Libre opinion
La nécessité de juger et l’inviolabilité du secret
Le débat public ouvert sur les perquisitions dans les cabinets d’avocats voit s’affronter des thèses excessives et s’échanger des anathèmes inutiles.
Aucun avocat, et certainement pas le signataire de la présente chronique, ne prétend que l’avocat serait au-dessus des lois, que le secret pourrait lui bénéficier comme un privilège ou une immunité conçus à son profit ou au profit de ses clients, surtout les plus puissants ou les plus illustres, ou même que son rôle d’avocat serait de faire échec à la justice par tous les moyens au mépris de la vérité.
Je ne pense pas non plus que la plupart des magistrats prennent les avocats pour des délinquants en puissance ou des complices actifs de leurs clients, ni qu’ils les imaginent vivant grassement comme des receleurs du butin des malfaiteurs, ni enfin qu’ils envisagent leurs cabinets comme des « sanctuaires » ou comme des repaires de terroristes ou de scélérats.
Les brebis galeuses sont l’infime exception chez les avocats comme chez les magistrats.
Demeure une problématique qui n’est pas réglée en droit français, problématique née d’un conflit de valeurs : d’un côté, la légitime recherche de la vérité au nom de la nécessité de juger qui a fait inscrire dans les codes le pouvoir de perquisition au profit des juges ; de l’autre, une liberté fondamentale de la personne humaine : son droit à une relation secrète avec un confident nécessaire (prêtre, médecin, avocat, etc…) qui impose au professionnel un respect absolu de ce secret institué dans l’intérêt des citoyens sous peine d’encourir des poursuites pénales.
Les perquisitions chez les avocats posent donc un problème particulier qu’il est absurde et indigne de ne pas vouloir regarder en face et résoudre.
Une attitude ne serait pas convenable qui consisterait à considérer que si l’avocat est tenu au secret, il n’en est pas le gardien, de sorte que si, en vertu d’une contrainte que la loi lui oppose, son cabinet est violé, il pourrait s’en désintéresser puisqu’il n’est pas personnellement auteur d’une violation volontaire.
Je n’estimerais plus que je suis encore avocat s’il m’était indifférent que les notes que j’ai prises à partir des déclarations d’un de mes clients dans le secret de mon cabinet puissent être à sa discrétion regardées par un juge.
Ce qui préoccupe chaque avocat, c’est le sort de celui qui, ayant investi sa confiance en lui, sait qu’il peut lui parler librement de ses projets ou de ses fautes en risquant d’être contredit, certes, désavoué même, mais jamais dénoncé ou trahi.
De la sorte, aucun avocat ne peut accepter que des magistrats, parfois des policiers qui les accompagnent, viennent à leur cabinet, ouvrent leurs dossiers, photocopient leurs agendas ou les saisissent, accèdent aux mémoires informatiques de leurs ordinateurs, appréhendent les dossiers de clients et prétendent même s’emparer des notes manuscrites qui sont la trace de l’échange que le client croyait confidentiel avec ce confident dont le conseil lui était nécessaire pour se conformer au droit ou pour se défendre.
Des dérives se produisent : des juges auraient perquisitionné « à toutes fins » pour aller chercher dans des dossiers d’avocats des adresses de personnes recherchées qui furent naguère leurs clients.
Tel autre magistrat n’hésite pas à écrire à l’avocat pour qu’il communique les coordonnées précises des comptes bancaires de son client.
Bref, quelques juges, dans une montée en puissance orgueilleuse, perdant le sens du droit, ne veulent voir opposer aucun obstacle à l’exercice de leur pouvoir.
Le règlement des avocats du barreau de Pékin (on sait la faible inclination de la Chine pour la conception universelle des Droits de l’Homme) impose à l’avocat de ne rencontrer son client en prison qu’en présence d’un témoin et de consigner soigneusement ses déclarations pour les tenir à la disposition de la justice.
Cet intégrisme judiciaire poussé à l’extrême ne présente pas de différence de nature mais seulement de degré avec les dérives que nous constatons aujourd’hui en France.
Résumons tout cela : un avocat, éventuellement soupçonné d’être l’auteur ou le complice d’un crime ou d’un délit, ne devra pouvoir échapper à la justice au prétexte qu’il est avocat.
En revanche, les dossiers d’un avocat couverts par le secret professionnel ne peuvent pas être des greniers où le juge viendrait remplir ses sacs de grain à moudre.
Je propose donc l’institution d’un juge du secret qui, à défaut d’accord au moment de la perquisition entre le Bâtonnier et le juge sur la manière de procéder, se verra remettre les pièces saisies par le juge sous forme de scellés fermés. Etranger à l’instruction en cours, ce juge du secret dira quelles pièces lui paraissent pouvoir être remises à la juridiction d’instruction ou de jugement et quels autres ne peuvent pas être retirées du cabinet de l’avocat.
Pour éviter les perquisitions « à toutes fins », au moment où il pénètrera chez l’avocat, le juge aura l’obligation de notifier au Bâtonnier et à l’avocat en question les charges pesant sur lui en rapport avec tel client ou tel dossier, de façon à ne pas permettre une soudaine extension totalement abusive de la curiosité du magistrat à toutes les affaires traitées dans le cabinet.
Et comme il ne sert à rien de rester au stade des principes, je me suis essayé à l’exercice qui consiste à rédiger une loi en deux articles. Les voici :
« ARTICLE 1er :
La perquisition au cabinet, au domicile ou dans toute résidence habituelle d’un avocat ne peut être effectuée que par un juge. Elle ne peut se faire qu’en présence du Bâtonnier de l’Ordre ou de son représentant. Elle ne peut être diligentée que dans le cas où l’avocat est suspecté d’avoir commis, comme auteur principal ou comme complice, un délit ou un crime. La perquisition doit être nécessairement précédée de la notification sur place au Bâtonnier et à l’avocat concerné de l’ordonnance dans laquelle, préalablement à son transport, le juge aura énoncé les charges pesant sur l’avocat, l’indication précise des clients ou des dossiers concernés par l’information en cours et, si possible, la liste des pièces qu’il entend appréhender en exposant le rapport que peut avoir l’information ouverte contre des clients de l’avocat avec les charges pesant sur l’avocat lui-même.
Le Bâtonnier ou son représentant à qui le juge aura refusé d’effectuer lui-même, hors sa vue, le tri entre les pièces couvertes par le secret professionnel et celles pouvant intéresser l’information, a la faculté d’exiger que les pièces saisies à la diligence du juge soient placées immédiatement sous scellés fermés sans être vues par le ou les magistrats procédant à la perquisition. Ces scellés fermés seront remis à la garde du Bâtonnier pour être soumis sans délai à la Juridiction du secret.
ARTICLE 2 :
La Juridiction du secret est composée du Bâtonnier de l’Ordre des avocats, du Premier président de la Cour d’appel et du juge français, membre de la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg.
Elle statue dans les huit jours de sa saisine par décision rendue en dernier ressort susceptible d’un pourvoi en cassation dans les mêmes conditions que les arrêts de la Chambre d’accusation.
Depuis la perquisition jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, les pièces sont maintenues sous scellés fermés. Les juges du secret peuvent seuls en prendre connaissance en collégialité, mais non pas copie. Ils ont l’obligation de rétablir les scellés fermés après chaque consultation.
A l’issue de la procédure, le Bâtonnier remet sans délai à la juridiction d’instruction ou de jugement la copie des pièces énumérées dans la décision définitive de la Juridiction du secret et restitue les autres à l’avocat. »
De quelque manière que soit lu le projet, celui qui prétendrait que j’ai voulu placer l’avocat hors du champ de la justice ou travestir le secret en instrument de complaisance ou de complicité aura menti.
Mais le juge qui pensera que ce projet le met sous contrôle et lui interdit désormais d’entrer chez des avocats comme dans un moulin m’aura bien compris.
Christian Charrière-Bournazel
Avocat à la Cour