Monsieur Gilles Bernheim
Grand rabbin de France
Par mail : chefdecabinet@grandrabbinatdefrance.com
Paris, le 22 décembre 2009
N/Réf. : CCB/CP
Monsieur le grand rabbin,
Votre texte paru dans le Monde.fr du 29 novembre 2009 m’est bien parvenu et je vous en suis reconnaissant.
Je souscris en tout point à ce que vous avez écrit si magnifiquement et que je ne saurais paraphraser sans être ridicule.
J’y ajouterai simplement quelques réflexions personnelles : chacun est unique et son identité est d’abord physiologique comme le prouvent son ADN ou ses empreintes digitales… Mon identité consiste à ne pas être identique à un autre. J’existe d’abord par ma différence. Et c’est ce en quoi chaque personne humaine a droit au plus grand respect.
Notre condition humaine fait que nous dépendons les uns des autres pour le bien comme pour le mal. Une distraction au volant, la plus involontaire possible, peut bouleverser la destinée du piéton qui passe. Une parole chaleureuse et fraternelle peut arracher un désespéré à la tentation du suicide. La plus grande ambition humaine réside dans la construction d’une fraternité. Pour vivre avec l’autre, il me faut le connaître, c’est-à-dire le comprendre. Le comprendre c’est déjà le défendre et peut-être l’aimer.
L’expression « identité nationale » ne représente pas grand-chose à mes yeux. Elle est à la fois imprécise et restrictive, surtout s’agissant de la France dont l’histoire démontre qu’elle n’est jamais la même d’un siècle à l’autre et que son exception tient justement à sa position géographique qui en fait depuis toujours un lieu de passage et de brassage.
Si je devais caractériser non pas l’identité, mais l’exception française, je puiserais, en effet, dans sa culture en ce qu’elle a d’ouvert sur le monde au point d’avoir été enrichie au fil des siècles par des femmes et des hommes venus d’ailleurs qui ont choisi non pas le sol français, mais la culture française comme patrie de prédilection. Je cite à l’envi Lamartine :
« Je suis concitoyen de tout homme qui pense, La liberté c’est mon pays. »
Ou encore Victor Hugo :
« Oh ! insensé qui crois que je ne suis pas toi ! »
Pour autant, je n’ai aucune aversion pour les identités fortes comme celle du peuple juif : « ce peuple insoluble dans l’histoire et qui ne peut que croire en Dieu, même lorsqu’il le nie », comme l’écrivait André Frossard qui m’a honoré de son amitié.
Et le prodige de ce peuple juif, c’est précisément d’avoir poussé si profondément ses racines que ses branches sont à leur mesure : immenses et tutélaires d’un bout à l’autre de l’univers.
Je vous prie de croire, Monsieur le grand rabbin, à l’assurance de ma haute considération et de mon très amical souvenir.
Christian Charrière-Bournazel