CCB/VP
13.09.05
ENTRE ILLUSION ET PIEGE
Le Monde, dans son édition datée du 10 septembre, a publié un article cosigné par d’éminents juristes, professeur de droit, magistrat et avocat, intitulé : « Il faut créer un observatoire de la récidive ».
Je connais assez tel ou tel auteur de cet article pour savoir qu’ils n’ont été animés ni par la démagogie, ni par ce dogmatisme à la française qui consiste à condamner le réel lorsque le réel n’est pas conforme au dogme.
Malheureusement, je crains qu’ils ne soient victimes d’une illusion et, du même coup, prisonniers d’un piège.
L’observatoire décrit dans l’article aurait pour fonction, à travers la collecte et le traitement de statistiques, de définir des paramètres de risques plus ou moins grands et de permettre, soit un traitement en amont de l’éventuel récidiviste, soit en aval l’utilisation de mesures propres à protéger les victimes contre lui.
Cet article postule à un déterminisme qui fait penser au criminel-né de Lombroso et Ferri, inspirateur de Zola lorsqu’il écrivit La Bête Humaine.
Or, s’il n’est pas discutable qu’un délinquant sexuel ou un tueur en série soit porté à la récidive plus qu’un meurtrier passionnel, je ne vois pas ce que la collecte et la conservation d’informations numériques sur chacun nous apprendra de plus, ni que cette accumulation de données permettra de guérir ce qui n’est éventuellement pas curable.
Voilà ce que j’appelle l’illusion.
Quant au piège, il est à mes yeux redoutable : la mise en mémoire, même anonyme, de données sur les récidivistes ayant trait à des structures psychologiques prédéterminées, à des conditions culturelles ou économiques, à des modes opératoire, risque de conduire les juges et les jurés, pour chaque nouveau cas individuel, à tenter de faire entrer celui que l’on juge dans le lit de Procuste des statistiques collectées.
De la sorte, la tentation sera double de condamner non pas une personne mais un automate humain dénaturé et de le condamner au maximum puisque pendant le temps de la détention, on est au moins assuré de mettre la société à l’abri de ses récidives.
On en viendrait alors non pas à prononcer contre une personne, à propos des faits en jugement, la peine qui leur serait proportionnée, mais à tirer la conséquence, des statistiques appliquées à son cas, de ce qu’il faut désespérer de lui pour rassurer le peuple et le supprimer du monde des vivants.
La peine de mort, que j’exècre comme vous (à justice relative, peines relatives), avait au moins l’avantage d’être une réponse franche par rapport à l’objectif poursuivi.
Je tremble comme chacun à la pensée qu’un de mes proches peut être victime d’un de ces fous pervers, apparemment insensibles ou incapables de dominer des pulsions horribles. Mais je ne veux pas cesser de croire qu’il existe en chaque être une part de liberté non encore épanouie ou jamais assumée qui est le seul véritable antidote à la récidive. Je ne professe aucun dogme, j’exprime seulement une espérance au nom de ma dignité de personne humaine.
Christian Charrière-Bournazel
Avocat au Barreau de Paris