L’arrêt Salduz c/Turquie du 27 novembre 2008 a fait l’objet d’un de mes récents éditoriaux. La Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg avait jugé qu’un tribunal viole l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme s’il fonde sa condamnation sur les déclarations incriminantes faites en garde à vue sans l’assistance d’un avocat.
La commission Léger n’en avait tenu aucun compte. Notre confrère Vincent Nioré, secrétaire de la commission pénale de l’Ordre, me signale l’arrêt Dayanan c/Turquie (n°7377/03) rendu par la Cour de Strasbourg le 13 octobre 2009, c’est-à-dire il y a une semaine.
On y lit : « En ce qui concerne l’absence d’avocat lors de la garde à vue, la Cour rappelle que le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable ». Elle se réfère à son précédent arrêt Salduz.
Du côté de la Chancellerie à qui je l’avais communiqué, on disait en substance qu’il fallait voir quelle était sa portée exacte. La Cour vient de l’expliciter elle-même : « L’absence d’avocat lors de la garde à vue viole le droit de tout accusé à être défendu par un avocat ». Il ne s’agit donc pas simplement d’une présence symbolique, mais d’une défense. Or on ne défend que si l’on connaît les griefs, que l’on a communication des pièces du dossier et que l’on assiste aux interrogatoires.
La Cour s’en explique très clairement elle-même. Je cite : « Un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat ». Il n’y a donc pas à tergiverser sur une prétendue « rétention judiciaire », ou sur les douze premières heures comme l’a fait la commission Léger. C’est dès la première minute que l’avocat doit être présent.
La Cour continue : « L’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres aux conseils. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer ».
Et le dispositif est clair : après avoir constaté que ces conditions n’étaient pas réunies en l’espèce, la Cour a dit qu’ « il y a eu violation de l’article 6, § 3 c) de la Convention, combiné avec l’article 6, § 1, à raison du fait que le requérant n’a pu se faire assister d’un avocat pendant sa garde à vue ».
Toute réforme de notre procédure pénale qui n’instituerait pas la présence de l’avocat en garde à vue dès la première minute, comme en Espagne notamment, avec le plein exercice des droits de la défense, serait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle serait donc foncièrement illégale.
Elle serait, de surcroît, l’occasion pour nous d’une honte de plus.
J’en appelle à nouveau à nos députés et à nos sénateurs, héritiers des Constitutants de 1789, pour qu’ils restaurent la dignité inhérente à la patrie des droits de l’homme.
Christian Charrière-Bournazel