La liberté d’expression ne peut pas servir d’immunité à des actes qui n’ont rien à voir avec la manifestation d’une opinion ou d’une pensée : l’incitation à la haine ou à la violence ou à la discrimination en vertu de l’appartenance ou de la non-appartenance à une nation, une race, une ethnie, une religion déterminée ou une orientation sexuelle n’a rien à voir avec l’expression d’une pensée : c’est un acte sans justification rationnelle aussi coupable que la violence physique puisqu’il appelle à la destruction de l’autre ou la justifie.
Il faut donc envisager les mesures qui s’imposent juridiquement dans un état de droit qui a eu raison de s’opposer par humanisme aux intégristes de la liberté d’expression.
– La réédition des ouvrages maudits
Citons-en quelques-uns :
Je cite ceux-là à titre d’exemples.
Il ne s’agit ni de livres philosophiques, ni de livres scientifiques à vocation de recherches historiques, mais des incitations à la haine et au retranchement de la communauté humaine des personnes visées comme criminelles d’être nées selon le mot d’André Frossard.
Ces rééditions ne bénéficient d’aucune légitimité ni d’excuses.
Le grand argument des éditeurs, voire des libraires, consiste à dire que si ces ouvrages sont réédités, accompagnés de commentaires, ils auront une finalité pédagogique. Si cet argument valait quelque chose, il faudrait d’abord que les éditeurs et les libraires s’engagent à faire cette œuvre de pédagogie à titre totalement bénévole, sans tirer le moindre profit de la réédition des livres. Comme l’avocat qui plaide pour la LICRA le fait de manière totalement bénévole à ses frais, le prétendu pédagogue éditeur ou libraire engage sans …………… pour éduquer ses concitoyens si c’est cela son objectif.
Je n’en crois évidemment pas un mot.
Il est donc absolument inutile de justifier une telle entreprise comme a tenté de le faire M. Gallimard.
En revanche, nous autres associations françaises qui, contrairement aux associations suisses, avons le pouvoir de nous porter partie civile dans les procès de négationnisme ou d’incitation à la haine raciste et antisémite, nous avons la possibilité d’agir en justice.
Chaque éditeur est tenu au dépôt légal, même s’il s’agit d’une réédition d’une œuvre ancienne. Il a donc le devoir d’indiquer son nom, le nom de la personne morale dont il est le responsable et aux termes de la loi de 1881, c’est lui qui est l’auteur principal du délit que porte le livre.
La LICRA doit donc se porter partie civile soit par plainte, soit par citation directe à la première réédition d’un de ces livres.
Elle demandera, bien sûr, la condamnation pénale de l’éditeur et, sinon la saisie de tout l’ouvrage, du moins l’obligation de censurer les passages constitutifs des délits poursuivis comme j’avais eu l’honneur de le faire dans le passer avec Marc Lévy contre La Bible des communautés chrétiennes dont les commentaires étaient notoirement antisémites.
Nous avions gagné.
Il est inutile de rappeler aux professionnels que nous sommes que l’auteur principal du délit est justement l’éditeur comme le directeur de la publication du journal, l’auteur intellectuel n’étant que son complice. Nous ne pourrons poursuivre ni Maurras, ni Céline mais leurs rééditeurs sont eux coupables.
– L’internet
Marc Lévy et moi-même avions poursuivi, avant la LCEN de 2004 et la directive européenne dont elle sera la transposition, Yahoo qui hébergeait un site proposant à la vente des insignes nazis, des souvenirs hitlériens.
Le président du TGI avait ordonné une expertise pour vérifier s’il était impossible aux fournisseurs d’accès ou d’hébergement de contrôler ou de supprimer des informations. L’expertise avait conclu que c’était possible et il avait donc ordonné la suppression.
Depuis, la LCEN de juin 2004 a prévu une procédure extrêmement précise : toutes personnes qui s’estiment victimes d’un délit véhiculé par l’internet peut en obtenir la suppression. Les fournisseurs d’accès et d’hébergement sont présumés innocents. S’ils reçoivent une sommation de la victime qui se désigne avec son identité complète, indique quels sont les passages qu’elle estime constitutifs d’un délit dont elle est la victime, ont le choix d’obtempérer ou non. S’ils n’acceptent pas la suppression, la victime va alors en référé pour la demander. Si la juge l’ordonne, le fournisseur doit s’exécuter sinon il commet un délit pénal.
Or aujourd’hui les fournisseurs d’accès ou d’hébergement que l’on assigne à Paris puisqu’ils ont l’air d’avoir un siège social à Paris, prétendent qu’en réalité ce n’est pas la société française ni le site français mais la société qui se trouve en Irlande ou aux Etats-Unis qu’il aurait fallu assigner. Alors qu’ils prétendent à un rayonnement universel et en obtiennent des profits considérables sur la terre entière, ils se meuvent dans l’imposture en jouant sur des localisations qui empêchent de les atteindre et les font échapper à la justice du pays où la victime les assigne.
Une solution est simple : imposer à tous les fournisseurs d’accès ou d’hébergement de rendre immédiatement accessible en appelant leur nom sur un ordinateur l’adresse de la personne physique ou le représentant de la personne morale qui les représente dans chacun des Etats de la communauté universelle.
Que ne nous dise pas que c’est une mission impossible puisqu’ils sont capables de stocker et de donner accès à des millions d’informations. Moins de deux cents Etats sur la planète avec trois lignes chacun ne feront jamais que six cents lignes et le moyen sera alors offert à tout le monde de pouvoir assigner dans son pays le fournisseur d’accès ou d’hébergement qui porte le message dont un justiciable peut avoir à se plaindre ou souffrir.
C’est simple, c’est évident et c’est juste.
– La prescription
Il faut en finir également avec une autre imposture : celle de la prescription courte. Du moment que la mémoire d’internet est sans limite, la prescription doit l’être aussi de manière extrêmement simple : la phrase délictueuse ou l’imputation diffamatoire ou injurieuse portée par internet constitue un délit continu comme le recel. La prescription ne court qu’à partir du moment où l’information a été supprimée.
De cette façon, qui ne suppose pas des réformes monstrueuses ni compliquées, la justice aura son mot à dire et l’immunité des violents, des négationnistes, des haineux ne cessera.
Il faut en finir avec l’imposture qui consiste à faire croire que la liberté d’expression permet tout. Lorsqu’un avocat indigne est radié, il n’y a pas d’atteinte aux droits de la défense. Lorsqu’un organe de diffusion indigne est supprimé, il n’y a aucune atteinte à la liberté d’expression.
Christian Charrière-Bournazel
Paris, le 30 avril 2018