Depuis la Révolution, la France a du mal à trouver le régime politique qui corresponde à son génie.
Elle a connu un début de monarchie parlementaire, suivi du Directoire, du Consulat et de l’Empire. Elle a à nouveau essayé la monarchie à deux reprises, l’une succédant à l’autre après une révolution ; elle a fait l’expérience à nouveau de l’Empire, a subi la Commune. Elle a institué la troisième République, subi la tragique parenthèse de l’État français. A la brève expérience de la quatrième République a succédé la cinquième dont le numéro aurait pu être modifié à l’occasion de chacune des réformes constitutionnelles importantes.
Il en va de même de notre justice et de notre procédure pénale qui, depuis 1810, ont fait l’objet de maintes réformes avec une accélération spectaculaire des modifications législatives ces trente dernières années.
Notre système judiciaire répressif est marqué par le déséquilibre entre les droits de l’accusation et les droits de la défense, par le pouvoir excessif du juge d’instruction sur lequel ne s’exerce pas suffisamment le contrôle de la Cour d’appel et enfin par la prépondérance donnée à l’enquête de police ainsi qu’aux abus de la garde-à-vue.
Cette tradition française, qui privilégie l’isolement de la personne dans des locaux indignes pendant quarante-huit heures et jusqu’à six jours en cas de soupçon de terrorisme, sans l’assistance d’aucun défenseur, rappelle – tortures physiques en moins – la philosophie judiciaire de l’Ancien Régime : il faut
« tourmenter » le suspect pour que jaillisse la vérité.
Le juge d’instruction, à l’époque où il était maître de la détention, c’est-à-dire avant la loi du 15 juin 2000, pouvait céder, de la même manière, à la tentation de brider le corps pour affaiblir l’âme et obtenir les aveux espérés. On a même connu des juges qui ne s’en cachaient pas.
Le désastre d’Outreau a produit un électrochoc d’où est issue une volonté de réformer pour limiter le risque de voir condamner des innocents après que leur vie eut été brisée.
La défiance dont alors ont fait l’objet le magistrat instructeur et toute la chaîne des magistrats chargés de l’assister ou de le contrôler a provoqué la remise en cause du juge d’instruction dans ses attributions actuelles, lui que Balzac avait dénommé « l’homme le plus puissant de France ».
Dans la pratique, le juge d’instruction s’est vu progressivement dépossédé de sa mission : on sait que 95 % des affaires viennent à l’audience correctionnelle sans avoir connu le préliminaire de l’instruction. A Paris, ce serait près de 97 %. Dans certaines régions, moins de dix dossiers sur mille passent par le cabinet d’un juge.
Dans les faits, à l’exception des dossiers criminels passibles de la Cour d’assises et des affaires particulièrement complexes en matière économique et financière, les dossiers avant d’être présentés au tribunal correctionnel sont instruits par la police et le parquet.
Or dans l’état actuel de nos textes l’avocat n’est présent qu’une trentaine de minutes à la vingtième heure (à la soixante-douzième heure seulement en matière de soupçon de terrorisme) sans pouvoir parler du fond du dossier avec son client puisqu’il ne le connaît pas, n’a aucune communication des pièces qui le composent, ni des procès-verbaux d’audition de son client ou des tiers qui ont pu être entendus séparément.
Ainsi, qu’il s’agisse de la victime, partie civile, ou du prévenu, le débat contradictoire ne commence qu’à l’audience.
Les moyens de la justice sont si maigres que les audiences sont surchargées, laissant peu de temps aux juges pour se consacrer en profondeur à chaque affaire : la défense n’a ni le temps ni les moyens de faire entendre les témoins qui n’auraient pas été entendus par la police, encore moins d’interroger ceux qui l’auraient été, de faire procéder par le tribunal aux confrontations qui n’ont pas eu lieu ou de demander de nouvelles expertises. Si elle les fait effectuer de sa propre initiative, elles seront tenues pour peu probantes puisqu’elles auront été sollicitées et payées par une partie.
Bref, c’est dans un déséquilibre des armes et des moyens que s’élabore la conviction d’un juge, fondée beaucoup plus sur les procès-verbaux de police et l’enquête préliminaire que sur les brefs débats d’audience.
De tout cela, les avocats à qui revient la mission de faire valoir les droits des personnes qui réclament justice ou à qui on demande des comptes, se plaignent depuis bien longtemps. Nombre de magistrats eux-mêmes déplorent les conditions dans lesquelles ils sont amenés à juger et la population, si on en croit les enquêtes d’opinion, douterait fortement de l’efficacité de sa justice.
Quelles sont les améliorations essentielles que l’État se doit d’apporter au système actuel ?
Il est grand temps que la France à son tour, comme l’a fait l’Espagne il y a trente ans, impose la présence de l’avocat aux côtés du gardé à vue dès la première minute de la garde-à-vue, qu’il ait accès à toutes les pièces du dossier et participe à tous les interrogatoires.
Un tel progrès ne saurait entraver la recherche des éléments de preuve dans le cadre d’une enquête préliminaire précédant la garde-à-vue : recherche d’informations bancaires, auditions de plaignants ou de témoins, investigations urgentes pour éviter le dépérissement des preuves, étant admis, d’une part, que tout ce qui aurait été collecté avant que l’intéressé n’en soit informé puisse faire l’objet de discussion et de contre-expertise et, d’autre part, que soit assuré le plus grand secret à cette phase préliminaire nécessairement courte pour ne pas nuire injustement à celui que ces investigations concernent.
Dès que l’enquête devient contradictoire, en présence des avocats, il est indispensable qu’à tout moment la victime comme le prévenu puisse en appeler à une juridiction de l’instruction, soit pour contester les mesures prises, soit pour exiger des compléments d’enquête, des contre-expertises, des auditions ou des confrontations que le magistrat du parquet n’aurait pas estimé devoir diligenter.
Pour qu’une indépendance totale soit assurée entre les magistrats en charge de l’enquête et les juges chargés de la contrôler, ils doivent appartenir à des corps totalement distincts sans que l’on puisse passer d’une fonction à l’autre avec plusieurs allers-retours lors d’une même carrière.
De même, tout ce qui se rapporte à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire doit être de la compétence exclusive de cette juridiction du contrôle de l’instruction et de l’enquête.
Pour maintenir à égalité d’armes l’accusation et la défense et permettre à la victime comme au prévenu l’exercice de leurs droits, le coût de toutes les mesures d’instruction sollicitées et ordonnées devra être supporté par l’État. Le barreau tient essentiellement à ce qu’il n’existe aucune discrimination par l’argent entre ceux qui auraient les moyens de se défendre et ceux qui ne les auraient pas. Les avocats y sont d’autant plus attachés qu’ils font la preuve quotidiennement d’un total désintéressement en assurant les commissions d’office à chaque fois qu’ils sont sollicités, et ce en contrepartie d’une indemnisation particulièrement modeste.
Devront être très précisément définies et strictement réglementées les conditions dans lesquelles peut être ordonnée une garde-à-vue et devra être limitée la durée de la détention provisoire.
Quant à l’indépendance des magistrats chargés de la poursuite, elle fait l’objet de débats anciens et récurrents. Il faut distinguer entre les dossiers individuels pour lesquels la décision de poursuivre ou de ne pas poursuivre appartient en conscience aux magistrats du parquet sous le contrôle constant de la juridiction de l’instruction elle-même indépendante, et les décisions de politique pénale générale qui sont de la responsabilité du parlement ou du gouvernement. Le politique ne doit en aucun cas choisir ceux qu’il veut voir poursuivis et favoriser d’autres à qui il souhaite conférer une immunité.
En même temps, il n’est pas concevable que dans telle région le ministère public décide de concentrer ses efforts sur la poursuite des délits financiers, sans se préoccuper des discriminations, cependant qu’ailleurs ce serait l’inverse. Les choix de politique pénale appartiennent aux représentants du peuple et au gouvernement qui en est issu.
Le président de la République n’a pas dit autre chose le 7 janvier 2009 lors de la rentrée de la Cour de cassation. Il a émis un certain nombre de propositions fortes dont les parlementaires devront s’inspirer au moment de mettre en chantier la nouvelle législation pénale : substituer une culture de la preuve à une culture de l’aveu ; ne pas redouter la présence de l’avocat le plus tôt possible au cours de l’enquête préliminaire puisqu’il est astreint à une déontologie rigoureuse, de sorte que rien ne justifie qu’on le tienne à l’écart ; créer un véritable habeas corpus, c’est-à-dire une garantie de la liberté individuelle dont ne peut être privé un présumé innocent qu’après débat contradictoire et selon une procédure très rigoureusement encadrée ; instaurer une véritable égalité d’armes entre l’accusation et la défense ; donner le plein exercice de ses droits à la partie civile ; refuser toute discrimination par l’argent ; confier l’enquête à un parquet à l’autonomie hiérarchiquement tempérée ; enfin substituer à l’autorité judiciaire, telle que définie dans la Constitution, un véritable pouvoir judiciaire, comme l’avait conçu Montesquieu et qu’ont mis en œuvre de grandes démocraties amies comme le Canada.
Le rôle des avocats est d’éclairer les juges. Ils souhaitent être associés au travail législatif considérable qui va être entrepris.
Les pouvoirs publics savent que les avocats favoriseront toute innovation de nature à rendre la justice plus efficace et plus sûre et à renforcer les garanties des libertés dont ils sont les sentinelles.
Paris, le 25 août 2009
Christian Charrière-Bournazel
Avocat au Barreau de Paris Bâtonnier de l’Ordre
Paul Lombard
Avocat au Barreau de Paris
Gilles-Jean Portejoie
Avocat au Barreau de Clermont-Ferrand
Ancien Bâtonnier de l’Ordre