Un nouvel antisémitisme ?

Conférence prononcée à Aubeterre sur Dronne le 8 juillet 2006

L’affaire Dreyfus, cent ans après, devrait appartenir à l’histoire et ne plus nous concerner que comme le rappel de l’aberration mentale qu’a constituée l’antisémitisme et pour la leçon d’espérance donnée par ces hommes et ces femmes qui se sont battus pour la vérité et la justice contre le fantasme.

Hélas, dans la ligne de Drumont, Charles Maurras et Léon Daudet ont empoisonné la première moitié du XXème siècle de leur haine du juif. L’ignoble mauvaise pensée antisémite couvée depuis des siècles a produit ses fruits hideux de 1933 à 1945.

La paix revenue, les nazis vaincus et l’inventaire sinistre de la Shoah ayant été enfin établi, on pouvait espérer que la mauvaise pensée se dissolve dans l’air comme les restes des malheureux suppliciés dispersés en fumée.

Hélas ! Il n’en est rien.

L’antisémitisme existe. Il a ses zélateurs masqués ou déclarés et sous des formes nouvelles, c’est toujours la même haine et la même volonté d’anéantissement.

Je vous propose de réfléchir avec moi quelques minutes autour de trois axes :
– l’expression contemporaine de l’antisémitisme traditionnel ;
– les formes nouvelles de l’antisémitisme et des violences ;
– les débats juridiques autour de l’antisémitisme et du négationnisme.

I – L’EXPRESSION CONTEMPORAINE DE L’ANTISÉMITISME TRADITIONNEL

Quiconque a lu le livre de Jean-Denis Bredin intitulé L’Affaire se rappelle le florilège que le grand avocat et écrivain y a fait figurer des formules antisémites de l’époque, telles que d’autres avant moi les ont évoquées :
– Maurice Barrès s’écriant : « Que Dreyfus ait été capable de trahir, je le déduis de sa race ! » ;
– Léon Bloy : « Le youtre est le confluent de toute la pestilence du monde » ;
– Léon Bloy encore dans le même livre intitulé Le salut par les Juifs : « Et l’argent, ce métal infortuné devint une proie entre leurs griffes d’oiseaux des morts et l’âme des peuples à la longue s’encrassa de leur pestilence » ;
– Léon Daudet décrivant une réception chez les Rothschild parle d’une odeur particulière et pestilentielle qui y règnerait et stigmatise ces jeunes gens empressés autour du maître avec leur nez « en robinet de bains ».

Ce sont encore les phrases de Maurras que rappellera et stigmatisera l’avocat Georges Izard lors du procès de Maurras contre Paul Claudel :

« Au prochain crime commis contre des patriotes, c’est sur vous, Abraham Schrameck, que je donnerai l’ordre de riposter. Je vous tuerai comme un chien ».

Cette haine brute qui ne procède d’aucun raisonnement, d’aucune argumentation (à supposer qu’on puisse en construire une !) s’exprime comme si elle était la conséquence d’une évidence sur laquelle il n’y a même pas à s’arrêter. Rien à démontrer, rien à justifier : le Juif est haïssable, un point c’est tout.

L’antisémitisme contemporain s’exprime de trois manières :
– la même violence qui n’a que faire de se justifier ;
– une autre qui procède de l’héritage antisémite chrétien ;
– une autre enfin, plus subtile et peut-être plus dangereuse encore, qui prétend ne s’en prendre qu’à l’idéologie sioniste en récusant toute accusation d’antisémitisme.

A – L’ANTISÉMITISME BRUT

Mes exemples sont tirés d’affaires jugées par les tribunaux :

– National Hebdo et François Brigneau :

Au moment de la mort accidentelle d’un membre du Front National, Jean-Pierre Stirbois, le journal d’extrême droite National Hebdo et son chroniqueur, ancien milicien, lui rendent hommage.

Quelques jours auparavant, juste après la mort de M. Stirbois, Anne Sinclair au cours de l’émission Sept sur Sept avait interrogé Philippe Alexandre, journaliste à RTL, sur cette mort. Le célèbre chroniqueur avait répondu en substance que toute mort est triste pour les proches du défunt, mais que, comme citoyen, lui, Philippe Alexandre, n’éprouvait aucune tristesse particulière, se rappelant que M. Stirbois était l’auteur de la dérive antisémite du Front National.

Dans les colonnes de l’hebdomadaire d’extrême droit National Hebdo, M. Brigneau écrit :

« Jean-Pierre, ta victoire tu vas l’avoir après un dernier crachat casher : Anne Sinclair, marchande de soutiens-gorges à TF1, juive mal assimilée de tendance socialiste, et Philippe Alexandre, marchand de bretelles à RTL, juif mieux assimilé, de tendance centriste … ».

Aucun argument, aucun raisonnement, aucune pensée. La haine du juif relève d’une évidence qui comme toute évidence ne se démontre pas.

– Le journal Présent et Jean Madiran :

Dans la même ligne, un membre du Front National avait été tué dans une ville du sud-est et plusieurs hypothèses avaient été avancées, du suicide jusqu’à des règlements de comptes sur fond de vie privée.

Le procureur de la République de Toulon avait rendu public un communiqué.

Des journalistes se présentant en retard à sa conférence de presse avaient été reçus par un de ses substituts, M. Lévy, qui s’était borné à répéter ce que le procureur avait dit. Sous la plume de Jean Madiran les journalistes sont désignés comme « les chacals de la presse cosmopolite », le nom de Lévy est martelé à sept reprises sous le titre : « C’est le substitut Lévy qui a lâché les chacals ».

Ces deux exemples sont pris parmi une quantité d’autres et illustrent la permanence d’une haine du juif qui n’a changé ni de forme, ni de force près de cent ans après Dreyfus.

B – L’HÉRITAGE ANTISÉMITE CHRÉTIEN

Une survivance de l’antisémitisme chrétien s’observe assez régulièrement.

Deux exemples récents l’illustrent :

– L’affaire de la Bible des communautés chrétiennes :

Une édition commise par des clercs – les communauté Saint-Paul qui ont leur siège en Italie et un grand rayonnement en Amérique du Sud –, contenait un apparat critique sous forme de notes en bas de page, totalement antisémites, ainsi que des traductions tendancieuses.

– Un lecteur de Sud-Ouest :

Au moment où Monseigneur Eyt, archevêque de Bordeaux, oeuvrait pour le rapprochement entre les catholiques et les juifs, un lecteur avait écrit une lettre à Sud-Ouest, qui n’avait pas hésité à la publier.

On y lisait :

« Comment peut-on oublier que les juifs sont responsables de la flagellation, du couronnement d’épines et de la crucifixion, eux qui deux mille ans après n’ont toujours pas demandé pardon !».

Là encore, c’est l’expression brute d’une haine qui n’a été passée au crible d’aucun examen critique : ce misérable n’avait même pas lu l’Évangile puisqu’il y aurait appris que c’est Pilate, gouverneur romain, qui a livré l’homme juif Jésus à ses soldats et que ce sont par conséquent des soldats romains qui l’ont flagellé, couronné d’épines, crucifié et abandonné mort sur la croix romaine où il avait été fixé par eux.

Là encore, il s’agit d’exemples saillants particulièrement révélateurs.

A Saint-Nicolas du Chardonnet, l’abbé Laguérie n’hésite pas à inviter ses fidèles à prier pour que l’Église soit un peu moins « hébraïsante».
Voilà pour la permanence de cet antisémitisme porté par de pseudo-intellectuels ou de soi-disant bons chrétiens à qui l’histoire n’a rien appris, les uns se réclamant de l’outrance qu’on doit pardonner au polémiste, les autres de la ferveur religieuse.

C – L’ANTISÉMITISME NATIONALISTE

Une manifestation contemporaine de cet antisémitisme traditionnel à tendance nationaliste est celle de M. Renaud Camus, écrivain. Il avait constaté que sur France Culture, on entendait surtout des Juifs parler entre eux d’écrivains français. Il avait alors opposé la judaïté conçue par lui comme un élément d’extranéité et l’appartenance à la communauté culturelle française dans laquelle le Juif ne pourrait pas véritablement s’insérer.

M. Renaud Camus, qui compte les Juifs à la radio comme d’autres les moutons pour s’endormir, avait clairement dit en substance que l’immigration récente des Juifs ne pouvait pas les rendre pertinents dans l’analyse d’oeuvres authentiquement françaises pour pouvoir en apprécier toutes les nuances et toutes les subtilités car il leur manquerait une sorte de patine intellectuelle ou de sensibilité qui ne se formerait qu’avec le temps.

De la même veine était un article particulièrement venimeux et perfide paru dans Rivarol. L’auteur racontait une histoire : il avait rencontré son meilleur ami, un Juif, l’être auquel il tenait le plus, son double. Il l’avait trouvé triste. L’autre s’en était expliqué en disant que le regain d’antisémitisme en France le poussait à envisager de partir pour Israël. Et l’auteur feignait de se désespérer. Il allait perdre son ami, mais surtout qu’allait devenir la France ? Et de poursuivre ainsi : « Que va devenir la médecine si décident de partir pour Israël untel, untel, untel ? Que vont devenir la radio et la télévision si les imitent x, y, z ? Et le théâtre ? Et le cinéma ? » et suivait la litanie des noms de Juifs qui se trouvaient ainsi désignés, apatrides en leur pays puisque Juifs voués à l’errance ayant les yeux tournés vers Israël.

*

Ainsi n’est-il pas abusif de dire que ni Dreyfus ni la Shoah n’ont rien enseigné à ces pseudo-intellectuels aux yeux de qui le Juif demeure le marchand, le cosmopolite, l’étranger inapte à se fondre dans l’identité française.

Et on ne lui laisse aucune chance puisque, s’il le fait, alors c’est qu’il se dissimule, qu’il se cache mais en vain puisqu’on peut le débusquer !

II – LES FORMES NOUVELLES DE L’ANTISÉMITISME ET DES VIOLENCES

Deux formes nouvelles de l’antisémitisme se sont manifestées depuis la guerre :
– l’une, c’est le négationnisme ;
– l’autre, c’est l’antisionisme ;
– avec comme conséquence la violence.

A – LE NÉGATIONNISME

Il s’agit, comme vous le savez, pour ceux qu’on a d’abord appelés les révisionnistes et qu’on nomme aujourd’hui les négationnistes de contester soit l’étendue des conséquences de la Shoah qui aurait été totalement surévaluée pour des motifs inavouables, soit de les nier purement et simplement au nom d’analyses scientifiques et techniques qui ne laisseraient aucune place au doute.

1°) le négationnisme relatif

– Rassinier :
Le premier négationniste est Rassinier qui avait écrit en 1960 un livre intitulé Le drame des Juifs européens où, à partir de données chiffrées puisées dans l’état civil des différents pays d’Europe de l’Est, d’Europe Centrale et de France, il avait estimé pouvoir établir qu’il était impossible qu’eussent été exterminés six millions de Juifs mais tout au plus deux millions.
Il n’avait pas une larme ni un mot de compassion pour ces deux millions de victimes qu’il reconnaissait, mais s’appesantissait longuement sur les motifs de ce mensonge : c’est en gonflant le nombre des victimes que les Juifs espéreraient obtenir beaucoup d’argent des pays coupables de cette ignominie afin d’accumuler des richesses suffisantes pour préparer la troisième guerre mondiale.

– Le Pen :
On se rappelle les propos de M. Le Pen affirmant que l’extermination des Juifs n’avait été qu’un « point de détail » de l’histoire de la deuxième guerre mondiale.
Il s’en est défendu en recourant à la science numérique : il voulait simplement dire, a-t-il affirmé, que, sur les trente millions de morts imputables à la guerre de 39-45, les Juifs n’avaient représenté qu’un faible nombre de victimes.
On est évidemment en plein négationnisme relatif comme l’était aussi cet autre qui avait dit qu’à Auschwitz, il n’y avait eu que quelques dizaines de milliers de morts.

– Garaudy :
Dans le même registre que Rassinier, Roger Garaudy a commis il y a quelques années le livre intitulé Les mythes fondateurs d’Israël où il se livre à une analyse destinée à minorer les conséquences des crimes nazis et dont il tire argument pour soutenir qu’en réalité les Juifs auraient considérablement exagéré leurs malheurs pour légitimer la création illégitime de l’Etat d’Israël et leur domination sur le Proche Orient.

2°) Le négationnisme radical

C’est celui notamment de Robert Faurisson.

M. Faurisson, à de multiples reprises, a exposé ses thèses dans des livres, dans des conférences de presse, sur son site internet et a fait l’objet de condamnations répétées dont je reparlerai à propos de la réponse judiciaire à l’antisémitisme.

Il comparaîtra dans trois jours devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir dit, il y a un peu plus d’un an :

« mais d’abord, je voudrais vous dire ceci. Il n’y a jamais eu aucune tentative d’extermination des juifs par les nazis. Les nazis ont recherché une solution finale territoriale de la question juive. On dit toujours, solution finale, et on donne à entendre que ça signifie extermination. On ne donne jamais l’adjectif territorial.

Les nationaux socialistes partageaient avec les sionistes, au moins au début un idéal qui était celui d’installer les juifs quelque part dans le monde pour qu’ils ne soient plus des parasites, pour qu’ils aient un pays à eux.

C’est ainsi que les allemands ont songé que peut-être, les juifs pourraient s’installer à Madagascar, ou bien en Ouganda, à un moment même, ils ont pensé à la Palestine. Et puis les nationaux socialistes ont renoncé à l’idée de la Palestine, et je cite le document où ils ont renoncé ; ce document dit que on ne peut pas installer les juifs en Palestine, à cause du noble et vaillant peuple arabe, on ne peut pas faire cela aux arabes.
Il n’y a jamais eu de politique d’extermination physique des juifs. Il était interdit de tuer les juifs, et toutes les images qu’on vous présente de cadavres dans les camps sont des images à quelques exceptions près, de personnes qui sont mortes d’épidémie de typhus, qui ont fait de formidables ravages dans l’Europe en guerre.

Il y a donc un mensonge effroyable à prétendre que les gens qui sont morts, ont été tués. D’autre part, on vous présente des fours crématoires ; comme si c’était la preuve que les allemands avaient voulu tuer les juifs. Pas du tout. Les fours crématoires étaient faits pour incinérer les cadavres, aussi bien de juifs que des personnes qui n’étaient pas juives, et même des personnes allemandes qui étaient mortes.

A Auschwitz en particulier, qui était un camp bâti sur un terrain possédant des marais, il était impossible d’enterrer les morts. Donc on les incinérait. L’incinération était d’autant plus nécessaire qu’il y avait des risques d’épidémie. Et on a osé présenter Auschwitz comme un camp, où les gens auraient été d’abord gazés puis incinérés. Il n’a jamais existé une seule chambre à gaz d’exécution chez les allemands, pas une seule. Celles que l’on fait visiter à des millions de touristes à Auschwitz, n’a jamais été une chambre à gaz, ça a d’abord été ce qu’on appelle un dépositoire, c’est-à-dire une salle où l’on met les cadavres en attente de leur incinération dans une autre salle qui est à côté. Puis ça a été un abris anti-aérien, avec une salle d’opération chirurgicale et deux chambres.
Par conséquent ce que des millions de touristes visitent à Auschwitz, c’est un mensonge, c’est une falsification, c’est une tromperie pour touristes.
Moi je l’ai découvert en 1975, et j’ai été insulté, j’ai été chassé de mon poste de Professeur, pour avoir dit cela. Or en 1995, c’est-à-dire 20 ans plus tard, des historiens tout à fait favorables aux juifs ont fini par le reconnaître. Je peux vous donner la référence de cela et notamment le cas de quelqu’un qui s’appelle Eric Conan, son nom s’écrit CONAN, dans l’express qui est un magazine , du 19 janvier 1995, il a fini par écrire, ce monsieur, qui m’est très hostile « Faurisson avait raison, dans cette chambre à gaz, toute cette prétendue chambre à gaz, tout est faux ». Il est allé trouver la sous-directrice du musée d’Auschwitz et lui a dit vous ne pouvez pas laisser cette chambre à gaz, cette prétendue chambre à gaz comme cela et montrer aux touristes, une prétendue chambre à gaz et mentir aux touristes, qu’est-ce que vous allez faire. Et la sous directrice dont il nous donne le nom, c’est une madame Christina Olesky, OLEKSY, a dit c’est trop compliqué. Elle voulait dire c’est trop compliqué de dire la vérité. Cette chambre à gaz on la laisse en l’état, on verra plus tard, cela revient à dire, nous, nous avons menti, nous continuerons jusqu’à nouvel ordre. Et en 2001, saurez vous que dans une cassette vidéo on a, qui a été faite par nos adversaires, les gens qui ne sont pas d’accord avec moi, ils ont dit … ».

Cette lecture à elle seule se passe de commentaire et illustre très précisément cette forme nouvelle de l’antisémitisme qui consiste à accuser les Juifs de mentir à propos de malheurs imaginaires qu’ils ne brandiraient que pour en tirer partie et servir leurs intérêts.

On se rappelle avec tristesse la phrase prononcée, il y a plusieurs années, par Domenach, ancien directeur de la revue Esprit : il avait jugé bon de stigmatiser ceux qui selon lui ne penseraient qu’à percevoir « les dividendes d’Auschwitz ». Formule horrible qui, elle aussi, se passe de commentaire.

B – L’ANTISIONISME

Plus subtile et non moins dangereux, l’antisionisme est l’alibi de grand nombre d’antisémites qui trouvent là le moyen de justifier leur haine du Juif.

Comprenons bien, toute critique de la politique de l’Etat d’Israël est légitime. On se rappelle, à cet égard, l’échange de lettres entre Ben Gourion et Charles de Gaulle, ce dernier exprimant au premier qu’à partir du moment où le peuple juif s’était constitué en Etat, il ne pouvait échapper, pas plus qu’aucun autre Etat, au regard de la communauté universelle.

Ce dont il est question, c’est tout autre chose. C’est la mise en cause non pas des choix politiques, stratégiques ou militaires effectués par un Etat en telle ou telle circonstance, mais sous prétexte de compassion à l’égard des populations palestiniennes, de l’amalgame entre l’Etat d’Israël contemporain et le peuple juif pris à travers l’universalité de ses membres et toute l’étendue de son histoire.

Quelques exemples :

– le dessin de Konk :
Ce dessin avait paru dans Rivarol. On voyait un quai de gare et des wagons à bestiaux garés le long du quai. Au pied des wagons, un officier nazi en uniforme et un soldat nazi en casque. Entre eux, un chien policier. En face d’eux, prêts à monter dans les wagons, une foule de civils, hommes, femmes et enfants. Simplement, les civils étaient habillés de djellabas et coiffés de keffiehs et les deux militaires SS avaient l’un sur sa casquette, l’autre sur son casque, une étoile de David. Une bulle s’échappait de la bouche de l’officier où l’on pouvait lire : « Les hommes à Gaza, les femmes à Jéricho ! ».

Konk prétendait en vain qu’il se bornait à une critique de la politique d’Israël puisqu’on ne sache pas qu’il y ait en Israël de wagons à bestiaux dans lesquels des officiers en tenues de SS feraient monter les hommes et les femmes pour les répartir entre deux points opposés des territoires palestiniens.

Il s’en prenait donc au peuple juif désigné clairement comme le peuple des bourreaux identiques exactement à ceux dont il prétend avoir été la victime et ne faisant rien moins que de commettre réellement les crimes dont il ne cesserait de clamer qu’il a été lui-même victime.

– le sermon de Noël :

Dans une petite paroisse de la banlieue de Montpellier, la nuit de Noël, le curé a distribué une feuille écrite en langue vernaculaire et en français sur laquelle on pouvait lire en substance :
« Regardez le, ce Jésus dans sa crèche. Pauvre petit Palestinien. Sharon l’a tué ».
L’imbécillité du propos n’atténue pas sa méchanceté. Il est un exemple quasi-archétypique d’un mélange subtil. C’est d’abord la permanence d’un antisémitisme chrétien durable, puisque Jésus n’y est pas identifié comme Juif mais comme un Palestinien que le chef du gouvernement juif aurait tué, au nom de tout le peuple.
En même temps, la phrase a comme alibi le sort que ferait l’Etat d’Israël aux Palestiniens et a été revendiquée à l’audience comme une simple critique de la politique de l’Etat d’Israël !
Faut-il dire, à ma grande honte, que, de toutes les affaires que j’ai citées et que je cite ici, c’est la seule qui a abouti à la relaxe de l’auteur de ces misérables propos.

– Dieudonné :

Dans le même registre, M. Dieudonné M’bala M’bala profère des propos de même portée. Il y a deux ans, il a déclaré dans un spectacle puis dans une interview :

« Ce sont tous ces négriers reconvertis dans la banque, le spectacle et aujourd’hui l’action terroriste qui manifestent leur soutien à la politique d’Ariel Sharon. Ceux qui m’attaquent ont fondé des empires et des fortunes sur la traite des Noirs et l’esclavage. »

Son discours n’est pas une critique de la politique d’Ariel Sharon comme il aurait le droit de l’exprimer, ni un jugement sévère appliqué aux citoyens d’Israël qui soutiennent Ariel Sharon. L’arche jetée à travers le temps depuis les négriers jusqu’aux contemporains montre assez qu’il s’agit d’un cri de haine à l’égard de la communauté juive toute entière, ce que le tribunal a bien vu :

« Un tel anathème, l’emploi du terme particulièrement violent de « négrier » et l’amalgame auquel le prévenu se livre en recourant à des stéréotypes antisémites qu’il mélange et n’hésite pas à actualiser de manière singulière – le négrier enrichi, le banquier, le militant sioniste, le terroriste soutenant Ariel Sharon – ne peuvent que susciter chez le lecteur un vif sentiment de rejet voire de haine ou de violence à l’égard de la communauté juive ainsi présentée sous un jour odieux, et constituer un ferment indéniable de discorde ».

C – LES VIOLENCES

Ce ne sont pas seulement des propos, mais des actes qui aujourd’hui manifestent l’antisémitisme à l’oeuvre dans notre pays.
Le ministère de l’intérieur a dénombré du 1er janvier au 31 décembre 2005 :

? soixante dix-sept agressions physiques,
? dix jets d’objets et de gaz,
? onze jets d’objets incendiaires,
? cinquante quatre actes de dégradations ou de vandalisme,

soit au total cent cinquante deux actes violents.

Il a également dénombré cent quarante huit actes malveillants sous la forme de menaces, de profanations, d’insultes, d’inscriptions ou de courriers.
Pour les six premiers mois du 1er janvier au 30 juin 2006, il a dénombré :
? cinquante neuf agressions physiques,
? sept jets d’objets et gaz,
? un jet d’objets incendiaires ou incendie,
? vingt quatre dégradations ou actes de vandalisme,

soit quatre vingt douze pour simplement six mois.

Pour ce qui concerne les menaces, on répertorie :
? douze menaces,
? trente trois insultes,
? deux distributions publiques,
? onze inscriptions,
? sept courriers,

soit au total soixante cinq.

C’est donc une augmentation sensible.

Nombre d’enseignants juifs sont pris à partie dans les établissements des quartiers difficiles, molestés ou frappés. D’autres voient leur voiture vandalisée. Enfin, les élèves eux-mêmes peuvent faire l’objet d’un ostracisme ou de persécutions mentales ou physiques.

Ce fut notamment le cas du jeune Serrero au lycée Montaigne où les professeurs s’étaient tus et où la seule riposte de l’administration avait été, dans un premier temps, de conseiller aux parents de changer leur petit garçon d’établissement scolaire !

Enfin, la plus exemplaire de toutes les violences est l’assassinat récent du jeune Ilan Halimi, séquestré et torturé pendant plus de dix jours dans des conditions particulièrement barbares. L’antisémitisme traditionnel réapparaît derrière cet acte d’une cruauté inouïe : Ilan Halimi avait été choisi parce qu’il était Juif, donc susceptible d’avoir de l’argent qu’il pourrait donner ou faire donner par ses parents dans le cadre d’une demande de rançon.

III – LES DÉBATS JURIDIQUES AUTOUR DE L’ANTISÉMITISME

Cette permanence d’un antisémitisme, qui n’est pas le lot de la population dans son ensemble mais qui empoisonne la vie publique, a imposé au législateur de prendre des mesures.
L’une d’entre elles, la « loi Gayssot », fait l’objet d’une contestation.

En même temps, l’apparition des moyens de communication par internet pose de nouveaux problèmes.

A – LES RÉPONSES JURIDIQUES ET JUDICIAIRES

La loi du 29 juillet 1881, proclamatrice de libertés, avait organisé l’impression, l’édition et la vente en librairie. En même temps, elle avait institué un régime de responsabilité permettant de réprimer les abus de cette liberté lorsqu’ils portent atteinte aux personnes, publiques ou privées, ou aux bonnes moeurs, ou encore lorsqu’ils constituent l’apologie de délits ou de crimes ou incitent à l’insurrection.
Pour endiguer le flot des attaques antisémites, la loi du 1er juillet 1972 (dite « loi Pleven »), a institué la répression d’une série de délits commis envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Ce sont donc des délits particuliers dont on peut établir la liste :

– les injures ;
– les diffamations ;
– l’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence.

En même temps, l’appareil législatif français a érigé en circonstance aggravante d’un crime ou d’un délit le mobile xénophobe, raciste, antisémite ou discriminatoire. La « loi Lellouche » a renforcé le dispositif déjà en place.

L’antisémitisme a trouvé alors de nouvelles voies pour s’exprimer : sous prétexte de recherches historiques, légitimes par définition, sont apparues les thèses révisionnistes et négationnistes dont j’ai parlé plus haut. La caution d’universitaires a prétendu les conforter. C’est dans ces conditions que la loi du 13 juillet 1990, dite « Loi Gayssot », a été promulguée et introduite sous la forme d’un article 24 bis dans la loi du 29 juillet 1881 sur la presse.

B – LA CONTESTATION DE LA « LOI GAYSSOT »

La loi réprime :

« ceux qui auront contesté (…) l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ».

Ce n’est pas le débat autour de l’histoire qui est proscrit par cette loi. C’est la négation de l’existence de crimes dont la réalité est indiscutable et qui ont fait l’objet de jugements. Cette loi a permis de poursuivre et de faire condamner devant les tribunaux toutes sortes de personnes (hommes politiques, universitaires, journalistes, un avocat même) qui professent que les chambres à gaz seraient un mensonge historique, qu’il n’y aurait jamais eu de politique d’extermination voulue, décidée et mise en oeuvre par les nazis et leurs alliés et que tout cela serait, en réalité, un énorme mensonge historique.

Cette loi spécifique permet de réprimer l’expression particulière de l’antisémitisme que constitue la négation de la Shoah. En réalité, il n’y a pas de débat historique qui résiste aux preuves amoncelées depuis plus de soixante ans et soigneusement sauvées de l’oubli par le travail de chercheurs comme Simon Wiesenthal, Serge Klarsfeld et tant d’autres.

On l’a déjà dit : nier la Shoah, c’est accuser les Juifs de mentir pour tirer des avantages indus de souffrances qu’ils n’auraient pas endurées. C’est le thème du Juif dominateur et sans scrupule qui au début du vingtième siècle avait été largement exploité déjà par Les protocoles des Sages de Sion.

La « loi Gayssot » est contestée aujourd’hui sur deux fronts :
– au nom de la liberté d’expression ;
– au nom de l’incongruité qu’il y aurait à voir le législateur se faire proclamateur d’histoire.

1°) La liberté d’expression

Deux thèses s’affrontent.

Celle inspirée des Américains et du premier amendement à la Constitution américaine, selon laquelle on ne peut rien interdire. Il est seulement permis à une victime qui aurait subi un préjudice de demander une réparation au titre d’un abus de cette liberté. J’appellerais cela la conception intégriste de la liberté d’expression.

De l’autre, une conception française et européenne pour qui, si cette liberté est sacrée et constitue un pilier de la démocratie, l’intérêt public commande que ne soient pas permises les expressions d’une haine raciste, xénophobe, homophobe ou antisémite, parce qu’elles ne peuvent pas revendiquer l’immunité au nom de la liberté de pensée et d’expression.
En France, les tenants de cette ligne ont réussi à obtenir que la haine ou le mépris à caractère discriminatoire ne jouissent pas de l’immunité conférée à la liberté d’opinion et d’expression. Il faut, en effet, distinguer très précisément ce qui est de l’ordre de la pensée et ce qui est de l’ordre de la violence haineuse.

Les mots n’ont pas le pouvoir de sacraliser tout et n’importe quoi. Il existe des délits qui sont matérialisés par des mots : le harcèlement moral, le harcèlement sexuel, le chantage, l’outrage à magistrat, etc … Qui s’aventurerait à avoir le ridicule de prétendre que parce qu’il s’agit de phrases proférées par la personne humaine, les mots ne pourraient jamais faire l’objet de poursuites ni d’interdits ?
La phrase ou le mot qui exprime la haine de l’autre en niant ce qu’il a en lui de dignité humaine irréductible et égale à toute autre personne humaine est déjà un acte suppressif, un acte de violence, une agression qui peut être mortelle.

Nombre de juristes ont milité pour que les incriminations pénales relatives aux infractions à caractère raciste, xénophobe ou antisémite soient extraites de la loi fondant la liberté d’expression et d’impression pour figurer comme délits de droit commun dans le corps du code pénal.

Un chemin a été accompli puisque déjà le régime court de la prescription de trois mois applicable aux délits de presse ne bénéficie plus aux atteintes xénophobes, racistes ou antisémites. Pour autant, la prescription, si elle a été allongée à un an, n’est pas celle du droit commun de trois ans.

2°) Une loi peut-elle prescrire l’histoire ?

Un autre axe de critiques de la « loi Gayssot » se fonde sur les rapports entre la loi et l’histoire.
En effet, on a vu récemment le Parlement légiférer à trois reprises dans des conditions discutables.

– une loi du Parlement français reconnaît l’existence du génocide arménien ;
– la « loi Taubira » qualifie de crimes contre l’humanité l’esclavage et la traite négrière, tout en ne prenant en compte que l’esclavage pratiqué par certaines nations pendant une certaine période de l’histoire ;
– une troisième loi, l’an passé, a estimé devoir proclamer les bienfaits de la colonisation.

Aucune de ces lois ne comporte l’édiction d’une sanction applicable à celui qui affirmerait le contraire de ce qu’elles proclament.
Est-il, par conséquent, légitime et raisonnable que le Parlement, dont la fonction est d’édicter des lois normatives, se transforme en déclarateur d’histoire comme s’il y avait une histoire officielle sur laquelle il serait illégal de faire porter un examen critique ?

La question n’est pas anodine. Le droit, en effet, est relatif et contingent. L’ordre qu’il instaure à un moment donné de la vie des peuples coïncide avec l’état de la conscience collective. La loi est aussitôt dépassée que promulguée et la jurisprudence est chargée de l’adapter aux situations nouvelles que la vie invente à chaque instant. Voltaire disait déjà qu’on peut être coupable en un ou deux points de l’hémisphère et absolument innocent dans tout le reste du monde. On voit aussi, dans un temps bref, le droit se transformer du tout au tout avec l’évolution des sociétés : il était criminel, voici cinquante ans, d’avorter. C’est un délit aujourd’hui d’empêcher une femme d’exercer son droit à avorter.

L’histoire elle-même n’est jamais définitivement connue ni établie. Les progrès de la recherche, les découvertes archéologiques ou l’exhumation de documents ignorés amènent l’historien à une révision permanente.

Une loi qui proclame l’histoire est doublement imprudente : elle méconnaît le caractère instable du droit en même temps qu’elle fige un état de la connaissance historique.
C’est la raison pour laquelle, le 13 décembre dernier, des personnalités de premier plan ont signé un texte demandant l’abolition de toutes les lois proclamatrices d’histoire. Leur demande visait aussi la « loi Gayssot ».

C’est un difficile et douloureux débat : les Arméniens, dont le génocide n’a toujours pas été reconnu par la Turquie, demandent justice à la communauté universelle au nom de l’histoire. On ne peut pas ne pas entendre leur voix. Mais qui, aujourd’hui, nierait le génocide arménien par haine des Arméniens ou dans l’espoir de faire croire que les Arméniens s’inventeraient de fausses souffrances pour asservir le monde ?

La « loi Gayssot » est d’une autre nature et, sans répéter ce qui a été dit, il me semble nécessaire de continuer à la défendre en raison de sa spécificité parce que cette spécificité répond au caractère irréductible à tout autre de la haine immémoriale que les Juifs affrontent d’un bout à l’autre de l’univers depuis le commencement de notre civilisation.

C – LES PROBLÈMES POSÉS PAR INTERNET

La mondialisation est aussi celle de l’information. Le fabuleux outil de communication universelle que constitue la toile permet à chacun d’accéder à tout le savoir accumulé depuis que l’humanité a commencé à être intelligente. Mais cette vague immense qui balaie le monde ne transmet pas seulement partout l’écume la plus pure et les ondes les plus riches qu’on puisse rêver et voir ; elle charrie aussi les immondices les plus nauséabonds.

La directive européenne et la loi française ont, avec beaucoup de sagesse, présumé l’irresponsabilité des fournisseurs d’accès et d’hébergement, mais ont aménagé un système de responsabilité dès lors que le fournisseur a connaissance du message illicite qu’il héberge et transmet. Le juge peut lui donner injonction de le supprimer et l’hébergeur, à peine de sanctions pénales, doit y satisfaire.
Ainsi se trouve établi un subtil équilibre entre la liberté de circulation des informations et des opinions et la suppression de messages pédo-pornographiques, racistes, xénophobes, antisémites ou plus généralement discriminatoires.

Aux Etats-Unis même, en dépit du premier amendement, un débat s’est instauré à travers une jurisprudence concernant Yahoo ! dont l’affaire avait été portée par la LICRA devant la cour d’appel de Californie, 9ème circuit. Les juges américains ont émis une opinion dissidente, estimant que le premier amendement ne peut pas être invoqué pour légitimer tous les messages et notamment pas ceux qui nous intéressent.

Mais nous sommes encore loin d’avoir réalisé une unité juridique du monde anglo-saxon et du monde européen sur cette question difficile. Bref, les marchands de pourriture ont encore de beaux jours devant eux. Les avocats qui se consacrent à les contrer vont encore poursuivre leur mission d’éboueurs sacrés.

CONCLUSION

Mesdames, Messieurs, l’affaire Dreyfus a eu le mérite, à l’occasion d’une injustice exceptionnelle, de faire prendre conscience à notre pays de l’étendue de l’infection dont il était atteint.

Le virus est récidivant. Nul vaccin, nulle thérapie n’en sont venus à bout. Ses mutations ne le transforment pas radicalement. Il est vivace. Il est durable. Nous avons au moins, pour en conjurer les effets, quelques moyens à notre disposition : un colloque comme celui-ci, les juridictions devant lesquelles nous témoignons et notre inlassable volonté de recommencer toujours le même combat.

C’est notre détermination à témoigner toujours et à toujours lutter qui nous rend dignes du nom d’homme. Ce n’est pas l’espérance qui nous sauve, c’est nous qui sauvons l’espérance.

Christian Charrière-Bournazel

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