CCB/VP
27.10.09
Séville – Congrès de l’U.I.A.
NATURE ET PÉRIMÈTRE DU
SECRET PROFESSIONNEL
Notre société européenne avait hérité de ses racines chrétiennes et plus précisément de ses racines catholiques une conception du secret quasi-religieuse à travers la confession : le pénitent pouvait tout dire au prêtre qui allait lui donner l’absolution en étant assuré de n’être trahi auprès de quiconque.
On me racontait même, dans mon enfance, l’histoire d’un prêtre qui avait reçu la confession d’un assassin. Pendant qu’il le confessait, l’homme avait essuyé ses mains pleines de sang sur la soutane de l’homme d’Église qui ensuite avait été accusé du meurtre. Bien qu’il s’agît de sa propre défense, il avait estimé ne rien pouvoir dire et avait été condamné à la place de l’autre au bagne à perpétuité où il était mort. La vérité ne fut connue que lorsque l’assassin, lui-même au seuil de la mort, fit l’aveu, pour soulager sa conscience, d’avoir laissé condamner un autre à sa place.
Loin de cette conception sublime et absolue du secret conduisant son dépositaire jusqu’au martyr, notre société contemporaine prétend imposer à l’avocat l’obligation de dénoncer, à l’insu de celui qui s’est confié à lui, le simple soupçon qui lui traverse l’esprit sur l’origine de sa fortune.
Comment a-t-on pu ainsi passer de l’attitude héroïque que j’ai décrite à l’obligation légale de trahir ?
Nos sociétés sont en même temps dans leur rôle lorsque, pour souci de la protection des plus faibles, elles cherchent à démasquer le prédateur pour le punir ou pour l’empêcher de nuire à nouveau.
Le secret professionnel du médecin ne peut lui être opposé lorsque, par devoir, il informe les autorités compétentes de la maltraitance physique ou sexuelle dont un enfant fait l’objet de la part d’un adulte. Et s’il estimait que le secret l’empêche de rapporter ce qu’il a constaté, les agressions se poursuivant, il serait rattrapé sur le fondement d’un délit particulier : l’omission volontaire de porter secours.
Pour nous les avocats, la question est d’importance.
Quelle est la nature de notre secret ?
C’est ce à quoi je vais tenter de répondre en tentant d’en donner une définition, d’en mesurer la consistance et de m’interroger sur l’existence ou l’inexistence d’un droit au secret.
Je vous proposerai ensuite d’en définir le périmètre, c’est-à-dire les obligations auxquelles nous sommes assujettis dans leur étendue, puis les limites qui s’imposent au juge, par respect du secret, et enfin les obligations que prétend faire peser sur nous la directive européenne anti-blanchiment du 26 octobre 2005.
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I – QUELLE EST LA NATURE DU SECRET PROFESSIONNEL ?
A – TENTATIVE DE DÉFINITION
La définition du secret, telle que la livre le dictionnaire Robert, est ainsi rédigée :
« Ensemble de connaissances, d’informations qui doivent être réservées à quelques uns et que le détenteur ne doit pas révéler ».
Ce sens est le plus ancien. Mais parmi les définitions plus récentes, le dictionnaire parle de « discrétion, silence sur une chose qui a été confiée ou que l’on a apprise ».
Quant au « secret professionnel », le dictionnaire le définit ainsi :
« Obligation de ne pas divulguer des faits confidentiels appris dans l’exercice de la profession, hors des cas prévus par la loi ».
Le code civil français ne contient aucune définition du secret.
Le code pénal non plus. Il définit simplement l’atteinte au secret professionnel en son article 226-13 dont nous reparlerons.
Il n’existe pas davantage de définition d’un droit au secret dans les articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales promulguée à Rome le 4 novembre 1950.
L’article 8 dispose seulement que :
« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
En réalité, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg a eu l’occasion depuis, à de nombreuses reprises, de dire que le secret professionnel de l’avocat est une norme supérieure à laquelle il ne peut être porté atteinte que de manière extrêmement limitée et pour des motifs tout à fait encadrés.
Le secret professionnel, même s’il n’est défini de manière explicite par aucun texte, constitue un des fondements de la sécurité juridique dans un État de droit.
B – LA DOUBLE NATURE DU SECRET
Le secret professionnel a deux fonctions qui, en réalité, n’en font qu’une :
– assurer la confiance qui s’impose dans l’exercice de certaines professions ;
– assurer l’intérêt des particuliers pour garantir la sécurité de leurs confidences quand ils sont dans la nécessité de les faire à certains professionnels.
Le mécanisme justifiant le secret peut donc être résumé ainsi : une personne est dans la nécessité de se confier et de révéler des informations qu’elle préférerait garder secrètes. Pour qu’elle puisse se confier, il faut qu’elle soit certaine que le professionnel ne la trahira pas. Sa confidence sera alors complète et l’assistance qu’elle attend la plus efficace possible.
C’est ce qui résulte de la jurisprudence française et de la doctrine la plus courante.
Du point de vue de la personne qui vient voir l’avocat, le secret professionnel se décline en trois temps :
– elle veut consulter un professionnel dont l’aide lui paraît nécessaire ;
– elle doit lui confier des informations, des passions, des sentiments qu’elle voudrait pouvoir taire ;
– pour que sa relation avec l’avocat soit la plus libre possible, elle implique la certitude que son secret sera gardé.
A la nécessité de se confier répond le devoir de ne pas trahir.
C – L’ÉTHIQUE DU SECRET
M. Yves Bot, qui fut procureur de la République du Tribunal de grande instance de Paris et qui est aujourd’hui avocat général à la Cour de justice des communautés européennes de Luxembourg, définissait le secret professionnel comme « la rencontre d’une confiance et d’une conscience ».
C’est ce qu’a dit la Cour de justice de Strasbourg dans l’arrêt du 24 juillet 2008 (affaire André & Autres c/ France – § 41) : elle définit le secret professionnel comme « la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client ».
Elle ajoute :
« La protection du secret professionnel est notamment le corollaire du droit qu’a le client d’un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ce qui présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’ « accusé » »
(J.B. c/ Suisse, arrêt du 3 mai 2001).
Ainsi, avant même d’être une règle de droit dont la violation entraîne des sanctions pénales, le secret professionnel est-il, du point de vue de l’avocat, un devoir moral qui justifie la confiance manifestée.
Le client se livre en confiant tout.
L’avocat se lie en s’interdisant de rien divulguer.
De la sorte, la remise du secret n’établit pas au profit de l’avocat un pouvoir sur son client, pas plus que celui-ci ne pourrait se prévaloir de lui avoir confié une confidence sur laquelle l’avocat restera toujours muet.
Cette dimension éthique étant la racine même du secret, aucun ne prend le pas sur l’autre.
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Ainsi pourrait-on résumer cette première partie : chaque personne humaine, en raison de son droit à son intimité, a la faculté, en cas de nécessité, de s’adresser à un professionnel de son choix pour l’assister ou l’éclairer. Dans la nécessité où elle se trouve de recourir à lui, elle est garantie de ne pas être trahie grâce au secret professionnel qui est la contrepartie de la confiance faite.
Le secret jusqu’où ?
II – LE PÉRIMÈTRE DU SECRET PROFESSIONNEL
Le périmètre peut être appréhendé de deux manières :
– quel périmètre s’impose à l’avocat ?
– quel périmètre est-il infranchissable par le juge ?
A – LE PÉRIMÈTRE IMPOSÉ À L’AVOCAT
En droit français, c’est l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 telle qu’elle résulte d’une loi de 1997 qui définit le périmètre du secret :
« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères « à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle » », les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».
Bien que l’article ne vise que les traces laissées par écrit de la relation entre l’avocat et son client ou des relations des avocats entre eux, ce qui s’échange oralement entre les mêmes protagonistes est couvert par le même secret.
Le règlement intérieur national du Barreau français dispose, en son article 2, au titre du principe :
« L’avocat est le confident nécessaire du client.
Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps ».
L’article 2.2 sur l’étendue du secret professionnel dispose :
« Le secret professionnel couvre en toutes matières, dans le domaine du conseil ou celui de la défense, et quelles qu’en soient les supports, matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique) :
– les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci ;
– les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères, à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle » ;
– les notes d’entretien et plus généralement toutes les pièces du dossier, toutes les informations et confidences reçues par l’avocat dans l’exercice de la profession ;
– le nom des clients et l’agenda de l’avocat ;
– les règlements pécuniaires et tous maniements de fonds effectués en application de l’article 27 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1971 ;
– les informations demandées par les commissaires aux comptes ou tous tiers (informations qui ne peuvent être communiquées par l’avocat qu’à son client).
Une exception est prévue de dérogation conventionnelle au secret :
« Dans les procédures d’appels d’offres publics ou privés et d’attribution de marchés publics, l’avocat peut faire mention des références nominatives d’un ou plusieurs de ses clients avec leur accord exprès et préalable ».
L’avocat ne peut se délier du secret que lorsqu’il est dans l’obligation où il se trouve de se défendre lui-même contre le client qui le poursuit en justice ou contre la justice qui le mettrait en examen ou le poursuivrait à propos des actes accomplis comme avocat de son client.
Le secret professionnel protège aussi les adversaires de son propre client. Ce que l’on a appris sur l’autre à travers la procédure conduite contre lui doit être enseveli dans le tombeau du secret par l’avocat alors même qu’il n’était pas son confident nécessaire.
Enfin, ce secret professionnel, illimité dans le temps et absolu, s’impose à l’avocat quand bien même le client voudrait l’en libérer.
En droit français, l’avocat ne peut jamais témoigner en faveur de son client.
Reste la problématique du secret de l’instruction.
En France, le code de procédure pénale dispose :
« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.
Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ».
Il s’agit des articles qui répriment la violation du secret professionnel.
L’avocat est tenu au secret de l’instruction, sans préjudice des droits de la défense, qu’il s’agisse de ceux de la personne soupçonnée ou de la victime.
Toutefois, la divulgation faite par un avocat en public des conclusions d’un rapport d’expertise mettant en cause un tiers, alors même que la jurisprudence dit que la partie civile (la victime) n’est pas tenue au secret de l’instruction, a été condamnée au motif que les droits de la défense ne justifiaient nullement en l’espèce une telle divulgation.
La divulgation n’est légitime que pour en appeler à l’opinion lorsque la justice ne fonctionne plus, qu’un voile épais ou qu’une chape de plomb tombe sur un dossier ou encore que des intérêts malsains risquent d’entraver le cours normal de la justice.
L’avocat a le droit de défendre publiquement son client lorsque la presse unanime le cloue au pilori. Mais ce ne sont que des exceptions au secret, que les avocats doivent manier avec précaution.
B – LE RESPECT DU PÉRIMÈTRE PAR LES JUGES
Les juges ont-ils le droit de violer le périmètre du secret ? à quelles conditions ? jusqu’où ?
En France, la jurisprudence, qui considère que l’obligation au secret professionnel telle qu’elle s’impose à l’avocat est « générale et absolue », justifie des dérogations nombreuses lorsqu’il s’agit d’empiétements de l’autorité judiciaire sur le secret professionnel.
Les atteintes au secret que peuvent commettre les juges concernent :
– la perquisition au cabinet ou au domicile de l’avocat ;
– la saisie de pièces dans les dossiers de l’avocat ;
– les écoutes téléphoniques.
1°) Les perquisitions
Une jurisprudence de la CEDH du 16 décembre 1992 assimile le cabinet de l’avocat à un domicile protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Si elle admet les perquisitions prévues par une loi, c’est à la condition qu’elles poursuivent un but légitime et que la mesure soit proportionnée à ses objectifs.
Récemment, dans un arrêt André c/ France déjà cité, la même cour a estimé que lors d’une visite domiciliaire chez un avocat en matière fiscale, le fait que malgré les protestations du Bâtonnier les policiers aient saisi les correspondances et les pièces alors même qu’aucun juge n’était présent, l’article 8 de la convention avait été violé.
En même temps, l’autorisation de la visite domiciliaire avait été rédigée en termes trop larges, reconnaissant aux officiers de police judiciaire des pouvoirs si étendus qu’ils s’étaient crus autorisés à tout saisir.
Cette violation de l’article 6 paragraphe 1 et de l’article 8 de la Convention tenait au caractère disproportionné par rapport au but visé de la visite domiciliaire et des saisies effectuées.
En droit interne, depuis longtemps, les perquisitions au cabinet de l’avocat ou à son domicile ne peuvent avoir lieu qu’en présence du Bâtonnier ou de son représentant.
La police seule ne peut pas effectuer de perquisition. Si aucun juge n’est là, la perquisition est nulle.
2°) les saisies de documents
Que peut-il être saisi dans le cabinet de l’avocat ?
La loi du 15 juin 2000 a institué le juge des libertés et de la détention.
Lorsque le Bâtonnier, à l’occasion d’une perquisition, exprime au juge son désaccord sur la saisie des pièces d’un dossier, ils sont mis sous scellés fermés en vue d’une audience devant le juge des libertés et de la détention qui dira s’il y a lieu ou non de les restituer à l’avocat ou de les verser au dossier de l’instruction.
Quelles pièces peuvent-elles être saisies ?
Deux ordonnances avaient été rendues, l’une le 7 juillet 2000, l’autre le 2 octobre 2000 par le président du Tribunal de grande instance de Paris, devenu depuis le premier président de la Cour d’appel de Paris.
Il avait rappelé que le secret professionnel est une norme européenne dont bénéficie l’activité tant juridique que judiciaire de l’avocat. Toutefois, le secret ne peut pas faire obstacle à l’ingérence de l’autorité publique lorsque l’avocat lui-même peut avoir participé à une infraction.
De la sorte, la combinaison des deux ordonnances en cause autorise le juge à saisir dans le dossier d’un avocat les pièces qui intrinsèquement révèlent qu’il a pu participer, comme auteur ou comme complice, à un crime ou à un délit, mais seulement ces pièces-là et non pas les autres.
Le juge n’a pas le droit de faire son marché dans le cabinet de l’avocat.
Par ailleurs, comme je l’avais moi-même demandé en mai 2000, dans un article publié dans la presse, une loi du 12 décembre 2005 oblige le magistrat qui veut faire une perquisition chez un avocat à rédiger une décision écrite et motivée précisant la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent ses investigations, les raisons qui justifient la perquisition et son objet.
Cette décision doit être portée à la connaissance du Bâtonnier ou de son délégué avant le commencement de la perquisition.
Ainsi, le juge est-il contraint de circonscrire lui-même le champ de cette perquisition pour ne pas aller au hasard fouiller dans les dossiers de l’avocat.
Cette protection essentielle est toujours respectée désormais.
3°) les écoutes téléphoniques
Lorsqu’un avocat est soupçonné d’un crime ou d’un délit, il peut être placé sur écoutes par ordonnance du juge qui doit en prévenir à l’avance le Bâtonnier, lequel, bien sûr, ne prévient pas l’avocat pour ne pas entraver la justice.
En revanche, toute écoute d’un avocat non autorisée par décision judiciaire est nulle.
Par contre, lorsque c’est le client qui appelle son avocat et qu’il est lui-même sur écoutes, que se passe-t-il ?
Autrefois, l’interception de la communication s’arrêtait ou du moins n’était-elle pas versée au dossier.
Depuis 2000, la Cour de cassation française estime que si la conversation entre un avocat et son client ne peut être transcrite et versée au dossier de la procédure, il en va autrement lorsqu’il apparaît que son contenu est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction.
On attend, bien entendu, un arrêt de Strasbourg sur ce point compte tenu de l’arbitraire qui résulte d’une telle jurisprudence : on écoute à toutes fins un client et si l’on surprend l’avocat, alors l’écoute est légitime.
Cette violation du secret professionnel, antérieure à la moindre suspicion d’infraction, est disproportionnée dans une société démocratique.
Reste maintenant le point le plus préoccupant qui concerne l’obligation faite à l’avocat de trahir le secret.
III – LES TRAHISONS IMPOSÉES DU SECRET PROFESSIONNEL : LA DIRECTIVE ANTI-BLANCHIMENT