoraire net de 1.254,18 € qui est ainsi alloué dans des affaires où la procédure est particulièrement exigeante, où les actes ont pu être nombreux (par exemple, notification d’offre de preuve, citations à témoins, citations sur et aux fins pour interrompre la prescription, etc …). Les adversaires sont des sociétés de presse largement subventionnées par des fonds publics et l’on voit mal par conséquent sur quoi se fonde l’appréciation en « équité » de cette aumône judiciaire.
– Les tribunaux de commerce, qui ont davantage le sens des réalités et qui savent que l’honoraire de l’avocat n’est pas un argent de poche qui lui bénéficierait mais qu’il représente un chiffre d’affaires destiné d’abord à payer des frais, ensuite des cotisations, taxes et impôts de toutes natures, se montre un peu plus généraux.
– Les tribunaux d’instance ou les conseils de prud’hommes sont particulièrement réticents à prononcer des condamnations significatives.
Une fois, la 4ème chambre de la cour d’appel de Paris, dans une affaire de contrefaçon de modèle d’objets en porcelaine, a prononcé une condamnation plus importante. Les intérêts pécuniaires en jeu n’étaient pas considérables puisque les dommages et intérêts obtenus à la fin, au titre du préjudice commercial, ont été de l’ordre de 150.000 €. Mais l’article 700 a été fixé à un peu plus de 30.000 € par la cour. Cette décision tranchait tellement avec les habitudes que les confrères qui pratiquent régulièrement cette matière ont été nombreux à m’en parler comme d’une merveilleuse surprise. Il n’y avait pourtant pas de miracle. Simplement les juges avaient pris en compte des éléments objectifs que leur avait apporté la défense pour justifier sa demande et c’est tout le problème de la responsabilité partagée entre les avocats et les magistrats.
III. LES RESPONSABILITÉS PARTAGÉES
Je dirai quelques mots de la problématique posée, des moyens de renforcer les justes demandes d’article 700 et enfin les idées à explorer.
A – LA PROBLÉMATIQUE
J’ai abordé cette question en commençant.
Le système français implique la liberté de l’honoraire. C’est la conséquence de grands principes : la liberté des prix codifiés à l’article L.410-2 du code de commerce et affirmée dans la loi fondatrice de la profession du 31 décembre 1971 en son article 10 alinéa 2 :
« A défaut de convention entre l’avocat et son client, l’honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ».
Toute tarification des honoraires est interdite. Le Conseil de la concurrence, faisant application des textes du code de commerce, a condamné des ordres d’avocats pour avoir proposé à leurs membres des grilles de barèmes d’honoraires équivalant en fait à une entente prohibée.
Il n’existe donc pas de paramètre mathématique qui définisse, affaire par affaire, ni le temps qui puisse lui être affecté, ni le taux horaire raisonnable en raison de la spécificité de l’affaire et de la notoriété de l’avocat, ni le pourcentage mathématique déterminant d’une part l’assiette et d’autre part le montant de l’honoraire complémentaire de résultat, étant par ailleurs précisé que le pacte de quota litis est formellement interdit.
Nous avons évoqué le premier argument en vertu duquel la répétition automatique au détriment du vaincu des honoraires payés par le vainqueur se heurterait aux principes de l’effet relatif des conventions.
En deuxième lieu, les ordres d’avocats, avec raison, ont, en France, refusé absolument de voir le juge de l’article 700 devenir une sorte de juge taxateur de l’honoraire qui en vertu de ses pouvoirs propres aurait, en réalité, usurpé le pouvoir du Bâtonnier, seul compétent pour arbitrer en première instance un honoraire contesté.
Le juge de l’article 700 n’a en mains aucune table des paramètres en vertu desquels a été déterminé un honoraire donné. Il tranche donc de manière discrétionnaire, soucieux moins de réparer l’intégralité du préjudice du plaideur qui avait raison que de ne pas trop aggraver le fardeau de celui qui a succombé.
Et pourtant, nous savons des défaites judiciaires qui sont de bonnes affaires, ne serait-ce que par le temps qu’a pu gagner un débiteur de mauvaise foi et nous connaissons des victoires à la Pyrrhus dont les conséquences viennent trop tard ou sont insuffisantes par rapport aux désagréments endurés.
Une fois de plus, le juge ne peut être juste que s’il est totalement éclairé et c’est la charge qui nous revient.
B – LA RESPONSABILITÉ DES AVOCATS
La plupart du temps, les avocats répugnent en France à faire une demande d’article 700 conforme aux honoraires qu’ils ont effectivement facturés à leur client, comme si la demande leur paraissait honteuse. Non seulement leur demande d’article 700 se tient en deçà, la plupart du temps, de ce que le client a payé. Surtout, ils s’abstiennent de communiquer au titre des pièces sur lesquelles se fonde leur demande la convention d’honoraires conclue avec lui, les factures émises et les éventuels relevés de diligences à l’appui.
Or, quand bien même toutes les factures ne seraient-elles pas payées, nous savons par la jurisprudence que leur paiement n’est pas une condition d’octroi de l’article 700.
Quelle pudeur pousse-t-elle les avocats français à tant de réserve ? L’argument officiellement donné tient au secret professionnel. La relation de l’avocat et de son client étant couvert par un secret absolu, l’avocat ne pourrait pas communiquer à la justice ce qui concerne sa relation pécuniaire avec lui et le relevé des diligences qu’il a accomplies et facturées.
Mais c’est un sophisme : si nous poussions ce raisonnement jusqu’à ses conséquences extrêmes, l’avocat serait condamné au mutisme puisqu’il ne pourrait rien dire ni rien livrer de ce que son client lui a dit. L’avocat respectueux du secret serait un muet et les conclusions qu’il remettrait à la justice seraient faites de feuilles blanches.
L’avocat doit communiquer à la justice tout ce qui est conforme à l’intérêt de son client après en avoir débattu avec lui. Il est la voix qui parle pour l’autre, il est, pour reprendre le mot de Jean-Marc Varaut, un « passeur d’hommes ». Que signifierait ce huis- clos où l’avocat se considérerait enfermé avec son client au point de ne rien pouvoir ni dire ni faire ni écrire pour lui ?
L’intérêt du client commande qu’il soit remboursé des frais qu’il a exposés et par conséquent que son avocat en communique le montant à la justice en même temps que la convention d’honoraires, y compris celle qui porte sur l’honoraire de résultat, avec le relevé de ses heures et les diligences qu’il a faites, sans nécessairement préciser les noms des personnes reçues ou vues.
Le vrai motif tient plutôt à l’incapacité où nous sommes de justifier auprès des magistrats que les honoraires que nous prenons ne sont pas volés.
Notre relation, nous autres français, avec nos juges en est restée à cette époque du Moyen Âge où je ne sais plus quel père de l’Église s’écriait : « Messieurs du barreau, si l’on pressait vos toges, elles ruisselleraient du sang des pauvres !».
Nous avons donc un effort considérable à faire d’explication auprès des juges comme ils ont eux-mêmes l’obligation de s’informer.
C – LES SOLUTIONS
Aux avocats incombe un devoir minimum de transparence. Si mon taux horaire est justifié par le coût de mon cabinet, la spécificité d’une affaire et la notoriété dont je jouis liés à ma compétence, mon taux horaire ne peut scandaliser personne.
Au demeurant, chaque avocat est capable de faire lui-même le compte de ce que l’heure lui coûte à partir du montant de ses frais généraux et de ses impôts de toutes sortes, rapportés au nombre d’heures travaillées par ses collaborateurs et lui-même.
Le magistrat qui ne travaille pas soixante dix heures par semaine, à quelques exceptions près, qui dispose de la sécurité, qui n’a pas de charges de structure et qui jouit de quelques modestes avantages parallèles, doit pouvoir, quittant la culture d’Etat, comprendre les contraintes d’entreprise qui pèsent sur nos cabinets.
Nous devrions accueillir dans nos cabinets des magistrats, leur montrer ce que sont nos existences au quotidien, leur ouvrir nos comptabilités et leur expliquer ce qu’il en coûte à un justiciable pour se faire rendre justice.
Ce n’est qu’à partir du moment où nous aurons informé des magistrats désireux de l’être que le pouvoir discrétionnaire cessera d’être arbitraire. Le juge fera lui- même le partage entre ce qu’il est juste de donner au plaideur qui a gagné et de faire supporter au plaideur qui a perdu en fonction de la situation de l’un et de l’autre. Il le fera avec d’autant plus de précision et de justice qu’il n’aura pas de doute sur la réalité du prix payé et sur ses justifications.
Mesdames, Messieurs, pardonnez cet exposé trop pratique. Mais il m’a semblé que ma contribution ne serait utile qu’à la condition de vous parler concrètement de ce qui est aujourd’hui un des problèmes de notre profession. Nos prestations sont coûteuses parce que nos charges sont écrasantes et que l’État en rajoute toujours.
Nous autres Français avons l’habitude de nous plaindre au lieu de débattre de bonne foi avec ceux qui, faute d’être informés, en croient leurs préjugés.
L’obscurité et l’opacité favorisent l’erreur et l’iniquité. La justice requiert la lumière.