CCB/VP
05.11.07
LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DES DROITS DE LA DÉFENSE
L’héritage du XXème siècle persistera dans les siècles à venir même si de nouvelles barbaries ou de nouvelles répressions devaient l’ignorer.
Les génocides et les crimes contre l’humanité, fruits de haines ancestrales ou d’idéologies folles, l’ont jalonné, depuis la première guerre mondiale jusqu’à la Shoah sans oublier l’extermination des Arméniens, les purges staliniennes, Hiroshima et Nagasaki, le génocide cambodgien, le massacre des Tutsis et la tragédie du Darfour.
Des moyens techniques nouveaux permirent les monstruosités les plus grandes.
Mais en même temps, le XXème siècle fut celui d’une prise de conscience universelle de la prééminence de la personne humaine.
Antigone avait opposé au souverain une loi supérieure à la sienne, la loi des dieux. Du même coup, elle avait inventé le droit supranational, mais limité à la seule cité de Thètes et fondé sur le religieux. Elle ignorait ce que serait sa postérité.
Sa postérité : la programmation par l’assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration universelle des droits de l’homme instituant la personne humaine comme source et seule finalité du droit.
Voltaire disait que l’on peut être coupable en un ou deux points de l’hémisphère et parfaitement innocent dans le reste du monde. Mais il avait eu, en même temps, l’intuition qu’il existe des crimes qui révoltent l’humanité toute entière.
Les accords de Londres d’août 1945 lui feront écho en définissant les crimes contre l’humanité et l’imprescriptibilité de ces crimes.
Adoptée par l’ONU en 1948, la Déclaration universelle n’a pas de force juridique. Mais elle a le mérite de dire qu’aucun ordre légal n’est juste qui ne soit d’abord inspiré par le respect de la personne, de ses droits, et de ses libertés.
La Déclaration européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales proclamée en 1950 par le Conseil de l’Europe est allée plus loin : elle n’a pas seulement promulgué les principes. En même temps qu’elle, a été signée une convention internationale européenne de sauvegarde des droits de l’homme dont le corpus même institue une juridiction chargée de faire appliquer les principes et de condamner les Etats qui les méconnaîtraient.
Le propre du pouvoir n’est pas seulement d’organiser la société par les lois. C’est aussi de réprimer ceux qui les transgressent.
Bernanos disant : « Sans le jugement, la loi n’a pas de force. Elle n’est plus qu’un précepte moral aussitôt bafoué par les cyniques ».
Pour autant, l’acte de juger n’est admissible que s’il est précédé et accompagné de précautions minutieuses inspirées par le respect des droits de celui qui est mis en accusation.
Les principes du procès juste et équitable ont été très clairement définis par la Déclaration européenne des droits de l’homme et explicités par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg qui sanctionne les Etats coupables de les avoir méconnus.
Je vous propose d’examiner successivement les textes fondateurs en matière de procès juste et équitable et des droits de la défense, les évolutions de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et enfin quelques réflexions sur l’avenir.
I – LES TEXTES FONDATEURS EN MATIÈRE DE DROITS DE LA DÉFENSE
Ce sont les traites, les protocoles et conventions.
A – LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L’HOMME
Signée à Rome le 4 novembre 1950, elle a aujourd’hui exactement cinquante-sept ans.
Elle se réfère expressément à la Déclaration universelle proclamée par l’assemblée générale de l’ONU le 10 décembre 1948 à New-York et elle est une émanation du Conseil de l’Europe qui regroupe aujourd’hui quarante-sept nations européennes.
Cinq articles intéressent les droits de la défense :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Cet article énonce de manière exhaustive les six exceptions que les Etats peuvent apporter légalement à la liberté :
– la détention après condamnation par un tribunal ;
– l’arrestation ou la détention régulière pour insoumission à une ordonnance rendue conformément à la loi par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;
– l’arrestation et la détention d’une personne en vue d’être conduite devant l’autorité judiciaire compétente s’il y a des raisons plausibles de penser qu’elle a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle pourrait recommencer ou s’enfuir ;
– la détention régulière d’un mineur pour son éducation surveillée ou sa détention régulière afin de le traduire devant l’autorité compétente ;
– la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;
– l’arrestation ou la détention régulière d’une personne qu’il faut empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire ou contre laquelle une procédure d’extradition ou d’expulsion est en cours.
Ces exceptions s’accompagnent de l’obligation faite aux Etats d’informer toute personne arrêtée, dans le plus cours délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et des accusations portées contre elle.
Aussitôt arrêtée ou détenue, la personne doit être présentée à un juge et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable.
Toute personne privée de liberté doit disposer d’un recours devant un tribunal qui doit statuer à bref délai sur sa détention et son éventuelle libération.
Enfin, toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention contraire aux dispositions de l’article 5 doit pouvoir obtenir réparation.
L’alinéa 1 définit des normes très précises :
– la cause doit être entendue :
Cet alinéa 1 précise quelles exceptions sont admises : elles ne peuvent concerner que la publicité. La publicité ne peut être réduite ou supprimée que pour des raisons de :
– moralité,
– ordre public,
– sécurité nationale dans une société démocratique,
– intérêt des mineurs,
– protection de la vie privée,
– risques d’atteinte aux intérêts de la justice.
L’alinéa 2 de l’article 6 consacre la présomption d’innocence :
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».
L’alinéa 3 définit les droits de l’accusé à être informé dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui.
Il a droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.
Il peut se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ou être assisté gratuitement par un avocat d’office.
Il a droit de faire interroger ou d’interroger les témoins à charge et les témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.
De se faire assister gratuitement d’un interprète s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.
Reprenant le vieil adage latin : « nulla poena sine lege », l’article institue la non-rétroactivité d’une loi plus sévère, sauf pour l’action ou l’omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.
Cette exception vise les crimes contre l’humanité dont la définition légale et l’imprescriptibilité n’ont fait l’objet d’une formulation juridique qu’après qu’ils avaient été commis.
L’idée sous-jacente, c’est que la conscience universelle depuis toujours est atteinte par des crimes qui atteignent l’humanité toute entière, que ne peuvent amoindrir ni l’écoulement du temps, ni l’imprécision ou l’absence des textes qui rendraient impossibles les poursuites dans toute autre matière.
Nous pourrons parler dans le débat qui suivra, si vous le voulez, de cette corrélation entre la monstruosité de certains crimes et la nécessité de les juger, fut-ce cinquante ans après comme l’a fait la France à l’égard de MM. Klaus Barbie (1987) et Maurice Papon (1997/1998).
L’article dispose :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».
L’arrêt fondateur de la CEDH en ce domaine est l’arrêt Golder dont nous reparlerons.
C’est sous le titre « II » de la Convention que se trouve instituée la Cour européenne des droits de l’homme.
B – LES PROTOCOLES
Ils sont au nombre de treize.
Ces protocoles sont autant d’instruments juridiques mis au point par le Conseil de l’Europe et ratifiés par chacun des Etats signataires.
Ceux qui intéressent notre matière sont rapidement examinés ci-après :
Il interdit l’emprisonnement pour des dettes contractuelles.
En revanche, il n’exclut pas la contrainte par corps pour ce qui touche aux dettes fiscales ou douanières.
Il est le premier protocole abolissant la peine de mort. Il est limité dans ses effets puisque la peine de mort subsiste en cas de guerre ou de danger imminent de guerre.
Il comporte quatre dispositions intéressant les droits de la défense.
– Pour éviter les expulsions arbitraires d’étrangers résidant régulièrement, il rend nécessaire une décision conforme à la loi prise préalablement à l’expulsion.
L’étranger doit pouvoir faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion, faire examiner son cas et se faire représenter à cette fin devant l’autorité compétente.
On ne peut expulser avant l’exercice des droits institués par le protocole que lorsque l’expulsion est nécessaire dans l’intérêt de l’ordre public et justifiée par des motifs de sécurité nationale.
– Ce même protocole n° 7 institue le droit à un double degré de juridiction en matière pénale sauf pour des infractions mineures.
– Il proclame le droit d’être indemnisé en cas d’erreur judiciaire, la Convention n’ayant prévu que l’indemnisation au titre d’une détention arbitraire.
– Enfin, le protocole n° 7 institue en son article 4 le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois : c’est la règle latine du « non bis in idem ».
Il interdit la discrimination dans l’exercice des droits.
Il parachève l’abolition de la peine de mort proclamée en 1983 en supprimant l’exception de la peine de mort en temps de guerre ou de danger imminent de guerre.
Aucune dérogation n’est autorisée. Simplement, l’Etat a le droit de dire à quel territoire s’appliquera le protocole.
C – LES DOCUMENTS ÉMANANT DE LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE
– Le socle commun
L’Union européenne compte vingt-sept pays qui sont tous signataires ou adhérents à la Convention européenne des droits de l’homme et comme tels, membres du Conseil de l’Europe.
La Convention de sauvegarde des droits de l’homme s’applique donc à la fois aux Etats membres de l’UE mais aussi au Conseil des ministres et à la Cour de justice des communautés européennes de Luxembourg qui, contrairement à la Cour européenne de Strasbourg, ne peut pas être saisie par les personnes mais uniquement par les juridictions nationales, les Etats ou les institutions européennes.
L’Union européenne adhère donc nécessairement au socle commun des garanties procédurales qui visent à protéger les personnes contre l’arbitraire.
– Les chantiers en cours
Pour consolider ce socle, les travaux ont été entrepris au sein de l’Union :
– la Charte européenne des droits fondamentaux, adoptée au sommet de Nice de 2000.
Elle avait pour objectif d’élever les standards en matière de droits fondamentaux.
La Constitution de 2004 devait leur donner une valeur constitutionnelle.
Le refus de plusieurs pays, dont la France, a mis en panne la Charte jusqu’au traité simplifié élaboré en 2007 qui n’est pas encore entré dans le droit positif puisque les ratifications ne sont pas encore intervenues.
L’Union européenne travaille à élaborer des normes minimales communes.
– Les chantiers abandonnés
Un code pénal européen (lois et procédures) avait commencé à être élaboré sous la direction du Pr Mireille Delmas-Marty, juriste française, professeur au collège de France.
Il s’agissait à la fois de définir les incriminations pénales à partir des différents codes pénaux européens et d’unifier les procédures pénales.
Ce travail s’est révélé impossible et a été abandonné.
– Les travaux parcellaires :
Des travaux plus ciblés ont été entrepris pour harmoniser les garanties procédurales :
A ce jour, cette décision cadre en est restée au stade de proposition. Elle n’a donné lieu à l’établissement d’aucune directive européenne.
Rien de concret n’a encore été formalisé.
Elles n’ont pas de valeur légale. Elles ne sont que des pétitions de principe à portée morale.
Le Parlement européen a voté plusieurs résolutions :
En réalité, l’Union européenne n’a pas émis de texte propre, à l’exception de la Charte, de nature à compléter utilement le dispositif de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg.
On verra, en troisième partie, que l’Union européenne est même dangereusement en retrait par rapport aux libertés proclamées en 1950.
II – LA JURISPRUDENCE DE STRASBOURG EXPLICITANT LES DROITS DE LA DÉFENSE
On ne saurait rendre compte dans le cours espace de temps d’un propos déjà trop long de la jurisprudence de Strasbourg.
Plusieurs milliers de requêtes sont examinées chaque année. En 2005, 1.105 décisions ont été rendues, marquant une augmentation de plus de 319,25 % de l’activité par rapport à l’année précédente 2004.
Nous allons donc, si vous le voulez bien, nous cantonner à examiner cinq thèmes :
– le droit au procès et le recours effectif ;
– le procès équitable ;
– l’impartialité ;
– l’impartialité et les instances disciplinaires ;
– la détention.
A – LA GARANTIE D’ACCÈS À UN TRIBUNAL
Deux articles sont fondateurs :
– l’article 6-1 qui institue le procès équitable ;
– l’article 13 qui définit le recours effectif.
1/ Un arrêt fondateur : l’arrêt Golder du 21 février 1975
La question posée était de savoir si l’article 6-1 définissant le procès équitable se bornait à réglementer une instance déjà pendante ou définissait le droit à faire un procès civil pour faire valoir ses droits.
Un détenu avait écrit au ministre de l’intérieur anglais pour lui demander l’autorisation d’être visité par un avocat afin d’entreprendre une procédure civile en diffamation contre un gardien qui l’avait injustement accusé d’avoir été mêlé à une rixe à l’intérieur de la prison.
Le ministre de l’intérieur lui a refusé ce droit.
La Cour a tranché :
« On ne comprendrait pas que l’article 6 § 1 décrive en détail les garanties de procédure accordées aux parties à une action civile en cours et qu’il ne protège pas d’abord ce qui seul permet d’en bénéficier en réalité : l’accès au juge. Équité, célérité, publicité du procès n’offrent point d’intérêt en l’absence de procès ».
Pour juger ainsi, la Cour s’était appuyée sur deux principes affirmés au préambule de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme :
– la prééminence du droit contre l’arbitraire, qui implique l’accès au juge ;
– les principes fondamentaux de droit universellement reconnus qui prohibent le déni de justice.
2/ L’arrêt Deweer du 27 février 1980 :
Cet arrêt consacre d’une autre manière le droit à un procès.
La Cour a condamné la Belgique lorsqu’elle avait contraint, par la menace de la fermeture de son commerce, un citoyen à payer une amende transactionnelle aux termes d’un accord avec le parquet.
La pression de cette menace de fermeture avait constitué une contrainte le privant, de manière illégitime, de son droit à un tribunal.
Le principe d’une amende de composition, sans contrainte, est néanmoins admis comme mode alternatif de règlement du litige pénal, à la condition que le non-paiement de l’amende ainsi contractuellement fixée ne soit pas puni par la prison.
3/ Les arrêts Brumasercu, Yagtzilar et Kuti? :
a – Brumasercu :
Une personne avait été victime d’une nationalisation de ses biens après la guerre.
Une loi avait rendu définitive cette spoliation.
La Cour suprême de Roumanie a exclu qu’une victime de nationalisation puisse exercer un recours.
La Roumanie a été condamnée. La Cour a estimé que toute personne doit pouvoir recourir au juge pour apprécier la régularité des actes du législateur.
b – Yagtzilar
La Grèce a été condamnée pour avoir opposé une forclusion à des Turcs expropriés, les privant d’un droit à un procès en réparation.
La Grèce avait estimé qu’ils avaient eu droit à un procès. La Cour en a jugé autrement parce que toutes les décisions s’étaient bornées à les déclarer irrecevables.
c – Kuti?
La Croatie a été condamnée pour avoir, à l’instar de la Grèce, privé la personne d’un recours effectif.
La Cour a jugé :
« Le droit d’accès à un tribunal ne se limite pas au droit d’engager une procédure, mais inclut le droit d’obtenir une décision d’un tribunal ».
4/ La nature de la juridiction
En première instance, le procès peut ne pas être examiné par un tribunal mais par une autorité administrative indépendante.
Il faut cependant que le dernier mot revienne à une institution exerçant une fonction juridictionnelle qui se caractérise par :
– l’indépendance ;
– l’impartialité ;
– la célérité ;
– l’équité.
5/ Le recours effectif
C’est celui qui permet d’être entendu dans un délai raisonnable ou de se plaindre d’une méconnaissance d’un des principes de l’article 6 § 1.
B – LE DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE
Il ne s’agit pas seulement d’un droit procédural mais d’un droit substantiel.
Quels en sont les critères ?
1/ La garantie de ne pas s’auto-incriminer :
« L’accusé est en droit de ne pas être amené à fournir la moindre aide sous la forme d’aveux lors de cette procédure ».
La Cour ajoute :
« La position de la défense est ébranlée si l’accusé est ou a été contraint de s’accuser lui-même ».
Ainsi, la Cour a-t-elle consacré le droit au silence.
Elle n’a pas pour autant consacrer un droit aux mensonges.
En effet, celui qui n’est pas encore accusé et qui est convoqué comme témoin ne peut pas refuser de prêter serment de dire la vérité.
La coercition vise à garantir la sincérité des déclarations faites mais non pas à obliger l’intéressé à déposer (CEDH 20 octobre 1977, Serves c/ France).
C’est une position particulièrement subtile car le refus de répondre à une question sous serment rend le silence gardé aussi lourd qu’un aveu.
2/ La garantie de ne pas être jugé deux fois
Le non bis in idem du protocole n° 7 du 22 novembre 1984 subit des exceptions notables.
Les autorités de régulation comme le Conseil de la Concurrence en France sanctionnent les atteintes à la libre concurrence (entente, prix prédateurs, barrières à l’entrée, abus de position dominante, etc …) par des amendes qui peuvent aller jusqu’à 10 % du montant du chiffre d’affaires global du groupe.
C’est une sanction très lourde.
Les décisions du Conseil de la Concurrence peuvent être déférées devant la 1ère chambre de la Cour d’appel de Paris dont les arrêts eux-mêmes sont soumis à la Cour de cassation.
Mais dans le même temps, le Conseil de la Concurrence peut signaler au parquet les faits dont il est saisi pour que leur soit appliquée une sanction pénale.
La CEDH a statué dans l’arrêt Gradinger c/ Autriche et a sanctionné l’existence de deux jugements différents portant sur la même qualification juridique des faits en cause et non pas l’identité de faits matériels.
Elle a rendu cette décision isolée tout en considérant que la règle non bis in idem ne s’applique pas au domaine de la concurrence.
On mesure parfois que les exceptions jurisprudentielles ne sont pas seulement inspirées par le droit …
C – L’IMPARTIALITÉ
Au sens de l’article 6 § 1, la Cour dit que l’impartialité s’apprécie sur une double démarche :
– essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ;
– s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (CEDH Gautrin et autres c/ France, 20 mai 1998).
Deux principes s’articulent l’un avec l’autre :
a/ l’impartialité se présume jusqu’à preuve contraire ;
b/ certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause l’impartialité de la juridiction collégiale.
Même les apparences peuvent revêtir de l’importance.
L’arrêt Morel du 6 juin 2000 contient trois observations importantes :
1) le simple fait pour un juge d’avoir pris des décisions avant le procès ne peut pas passer pour justifier en soi des appréciations relatives à son impartialité ;
2) la connaissance approfondie du dossier par le juge n’implique pas un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond ;
3) l’appréciation préliminaire des données disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant l’appréciation finale.
Mais nous savons que l’impartialité ne concerne pas seulement la conscience du juge et le sentiment qu’il a d’être impartial.
Il faut que la juridiction donne toutes les apparences de l’impartialité.
De la sorte, un juge qui a déjà traité des questions analogues à celles qu’examinera ensuite la formation de jugement ne peut y participer sans entacher le tribunal d’un soupçon légitime de partialité.
D – LES PROCÉDURES DISCIPLINAIRES
Naguère, les ordres d’avocats étaient présidés par un bâtonnier ou un chairman. Le bâtonnier était à la fois le confident et le protecteur de l’avocat, le juge d’instruction de la faute disciplinaire, le procureur qui poursuit et le président de la chambre de discipline.
En France, l’Ordre de Paris, avant la nouvelle loi du 11 février 2004, avait séparé les fonctions.
Aujourd’hui, le Bâtonnier n’est qu’autorité de poursuite.
Il ne peut pas instruire l’affaire ni siéger dans le Conseil de discipline qui la jugera.
E – LA DÉTENTION
Toute personne a droit à un tribunal aux fins de vérifier la légalité de toute mesure d’arrestation ou de détention.
C’est ainsi que la garde à vue des parlementaires turcs, d’origine kurde, a fait l’objet d’une condamnation par la CEDH.
Plusieurs violations avaient été commises : des parlementaires, en plein parlement, avaient été arrêtés pour avoir parlé et mis en garde à vue. Ils n’avaient disposé d’aucun recours effectif. La Turquie a été condamnée.
La garde à vue ne doit pas être supérieure à quarante-huit heures. Elle ne peut être prolongée que par un tribunal. Or, la loi française déroge à ces obligations : une personne soupçonnée de terrorisme peut être gardée à vue pendant six jours et n’avoir de contact avec un avocat qu’à la soixante-douzième heure.
Au surplus, si la garde à vue ne peut être prolongée qu’après que le policier a requis l’avis du procureur, cette procédure est néanmoins condamnée par Strasbourg.
Le magistrat qui contrôle la garde à vue ne doit pas être le magistrat qui assume la poursuite (arrêt Schieller et Huber).
En revanche, l’Espagne, dès 1979, a adopté une législation imposant la présence de l’avocat en garde à vue dès la première heure avec communication du dossier.
L’Angleterre, mère de l’habeas corpus et de la procédure la plus exigeante, sous la pression du terrorisme, vient de porter la garde à vue à une durée monstrueusement allongée.
III – L’AVENIR
Je voudrais vous livrer un constat, formuler une espérance et mettre en garde contre un péril.
A – LE CONSTAT
Le droit européen du procès, englobant les droits de la défense, est un droit en mouvement.
La Cour de justice des droits de l’homme peut être saisie de recours individuels. Elle condamne les Etats. Pour autant, les décisions injustes ne sont pas remises en cause, les lois injustes ne sont pas obsolètes et les Etats peuvent se maintenir entre résistance à la Cour et réforme par légalisme.
Cette résistance des Etats, on l’observe en France à propos des écoutes téléphoniques et notamment les écoutes d’avocats ou les écoutes dites « interceptions de sécurité ».
On l’observe à propos de la garde à vue.
Il faut savoir que les pays les plus condamnés par la Cour de Strasbourg sont l’Italie, la Turquie et la France.
L’Union européenne, elle, (vingt sept Etats au lieu de quarante sept) n’a pas de juridiction supranationale que puissent saisir les citoyens.
La Cour de justice des communautés européennes qui siège à Luxembourg « dit pour droit » à l’initiative des Etats, des juridictions nationales ou des instances européennes. Son corpus juridique comprend la Convention.
Dans un arrêt Bosphorus Airways c/ l’Irlande rendu par la Cour de Strasbourg le 30 juin 2005, on peut lire :
« Si les traités constitutifs des communautés européennes ne renferment pas de dispositions expresses protégeant les droits de l’homme, la CJCE a déclaré dès 1969 que les droits fondamentaux de la personne sont compris dans les principes généraux du droit communautaire dont elle assure le respect ».
Dans un arrêt de 1991, la CJCE a repris cette phrase et écrit :
« A cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré.
(…) La [Convention] revêt, à cet égard, une signification particulière (…). Il en découle que (…) ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect des droits de l’homme ainsi reconnus et garantis ».
Il n’existe cependant pas d’instrument juridique propre à l’Union européenne, sinon la Convention européenne, extérieure à l’Union, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, extérieure à l’Union, et la jurisprudence de la CJCE rappelant qu’elle ne saurait prendre aucune décision qui méconnaisse cet ordre du droit qui, pour lui être extérieur, n’en est pas moins également le sien.
B – UNE ESPÉRANCE
Cette espérance est immense non seulement pour nos pays européens, mais pour l’univers.
Nous voyons, en effet, sous nos yeux se construire depuis cinquante ans, entre des nations qui s’étaient livrées des guerres abominables pendant des siècles, une unité par le droit. Un droit centré sur la personne humaine.
Cette unité s’accomplit jour après jour depuis le Groenland, terre danoise, jusqu’au sud de la Méditerranée avec la Crète et Malte, depuis la Mer des Caraïbes où sont les îles françaises de Guadeloupe et de Martinique et de l’Amérique du Sud avec la Guyane jusqu’à l’océan indien où se trouve le département français de la Réunion.
Cette construction d’une unité par le droit ne peut que nous ravir et nous inciter à l’approfondir.
Nous sommes encore loin d’une fusion de nos systèmes juridiques nationaux en un système européen nouveau. Mais ce chemin s’accomplit inexorablement, rendant pour l’avenir les guerres fratricides impossibles.
Voilà pour l’espérance.
C – UNE GRANDE INQUIÉTUDE
L’Europe est encore capable de dérives.
Nous conviendrons facilement que la lutte contre les fléaux du crime organisé exige des moyens à la hauteur des dangers : trafic d’armes, trafic de drogue et trafic d’êtres humains, à quoi s’ajoutent les menées terroristes qui s’alimentent des grands crimes.
L’argent de la criminalité internationale se trouve blanchi dans des opérations d’apparence honorable et cette lutte contre le blanchiment est fondamentale pour éviter que le monde ne tombe aux mains des mafieux et des corrompus.
Le GAFI, groupe de travail international sur la délinquance financière, a préconisé des procédures d’alertes et de vérifications pour tous les opérateurs financiers, bancaires et même juridiques.
Trois directives successives en matière de blanchiment ont été prises par la Communauté européenne le 10 juin 1991, le 4 décembre 1991 et le 26 octobre 2005.
La deuxième directive impose aux avocats de déclarer à leur bâtonnier le soupçon qu’ils ont sur l’argent de leur client et le bâtonnier fait un filtre pour voir s’il doit ou non transmettre à la puissance publique la déclaration reçue.
La troisième directive, qui doit être transposée avant le 15 décembre prochain en droit interne, oblige les avocats à déclarer leurs soupçons directement aux organes du ministère des finances chargés de la répression (en France, Tracfin) sans le dire à leur client et dès qu’ils ont un soupçon sur une somme supérieure à 8.000 €.
Saisie d’un recours contre la deuxième directive par la Cour d’arbitrage belge (Cour constitutionnelle), la CJCE a rendu un arrêt le 28 juin 2007 qui, se prononçant uniquement par rapport au procès juste et équitable, dit que la dénonciation n’est pas possible pour les matières juridictionnelles et de conseil, tout en réservant l’hypothèse de la valider un jour pour les opérations effectuées par des avocats dans des domaines nouveaux.
L’Europe risque de passer d’une société à une autre : celle où l’avocat, respectueux évidemment de la loi et de l’éthique, garde le secret professionnel tout en refusant de coopérer avec un client à une opération illégale. Voilà que nous allons devenir les délateurs de nos clients.
Le Canada, qui était soumis aux accords du GAFI, a refusé d’imposer cette obligation à ses avocats après un arrêt de la Cour supérieure de Colombie britannique.
Les Etats-Unis n’ont pas imposé à leurs avocats de dénoncer leurs clients. Le Japon s’y est refusé, l’Australie aussi.
L’Europe est en train de courir à grand pas vers cette abomination.
L’Angleterre, déjà, connaît une situation où les solicitors effectuent plusieurs dizaines de milliers de dénonciations par an.
Seule en Europe la Pologne s’achemine vers une décision de Cour suprême refusant la déclaration de soupçons.
Quel recours demain ?
En France, l’espoir est mince que les parlementaires refusent de voter la loi de transposition. Peut-être au moins soixante d’entre eux saisiront-ils le Conseil constitutionnel pour invalider la loi ?
Le fera-t-il ? Aura-t-il ce courage ? Choisira-t-il de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des communautés européennes du Luxembourg ? Le peut-il même ? Et si, par impossible, la Cour de justice des communautés européennes rendait une décision favorable à la dénonciation, il ne resterait que le recours individuel de tel ou tel ordre d’avocats auprès de Strasbourg pour faire condamner non pas la Cour de justice de Luxembourg, mais l’Etat qui aura transposé une directive jugée illégale.
Voilà quelques réflexions pessimistes sur un avenir incertain où le droit qui se construit demeure à la merci du premier coup de vent venu.
*
* *
CONCLUSION
La suprématie des droits de la personne humaine est un véritable progrès pour l’humanité en marche vers une unité qui ne concernera plus seulement les pays d’Europe mais, espérons-le, toute la collectivité humaine.
Nos sociétés, cependant, vont-elle céder à la peur et battre en brèche l’édifice construit des droits de la personne humaine ?
Allons-nous tolérer les gardes à vue interminables ? Des procédures d’exception ? Des mesures dérogatoires aux droits de l’homme ?
Certes, les menaces terroristes sur le monde sont graves et lourdes et menacent le salut de nos démocraties.
Mais sauve-t-on la liberté en la tuant ?
Le poète français Louis Aragon écrivait pendant l’occupation nazie :
« La lumière n’a pas de prix. Certes. Mais dois-je la payer de mes deux yeux crevés ? ».
A cette phrase pessimiste fait écho celle d’un autre français, l’avocat Georges Izard, mort en 1973, qui fut résistant pendant la guerre et, après la guerre, membre de l’Académie française.
Il écrivait :
« Nous disons toujours : la liberté ne peut pas mourir ! Elle peut mourir dans le cœur des hommes, souvenons-nous ! ».
Les institutions sont ce qu’elles sont. Ce sont les peuples qui doivent avoir le dernier mot et qui doivent se rappeler que ce n’est pas la liberté qui nous garde mais que c’est nous qui gardons la liberté.
Puisse la CEDH continuer à nous y aider.
Prague, le 5 novembre 2007
Christian Charrière-Bournazel