Monsieur le Bâtonnier,
Au moment où notre Barreau m’invite à vous succéder, je mesure la confiance qu’il me témoigne et le poids du service qui m’attend.
Je m’efforcerai, après vous, d’en être digne. Rien ne serait pire, en effet, au moment de porter pendant deux années notre honneur commun, plus grand que la somme de nos honneurs individuels, que de fléchir, à la manière du philosophe dont parlait Aristote, écrasé par le poids de la question qu’il avait soulevée.
Permettez-moi, Monsieur le Bâtonnier, de vous rendre l’hommage qui vous est dû pour avoir fait face à votre charge, grâce aux éminentes qualités qui sont vôtres et que notre expérience commune de la Conférence du stage m’avait permis, il y a déjà trente-quatre ans, d’admirer.
Je veux évoquer et saluer votre élégance, votre éducation sans faille, votre talent oratoire, votre parfaite courtoisie, votre extrême bienveillance à l’égard de chacun et, par-dessus tout, une fidélité totale aux valeurs auxquelles vous tenez et que vous avez défendues.
En même temps, vous avez su avec une continuité sans faiblesse dire tout le mal que vous pensiez des menées liberticides conduites depuis Bruxelles contre notre indépendance sous prétexte de lutte contre le blanchiment.
Chacun a apprécié, au cours de ces deux années, votre grande attention à vos confrères, aux justiciables et à nos partenaires de justice.
Votre sens de l’autre et votre volonté d’être plus proche pour mieux écouter et mieux agir, vous en avez fait la démonstration en instituant ces petits déjeuners avec vos confrères, quartier par quartier : je poursuivrai ces rendez-vous du matin dont vous avez été l’initiateur.
Vous avez créé les référents, institution que j’avais appelée de mes vœux il y a dix ans et à laquelle vous avez su donner une réalité dont tout le monde aujourd’hui vous félicite.
Vous avez créé le premier code de déontologie commenté, outil indispensable pour une meilleure connaissance de nos règles et la plus grande efficacité de notre autorégulation. Ce précieux ouvrage durera sous la forme d’un véritable dictionnaire permanent réactualisé par des mises à jour régulières, en concours avec le Conseil National des Barreaux. Vous demeurerez celui qui l’aura impulsé.
Je ne saurais rendre compte de tout ce que vous avez fait, mais je ne voudrais pas passer sous silence le campus de juillet 2007 qui, tout en permettant à près de cinq mille confrères de mettre à jour leur formation continue, leur a fourni l’occasion de se retrouver.
Autrefois, les avocats, cantonnés dans la seule activité judiciaire, avaient pour lieu d’échanges la salle des pas perdus. Vous y aurez substitué l’espace des rencontres retrouvées.
Vous laisserez à la postérité un héritage que je n’entends pas dilapider, mais parfaire.
Ainsi en va-t-il de notre barreau : chaque bâtonnier à son heure pendant les deux brèves années de son mandat, sur les pierres assemblées par ses prédécesseurs, dépose à son tour les siennes afin de contribuer à rendre plus solide et plus belle notre maison commune, sans perdre de vue qu’il n’est qu’un maillon d’une chaîne sans fin.
Monsieur le Bâtonnier, soyez donc du fond du cœur sincèrement et profondément remercié.
Une chaîne sans fin …
Madame et Messieurs les anciens Bâtonniers,
Monsieur le Bâtonnier, chères consœurs, chers confrères,
Depuis ma prestation de serment, j’ai vu seize bâtonniers remplir cette tâche. Je ne veux à aucun prix oublier l’exemple de chacun d’entre eux. Parmi ces seize bâtonniers, quatre ne sont plus : Bernard Lasserre, Louis- Edmond Pettiti, Guy Danet et Philippe Lafarge.
Je songe aussi à ceux qui avaient été bâtonniers avant ma prestation de serment, que, tout jeune avocat, j’ai pu croiser et dont le souvenir m’est précieux : le Bâtonnier Grente, le Bâtonnier Toulouse, le Bâtonnier Arrighi, le Bâtonnier Bondoux, le Bâtonnier Brunois, le Bâtonnier Lemaire et le Bâtonnier Baudelot.
J’associe à leur mémoire Henry et Guy Charrière, mon grand-père et mon père, les premiers avocats que j’ai vu vivre notre métier avec passion, talent et un incroyable dévouement. Je leur dédie l’honneur que vous me faites et qu’ils auraient l’un et l’autre mérité plus que moi. Civilistes éminents, magnifiques avocats d’assises, ils étaient aussi les conseils attentifs et généreux des plus humbles. Ils n’auraient été ni dépassés, ni démodés dans le présent de ce monde qui change et que je veux, autant que je le pourrai, faire progresser avec vous.
Souffrez aussi que je salue cet autre limousin qui m’a accueilli en
1973 pour les quatre années de mon stage, Roland Dumas, dont les tribulations d’aujourd’hui ne me feront jamais oublier le très grand avocat qu’il fut et qu’il suffisait d’écouter plaider pour apprendre. Patron irréprochable, il accepta sans murmurer mes absences pendant l’année de Conférence et le temps consacré aux commissions d’office comme à mes premiers dossiers personnels. Il favorisa même mon installation solitaire en 1978 en m’adressant des clients. Je tenais à l’en remercier publiquement.
Je lui associe le souvenir de Jean-Marc Varaut qui partageait avec lui les locaux de l’avenue Hoche et qui m’honora jusqu’à la fin de son amitié précieuse. Merci au Premier secrétaire, Thibaut Rouffiac, d’en avoir fait avec talent l’émouvant éloge vendredi dernier.
L’amitié ! Cette forme la plus accomplie de la confraternité m’a été prodiguée sans relâche pendant les mois où j’ai sollicité vos suffrages, par nombre d’avocats et d’avocates que je ne peux nommer ici. Ils savent ma reconnaissance et je tiens à leur dire que par-dessus tout, m’obsède la volonté de mériter jour après jour leur confiance.
Enfin, acceptez que publiquement je salue ici mes fils, Benoît, notre confrère, Thomas, Grégoire, François, Gaspard, Bertrand qui nous a quittés et mes quasi-filles, Agathe et Laure, ainsi que Geneviève, ma femme, pour leur tendresse, leur salutaire esprit critique et les joies qu’ils me donnent. A Geneviève, mon admiration pour son incomparable générosité et sa disponibilité constante, sans lesquelles je ne réussirais rien. Qu’elle veuille bien continuer pendant ces deux années à être elle-même, ne me passant rien, me pardonnant tout et me renvoyant de toute chose une image positive !
Mes chères consœurs, mes chers confrères, la tradition veut que le bâtonnier confirmé vous fasse part de ses projets et vous demande de les accompagner. Forte du dévouement et de la compétence des membres du personnel de notre Ordre ainsi que des confrères qui remplissent des missions dans l’intérêt commun, la structure ordinale n’existe que pour vous et par vous.
Il est donc vital que sur les sujets essentiels vous soyez consultés. L’électronique permet de solliciter l’avis de tous et sans avoir l’illusion que tous répondent, de connaître par sondage l’orientation majoritaire.
Cette nécessité d’un lien constant entre vous et votre Ordre m’amènera à vous proposer des séances publiques du Conseil sur des sujets d’intérêt général.
De même, je m’efforcerai de vous recevoir personnellement lorsqu’il vous paraîtra nécessaire de vous confier à moi ou de me demander conseil, sans pour autant perdre de vue que le Bâtonnier est aussi l’autorité de poursuite chargée de saisir le conseil de discipline à chaque fois que nécessaire.
Certains voudraient voir une contradiction entre ce rôle de confident rempli par le Bâtonnier et sa mission d’autorité de poursuite. Je n’en vois aucune. L’aveu d’une faute ne vous immunise pas contre les conséquences de cette faute ni contre les suites disciplinaires qu’elle peut comporter. En revanche, l’invitation faite par le Bâtonnier à un confrère de venir s’expliquer devant lui sur un reproche qui lui est fait, suivie le cas échéant d’une semonce légitime, permet souvent une remise en ordre qui épargne à ce confrère une poursuite déontologique.
Ce lien essentiel entre le Bâtonnier et chacun de ses confrères ainsi que le nombre et l’ampleur des travaux auxquels il doit s’appliquer rendent nécessaires sa présence continuelle à Paris. Mes prédécesseurs ont bien voulu accepter une mission de représentation de notre barreau à l’étranger où ils seront d’autant mieux reçus qu’ils y sont connus et appréciés. J’attendrai ma sortie de fonction pour me tenir à la disposition de mon successeur s’il entend procéder de la même manière.
En un mot, le Bâtonnier de Paris est le Bâtonnier des avocats de Paris, c’est-à-dire à la fois leur défenseur et leur bouclier.
Pour ne pas allonger démesurément mon propos, je n’ai pas l’intention de rappeler ici en détail mon programme qui peut toujours être consulté sur le site internet que j’avais ouvert à mon nom : charriere- bournazel.com.
Je me bornerai à évoquer quelques unes des actions que je veux mener à bien pour que notre barreau soit toujours plus vertueux, mieux formé, plus compétitif, en plus grande sécurité financière et assuré du plus grand rayonnement.
– La déontologie :
Elle constitue mon souci prioritaire.
C’est en effet la déontologie qui fonde notre identité irréductible à toute autre. Elle est la condition de la confiance que nous inspirons. Elle constitue avec toutes ses contraintes et ses exigences un atout qui nous fait préférer à d’autres professionnels du droit.
Chers confrères, vous savez déjà, quels que soient votre mode d’exercice et la nature de votre activité (conseil ou contentieux) que notre identité repose sur cinq piliers :
– nous exerçons une profession de services dans les domaines du droit ;
– par essence, nous sommes indépendants, exerçant une profession libérale, que nous soyons avocats solitaires, collaborateurs salariés, associés ou dirigeants d’une grande structure ;
– nous sommes tenus au secret professionnel le plus exigeant ;
– nous ne devons jamais consentir à nous trouver en situation de conflit d’intérêts ;
– nous sommes désintéressés, ce qui ne signifie pas que nous n’avons pas le droit de gagner notre vie le mieux possible ; mais nous ne sommes pas associés aux affaires de nos clients.
D’un bout à l’autre du monde, l’avocat se reconnaît à ces cinq critères. S’il lui en manque un, ce n’est plus tout à fait un avocat ; s’il lui en manque deux ou plus, ce n’est plus du tout un avocat.
Aucun manquement à nos règles n’est anodin.
Je veillerai personnellement, en ma qualité d’autorité de poursuite, à ce que, sans cesser d’être confraternelle, notre juridiction disciplinaire soit toujours plus efficace et plus juste.
Je ne supporte pas d’entendre dire que le conseil de discipline ou l’Ordre en général serait complaisant aux puissants et impitoyable aux faibles. J’assumerai pleinement le rôle d’autorité de poursuite, assisté par le coordinateur et les membres que j’aurai mandatés et je procéderai moi-même à l’information du conseil sur les procédures à ouvrir. Je tiens à être instruit par chaque service de l’Ordre des comportements aberrants qui sont autant d’alertes, afin de faire cesser des manquements réparables ou de déférer au conseil de discipline ceux dont les actes sont incompatibles avec l’exercice de notre profession.
En toute indépendance, et avec une rapidité et une conscience aiguë de leur mission, les membres du Conseil de l’Ordre chargés de l’instruction rassembleront dans le respect du contradictoire les éléments permettant ensuite à l’une ou l’autre des sections du conseil de discipline de juger.
Pour qu’il n’y ait aucun soupçon de partialité à l’égard de nos formations, je demande aux membres en exercice des sections de discipline, comme aux instructeurs et aux délégués du bâtonnier à l’autorité de poursuite, de s’abstenir de plaider, même devant une section du conseil de discipline où ils ne siègent pas.
Il en va de même pour ceux qui remplissent une fonction d’arbitre ordinal ou de sage. Je leur demande de ne pas accepter de défendre les intérêts d’une partie contre une autre dans le domaine relevant de leur mandature.
Libre aux anciens membres du Conseil de l’Ordre dont les mandats ont cessé depuis au moins trois ans et qui ne remplissent plus de fonction, d’assister devant toute instance ordinale, à chaque fois qu’ils en seront priés, les confrères ayant besoin d’un avocat. Leur expérience acquise pendant les trois années de leur charge les conduit à être souvent sollicités. Ils s’acquittent avec dévouement de cette mission confraternelle. Qu’ils en soient remerciés.
Je considère que nous avons le devoir de poursuivre ceux d’entre nous – extrêmement rares heureusement – qui se livrent à des maniements de fonds hors CARPA, dissipent l’argent qui leur a été confié, établissent de fausses autorisations de prélèvement d’honoraires, violent leur secret professionnel, se maintiennent en situation de conflit d’intérêts, galvaudent notre dignité par des postures publiques indignes ou maltraitent leurs collaborateurs et leurs collaboratrices au lieu de les aider fraternellement à s’épanouir.
Il ne s’agit pas de perdre de vue l’aspect confraternel de notre juridiction disciplinaire. Elle doit être irréprochable. Elle doit respecter mieux que toute autre la présomption d’innocence, le souci du contradictoire, l’impassibilité, la recherche de la vérité, les droits de la défense et la contrainte des délais.
Sur tous ces points, nous devons toujours être exemplaires au point de faire envie aux juges professionnels. J’ai souvent entendu dire, comme une excuse aux libertés que nous prenons parfois avec les règles du procès juste et équitable, que nous ne sommes pas au pénal mais seulement au disciplinaire.
A cela, je réponds que nous devons faire mieux que le pénal et qu’aux avocats à qui il revient de juger leurs confrères, s’imposent les plus grandes précautions, la plus grande exactitude et la plus grande humilité.
Juger et requérir s’apprennent. Nous mettrons en place les procédures destinées à nous y former toujours mieux.
Il n’y a aucun plaisir à poursuivre ou à juger ses semblables. Mais c’est un devoir qui incombe à vos élus. C’est le prix à payer pour la préservation de notre identité et la sauvegarde de notre indépendance. A défaut de cette rigueur, nous perdrons, comme d’autres pays, l’autoréglementation et l’autorégulation qui sont, l’une et l’autre, deux corollaires de notre indépendance.
– La formation :
L’Ecole de Formation du Barreau va continuer sa progression vers l’excellence. Elle a déjà accompli une remarquable rénovation.
L’immeuble de la rue de Charenton est aujourd’hui mal adapté au nombre croissant d’étudiants qu’il accueille.
Grâce à la gestion sage de mes prédécesseurs, nous disposons d’une réserve financière permettant l’acquisition d’un nouveau local d’environ 7.000 m². Nous le recherchons activement.
L’enseignement dispensé à l’école sera de plus en plus pratique, couvrant à parts égales le conseil, la rédaction d’actes et le judiciaire. Nous y développerons l’étude de l’anglais juridique, de l’espagnol, de l’allemand et – pourquoi pas ? – du chinois. Nous y multiplierons les intervenants de qualité, notamment pour ce qui touche à la déontologie. Afin de favoriser les contacts entre les élèves de l’Ecole et le Barreau, les élèves seront rattachés à un référent, membre en exercice du Conseil de l’Ordre.
Au titre du projet pédagogique individualisé, nous avons fait en sorte que les étudiantes et les étudiants puissent faire un stage dans des juridictions spécialisées, comme le Conseil de la concurrence, dans des écoles de commerce, dans des entreprises ou dans des universités étrangères.
Et pour permettre à ceux, les plus nombreux possibles, de suivre un cycle d’études aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne, en Espagne, en Italie ou ailleurs, dont les parents ne sont pas en mesure de cautionner les emprunts, nous travaillons déjà à la création d’un système de cautionnement, en association avec des institutions financières, afin d’assumer ce risque.
Nous mettrons à contribution les maisons mères des cabinets internationaux installés à Paris pour fournir dans leur pays d’origine un point de chute temporaire à nos expatriés afin de parfaire leur formation.
Ainsi, un complément de compétence sera-t-il accessible à ceux qui auront déjà acquis, grâce à l’Ecole du Barreau, une maîtrise suffisante de la langue du pays où ils choisiront de se parfaire.
Il ne s’agit nullement d’une reddition au monde anglo-saxon, mais au contraire d’une ouverture à ce monde dans lequel nous ferons mieux rayonner notre culture juridique. On ne peut exporter ses propres valeurs et sa propre culture qu’en parlant la langue de l’autre.
Un autre chantier concerne ceux et celles qui, titulaires du CAPA, auraient le désir d’exercer tout de suite mais qui, ne disposant ni d’un contrat de collaboration, ni de moyens personnels, seraient empêchés de le faire.
Nous recherchons un second immeuble qui sera la première pépinière, conditionnée en dizaines de petits bureaux individuels, non affectés, et en salles de réunion.
Ces avocats débutants disposeront ainsi d’une adresse professionnelle et auront accès, en fonction de leurs besoins, aux bureaux individuels. Chacun jouira d’un placard, comme nos anciennes toques au vestiaire. Des avocats honoraires y seront présents en permanence afin de répondre à leurs questions techniques ou déontologiques. En contrepartie de cette aide à leurs premiers pas dans la profession, nos jeunes confrères seront tenus de suivre une formation continue en déontologie et dans les divers domaines de leur exercice professionnel.
Cette solution transitoire n’excédera pas deux ans, pendant lesquels ils échapperont au coût d’une installation personnelle et pourront développer un début d’exercice en attendant une collaboration ou une première clientèle suffisante pour s’établir seul ou avec d’autres.
Nous devons aider la jeunesse de notre barreau, c’est-à-dire notre avenir.
– La collaboration :
Il s’agit d’abord de la rémunération des stagiaires non encore avocats qui ne doivent plus être exploités dans aucun cabinet, mais formés.
L’accord qui vient d’être conclu et ratifié portant sur une rémunération égale tantôt à 60 % et tantôt à 80 % du SMIC, exonérée de charges sociales, doit constituer un minimum garanti par l’Ordre.
Sera mise au point une charte entre les maîtres de stage et les stagiaires énonçant les obligations concrètes auxquelles se soumettront les uns et les autres, sachant que la priorité réside dans la formation du stagiaire, les services qu’il peut rendre au cabinet d’accueil venant en second.
La rémunération des collaborateurs avocats constitue une autre de mes préoccupations.
Trop de situations anormales s’observent qui ne doivent pas perdurer : contrats censés être à mi-temps qui sont en réalité des temps pleins déguisés ; contrats de collaboration libérale qui ne laissent aucune liberté au collaborateur ; absence de rémunération minimale des premières années alors que la loi nous fait obligation de la définir.
Un travail important, qui ne concerne pas seulement Paris, doit être accompli pour avancer de bonne foi vers une normalisation des relations entre les collaborateurs et leurs confrères plus anciens.
Le flou dans lequel nous nous sommes parfois trouvés a eu pour conséquence des requalifications tantôt inévitables et tantôt injustes du contrat de collaboration libérale en contrat de travail. Elles sont en diminution. Mais le risque peut venir des organismes sociaux, toujours avides de cotisations.
J’ai réuni déjà cette année un premier groupe de travail dont le rapport sur cette question sera soumis au Conseil de l’Ordre afin de remédier à des situations incohérentes, incertaines, inéquitables et dangereuses.
Enfin, je suis préoccupé par la question de la maternité. Congédier une collaboratrice parce qu’elle est enceinte constitue un manquement déontologique grave. Mais on ne saurait méconnaître que la charge financière du congé-maternité est lourdement préjudiciable à de petits cabinets lorsque l’absence se prolonge pour des raisons médicales. Certes, la caisse de prévoyance verse à deux reprises la somme de 1.341 € et une somme un peu supérieure à 1.700 € sur présentation du certificat de naissance. Il n’en demeure pas moins que la charge résiduelle est lourde. Elle est d’autant plus lourde que la collaboratrice perçoit une rétrocession élevée.
Or, la maternité n’est pas un risque, c’est une chance : une société qui rajeunit est dynamique, entreprenante, portée à l’espérance. Une naissance n’est pas seulement une joie pour la famille qui accueille l’enfant, mais une chance pour toute la société. Elle comporte en contrepartie des charges. Ces charges ne doivent pas injustement peser sur tel ou tel, mais doivent être mutualisées. J’ai donc mis à l’étude un système qui répartisse entre les vingt et un mille avocats du Barreau de Paris la prise en compte des maternités au lieu d’en laisser supporter le coût par les seuls avocats concernés.
– La sécurité économique :
Elle dépend notamment de la fixation et du recouvrement de nos honoraires qui doivent être déterminés de manière claire et rationnelle, arrêtés conventionnellement et arbitrés le cas échéant de manière rapide et sûre.
Le Bâtonnier dans sa mission d’arbitre des honoraires est assisté par des rapporteurs qui, après instruction contradictoire des dossiers, rédigent plus de 2.000 projets de sentences par an.
Mais la procédure d’appel est longue et une décision du Tribunal de grande instance rendue sur une mesure conservatoire a dénié à la décision du Bâtonnier, arbitre des honoraires, son caractère juridictionnel. Nous allons œuvrer à la modification du texte pour que les décisions en matière d’honoraires puissent être assorties de l’exécution provisoire et pour que soit créé un véritable référé-provision. Parallèlement, je me suis préoccupé d’un système d’affacturage pour que les confrères créanciers d’honoraires ne soient pas mis en difficulté par une attente trop longue du paiement de ce qui leur est dû.
Un travail important a été effectué sous votre bâtonnat, mon cher Yves, qui vient d’aboutir à la diffusion d’un vademecum auquel je compte donner la dimension d’un véritable dictionnaire permanent de l’honoraire. Le module de l’EFB relatif à la gestion des cabinets sera renforcé, notamment grâce à cet outil : les futurs avocats doivent apprendre à calculer le coût de revient de leur heure d’activité professionnelle et, par voie de conséquence, le montant des honoraires nécessaires à l’équilibre de leurs cabinets. En même temps, ils apprendront à rédiger des conventions d’honoraires.
La sécurité économique, c’est aussi le développement de nos activités dans tous les domaines du droit, et notamment là où nous ne sommes pas assez présents : assistance aux artisans et aux petites entreprises, droit des collectivités territoriales, class actions, actes d’avocat, missions nouvelles nées de la réforme du droit de la famille et des successions, expansion de nos cabinets à l’étranger. Vos élus sont là pour vous y aider.
Un bureau de prévention des difficultés d’exercice a été créé. Nos confrères ne doivent pas attendre la dernière extrémité pour se faire conseiller et assister. Ils doivent recourir aux mécanismes que la loi a mis en place pour la sauvegarde des cabinets et que l’Ordre s’est assigné pour mission de faire connaître et d’accompagner.
– La communication et la veille législative
La commission prospective va être réorganisée pour remplir sa triple mission d’information, de réaction et d’anticipation.
L’information nous vient d’abord de l’Europe grâce à la délégation du Barreau français installée à Bruxelles qui fait un remarquable travail en communiquant régulièrement sur les initiatives de Bruxelles, les textes en préparation, les rapports présentés, les résolutions du Parlement et aussi sur les décisions rendues par les juridictions européennes de Luxembourg ou de Strasbourg.
Nous avons besoin également de recevoir ou d’aller chercher, en concours avec le CNB, toutes les informations relatives aux projets de lois ou de décrets français auxquels nous n’avons plus accès en temps utile par la faute des pouvoirs publics et sur lesquels nous ne sommes pas même consultés.
L’information n’est rien sans une réaction rapide. Réagir, c’est proposer immédiatement, grâce à des rédacteurs qui ont cette compétence, un projet d’amendement, de règlement ou d’article de loi à l’intention des ministères impliqués et des parlementaires. Sera mise en place une cellule de rédaction technique qui travaillera bien évidemment en concours avec le CNB.
Enfin l’anticipation consiste, de manière concrète et réaliste, à proposer aux magistrats, au pouvoir exécutif et aux parlementaires, toute forme d’amélioration ou de modification dans le fonctionnement des juridictions, dans les domaines de la procédure comme sur des questions de fond.
Pour mieux nous faire entendre, le service de la communication de l’Ordre va être entièrement refondu. Doté d’un directeur interne qui aujourd’hui lui fait défaut, il aura recours à des prestataires extérieurs pour que les messages les plus importants trouvent le plus d’écho possible dans les médias. En cet instant, j’estime nécessaire de lever toute équivoque pour ce qui touche aux rapports du Barreau de Paris avec le Conseil national des barreaux.
Le Barreau de Paris fait partie intégrante du Conseil national des barreaux. Il y est présent par ses délégués ordinaux et par tous les avocats parisiens élus sur des listes syndicales ou autres.
L’unité ne signifie pas l’effacement. J’ai donc l’intention d’entretenir des relations très étroites avec le président du Conseil national des barreaux et le président de la Conférence des bâtonniers pour que nous fassions valoir ensemble avec le plus d’efficacité possible les positions du barreau français sur tous les sujets d’intérêt national.
Je n’entends pas perdre de vue que les grandes décisions de principe et les orientations fondamentales ne sont pas de la compétence du seul bâtonnier de Paris mais du Conseil de l’Ordre. C’est la raison pour laquelle je souhaite réunir très régulièrement les Parisiens membres du CNB délégués du Conseil de l’Ordre pour recevoir d’eux les informations en provenance du CNB et faire délibérer le Conseil de l’Ordre de Paris sur les grandes questions. Je demanderai ensuite à nos délégués ordinaux de porter au sein du CNB la parole du Barreau de Paris.
J’estime, en effet, que les délégués ordinaux de Paris, qui auraient pu se faire élire sur une liste syndicale ou une liste autonome, ont fait le choix, au moment où ils ont souhaité être désignés par l’Ordre de Paris, d’être ses mandataires au sein du CNB. Personne n’est légitime de soi-même. Ce sont les électeurs qui sont les souverains et c’est à la seule condition de respecter ces principes que nous pouvons éviter le désordre, les cacophonies et l’impuissance.
Sur ces questions fondamentales d’intérêt général, dès lors que nous sommes sur la même ligne, je n’aurai aucune raison de vouloir m’exprimer moi-même à la place du président du Conseil national des barreaux représentant la profession toute entière. Mais si, sur des questions de fond, il apparaît que le Barreau de Paris doit faire entendre un son divergent, et sans rompre d’aucune manière les liens d’amitié et de solidarité qui nous unissent au CNB et à son président Paris fera entendra sa voix.
Encore une fois, la recherche de l’unité a pour finalité la démultiplication des forces et non pas l’effacement des uns ni l’impuissance collective.
– Le rayonnement international du Barreau de Paris :
Permettez-moi d’aborder trois thèmes : la promotion de Paris, place du droit, l’accueil des juristes étrangers francophones, la défense des libertés et des droits de l’homme.
– Nous devons sans cesse promouvoir Paris place du droit. Le nombre de cabinets d’avocats d’origine étrangère à Paris montre assez le côté attractif de notre ville, de nos traditions et de notre force prospective. Ils ont contribué à la montée en puissance du barreau de Paris. Je rappelle que ces cabinets d’origine étrangère sont composés, à plus de 95 %, d’avocats parisiens. Je souhaite que Paris soit de plus en plus attirant pour tous les futurs juristes, avocats ou juges, venus de tous les points du monde et désireux de faire chez nous des stages de formation complémentaire.
Beaucoup d’initiatives ont déjà été prises et sont très remarquables, notamment vis-à-vis de la Chine, du Japon, du Vietnam, des pays d’Europe. La commission internationale de l’Ordre aura une section spécialement dédiée à l’accueil.
– Nous ne pouvons pas nous plaindre de la progression constante du droit de common law et de la prédominance de la langue anglaise, si nous ne faisons pas des efforts amplifiés, notamment vers les pays francophones issus de notre ancien empire colonial.
Il s’agit de permettre aux plus méritants des jeunes juristes de ces pays de venir passer une année universitaire en France où ils seront à la fois stagiaires dans des cabinets et étudiants à l’Ecole du Barreau. Nous leur délivrerons à la fin un diplôme du barreau de Paris dans l’espoir que, de retour dans leur pays, ils puissent contribuer à la montée en puissance du droit et assurer ainsi le rayonnement de notre langue et de notre culture juridique.
Tous ceux de nos confrères parisiens qui sont en mesure de mettre gratuitement à la disposition de ces jeunes gens et jeunes femmes sans grands moyens, une chambre, pour la durée de leur séjour, seront sollicités et je serai le premier à donner l’exemple de cet accueil gratuit sur mes ressources propres ;
– enfin, le rayonnement du barreau de Paris, à l’international, c’est plus que tout la défense déterminée et incessante des libertés et des droits de l’homme.
Je n’ai pas l’intention de dépenser à la légère ni l’argent de mes confrères, ni celui de la CARPA. Mais je souhaite envoyer, le plus souvent possible, des observateurs judiciaires au nom du barreau de Paris à chaque fois qu’un avocat sera menacé dans son exercice, dans sa liberté ou dans sa vie, tout en prolongeant l’action de la CIB qui concourt elle-même à ce rayonnement.
Les missions d’observateur judiciaire que j’ai pu accomplir au cours de ma vie m’ont permis d’admirer le courage, le vrai courage, de ces avocats se commettant d’office pour défendre ceux qu’oppriment des régimes tyranniques. Ces avocats n’hésitent pas à mettre en jeu leur situation de grands bourgeois, la sécurité de leur famille, leur liberté et parfois leur vie pour être dignes du nom d’avocat.
Quand notre confrère le Bâtonnier Orhan Apaydin, élu à trois reprises à la tête du Barreau d’Istanbul, barreau de huit mille avocats à l’époque, s’est commis d’office, il y a plus de vingt ans, pour défendre les trois cent cinquante syndicalistes que les militaires turcs avaient fait arrêter, il fut arrêté à son tour. Ses premiers mots furent alors : « A-t-on prévenu le Bâtonnier de Paris ? ». Cette phrase en dit long sur le crédit qu’avait notre Barreau et son rayonnement sur le monde.
J’ai assisté à trois reprises à son interminable procès. Il fut détenu pendant des mois. Je n’oublierai jamais la tenue exceptionnelle de cet immense avocat entouré de soldats en armes et jugé par des militaires dans le gymnase d’une caserne.
Je songe encore à notre confrère algérien, Me Ali Yayhia, ancien ministre, qui fut lui-même arrêté, jugé et détenu pour avoir voulu créer une association affiliée à la Fédération internationale des droits de l’homme, la FIDH. Son âge et son état de santé ne lui épargnèrent pas d’être enfermé dans une prison sinistre à des centaines de kilomètres d’Alger. J’ai eu l’honneur de me tenir à ses côtés devant la Cour de Sûreté de Médéa et d’y recevoir une nouvelle leçon de courage.
Vous avez évoqué, Monsieur le Bâtonnier, dans votre magnifique discours, tous ces avocats d’Afghanistan, du Pakistan, de l’Irak et de biens d’autres pays qui ont payé ou payent encore de leur vie le tribut que les dictateurs imposent aux serviteurs de la liberté.
Je n’aurai pas le ridicule, en évoquant ces grandes figures, de me comparer à elles. Je veux seulement les garder comme exemples de ce qu’est l’avocat ou le combattant de la liberté au moment où vous me demandez de servir avec vous notre honneur commun.
En 2008, le monde entier fêtera le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’assemblée générale de l’ONU. Nous organiserons une réunion à Paris, de tous les avocats du monde représentés par les bâtonniers et les présidents des barreaux de chacun des pays composant la communauté universelle, autour d’une grande figure de combattant des droits de l’homme mondialement reconnue. Ce sera l’occasion de retremper notre détermination et notre courage dans l’évocation par les uns et les autres de ce qu’ils endurent en exerçant notre métier et de réaffirmer le socle commun de nos valeurs et notre unité.
– L’esprit de résistance :
Cette fermeté et cette unité s’imposent d’autant plus que notre identité est menacée.
Le mal qui nous ronge est insidieux et risque d’être mortel. L’europe, que nous souhaitons toujours plus unie, privilégie comme une sorte de dogme supérieur à tous les autres, la notion de libre concurrence.
A Lisbonne, en 2000, l’Union européenne a décidé qu’avant 2010 les pays qui la composent devraient avoir l’économie la plus dynamique et la plus compétitive du monde. Belle ambition, à condition qu’elle ne confonde pas tout.
Les rapports Clementi et Monti tendent à considérer l’avocat comme un simple marchand de droit, soumis comme tout autre prestataire aux lois du marché.
Le dogme de la libre concurrence condamne tout ce qui nous distingue comme une entrave, tout ce qui nous est spécifique comme une insupportable dérogation à la grisaille générale.
L’autorégulation, au nom de laquelle nous édictons nos règles déontologiques et nous jugeons les uns les autres, est en péril de mort. La Grande-Bretagne y a renoncé. Se met en place une sorte de juridiction disciplinaire échappant à la « law society » et au « bar council ».
Ailleurs, on supprime les ordres purement et simplement.
C’est notre indépendance qui est en cause, c’est-à-dire la garantie pour chaque citoyen de pouvoir être assisté ou conseillé par des hommes libres.
Beaucoup plus grave encore, la réglementation européenne à propos du blanchiment.
Hommage vous soit rendu, Monsieur le Bâtonnier Repiquet, pour le combat que vous avez mené et pendant votre campagne, et durant votre bâtonnat contre la troisième directive du 26 octobre 2005.
Cette troisième directive monstrueuse, sous prétexte de lutter contre le blanchiment, va faire de nous des auxiliaires obligés du pouvoir, une sorte de police financière parallèle, au mépris de notre indépendance et de la confiance que nous font nos clients. Cette confiance se fonde sur notre indépendance et sur notre secret qui protège leur droit fondamental à la confidence.
Nous savons tous que notre secret n’est pas un pavillon de complaisance sous lequel on fait circuler une marchandise frelatée ou interdite.
Nous savons que nous sommes tous tenus au devoir de vigilance qui nous impose de ne concourir ni de près, ni de loin, à une opération qui pourrait nous paraître douteuse.
Nous savons que notre devoir est de vérifier qui nous demande quelle prestation et avec quels moyens, afin de refuser d’y prêter la main si nous ne sommes pas sûrs de sa régularité.
L’avocat qui enfreint ces règles en toute connaissance de cause mérite d’être traité comme complice et n’a plus rien à faire au barreau.
Mais nous contraindre à déclarer un soupçon (qui est le contraire d’un fait assorti de preuves), c’est nier notre identité d’avocat ; c’est priver les citoyens en démocratie du recours aux confidents nécessaires que nous sommes, comme si l’avocat était suspect de ne plus se soumettre à la loi.
Le Canada, le Japon et l’Australie se sont refusés à faire de leurs avocats des dénonciateurs obligés.
Le plus grand barreau de France ne peut pas rester inerte devant cette menace imminente. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative de vous écrire à chacun en vous demandant de vous joindre à moi dans cette nécessaire entreprise de résistance.
Une nouvelle fois, je vous invite à méditer les propos de Benjamin Franklin :
« Celui qui sacrifie une liberté essentielle au profit d’une sécurité transitoire et éphémère ne mérite ni la liberté ni la sécurité ».
Lui fait écho la phrase d’Aragon dans La Diane Française :
« La lumière est précieuse, mais non point si je dois la payer de mes deux yeux crevés ».
J’ai dit que je prônerai la désobéissance civile à cette loi injuste si elle est votée. J’en assumerai personnellement tous les risques, mon dessein n’étant pas de mettre en difficulté mes confrères mais, avec eux, de préserver notre identité, dans l’intérêt même de nos concitoyens, et de la défendre toujours, sans orgueil mais avec détermination.
Il est temps de conclure ce trop long discours.
Soyez remerciés, chacune et chacun, pour m’avoir élu, pour m’avoir écouté et pour continuer demain et pendant deux ans un échange que je veux ininterrompu.
On se présente parce qu’on a envie d’être élu.
C’est un bonheur mais qui n’est rien si les œuvres ne le suivent.
J’ai donc besoin de votre exigence, de vos conseils, de vos critiques.
Je ne demande pas à être ménagé. Non que je sois fort ou insensible : je suis, au contraire (et je dois tout vous dire) habité aussi par l’angoisse, l’angoisse d’échouer et celle de décevoir.
Soyez donc vigilants. Aidez-moi, de toutes les manières que vous pourrez. Et puissé-je entendre au terme de mes deux ans, au lieu de l’horrible phrase : « A quoi sert l’Ordre ? A quoi sert le Bâtonnier? », une autre qui ferait la plénitude de ma joie : « Le Bâtonnier a bien servi ».
Paris, le 4 décembre 2007
Christian Charrière-Bournazel