CCB/VP
05.10.11
NOTRE DROIT À LA LIBERTÉ EST-IL AUJOURD’HUI MENACÉ ?
Le sujet sur lequel il m’est demandé de vous parler peut être abordé de multiples manières. L’approche philosophique dépasse ma compétence : qu’est-ce que la liberté ? Existe-t-il un droit à la liberté (ou plutôt un devoir d’être libre ?). L’être humain, après vingt siècles de christianisme, est-il aujourd’hui davantage capable de se vouloir libre que de s’accommoder de servitudes matérielles qui lui apportent le confort et le plaisir ? Je ne m’aventurerai pas non plus à me faire théologien. J’aime seulement me répéter la phrase de ce père de l’Église qui faisait dire à Dieu :
« Quand on a goûté à l’amour d’êtres libres, on n’a plus envie d’être aimé par des esclaves » !.
Et je serais bien incapable de disserter sur la grâce qui nous est donnée de résister au mal, autrement qu’en citant Saint Paul :
« Aucune tentation n’est au-dessus de nos forces ».
Mon propos sera donc simplement et humblement un propos de juriste et d’avocat, de juriste et d’avocat chrétien, qui, loin de confondre l’ordre approximatif de notre justice avec l’ordre divin de la charité, a cependant pour repère l’absolu de l’amour que Dieu nous porte et dont nous faisons si peu cas dans nos rapports avec les autres.
Membre d’un corps social, nous sommes régis par ses règles, c’est-à-dire par les lois que nos représentants élaborent. Dans une première approche, je me livrerai à un inventaire des rapports entre nos libertés et la sûreté qui nous est due.
Dans une seconde partie, j’évoquerai le danger d’une société qui, depuis plusieurs années, fait prévaloir la répression toujours plus sévère sur la rédemption et la renaissance à l’humain, au prétexte de la sécurité.
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I –LIBERTÉ, SÛRETÉ, SÉCURITÉ
A – LES FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA LIBERTÉ ET DE LA SÛRETÉ
1°/ La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 affirme en son article 1er :
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. »
Et l’article 2 énumère ces droits :
« La liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »
Ainsi, la liberté se trouve-t-elle affirmée comme le premier des droits avant la propriété et la sûreté, c’est-à-dire, en réalité, la sécurité. Mais ce droit à la sûreté fait partie de ceux que l’État doit garantir au même titre que la liberté. L’article 4 définit la liberté :
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »
L’article 5 précise que tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, de même que nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n’ordonne pas.
C’est à l’État qu’il incombe de garantir l’exercice des droits de l’homme. C’est le rôle de la force publique qui est « instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».
Et l’article 16 dispose de manière décisive :
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. »
2°/ La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme du 4 novembre 1950
Rédigée par un français, René Cassin, la Déclaration européenne énonce comme premiers droits, le droit à la vie et à l’intégrité du corps, puis, sous le même sous-titre, définit le droit à la liberté et à la sûreté. Mais l’article 5 qui définit, ensemble, les deux droits, ne les met pas en opposition. La sûreté réside dans le fait de ne pas être irrégulièrement détenu, d’être conduit devant un juge en cas d’arrestation. La sûreté comporte le droit d’être informé des reproches que l’on vous fait, d’être jugé dans un délai raisonnable ou libéré pendant la procédure tout en disposant d’un recours contre la décision qui emprisonne.
La sûreté est donc conçue comme un attribut de la liberté.
L’apport exceptionnel du XXème siècle aura été de placer la personne humaine à la base et au sommet de tout édifice juridique : aucune construction législative n’est légitime si elle n’institue pas la personne humaine comme source et finalité du droit.
Les auteurs des déclarations successives définissent la sûreté comme le droit de tout citoyen à être protégé contre les excès de la puissance publique et à bénéficier de garanties au cas où, avant jugement, son arrestation et sa détention seraient nécessaires. C’est par rapport à l’individu qu’était définie la sûreté comme un attribut de ses propres droits.
C’est si vrai que le code de procédure pénale, en son article préliminaire tel qu’issu d’une loi du 15 juin 2000, dispose :
« La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties (…) Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d’innocence sont prévues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi. »
Voilà pour la sûreté, attribut de la liberté.
B – LA RAGE SÉCURITAIRE
1°/ La sécurité contre la liberté : bref rappel historique
La confrontation entre la liberté et la sécurité, comme s’opposant l’une à l’autre, est consubstantielle aux régimes autoritaires, voire aux tyrannies.
C’est au nom de la sécurité de chacun et de tous qu’ils adoptent des lois d’exception, contre les séditieux ou les factieux. Ils créent des juridictions spécialisées telles que les sections spéciales pendant la guerre ou les cours spéciales de justice militaire et la Cour de sûreté de l’État sous la Vème République. Au nom de l’ordre public (autre nom de la sûreté), on porte atteinte à la liberté d’expression par saisie des journaux, interdiction des rassemblements, etc …
L’alibi des dictatures, c’est la sécurité conçue comme le bien suprême sans cesse menacé. C’est ainsi, encore, que fonctionnait récemment le régime de M. Ben Ali en Tunisie, avec la complaisance des occidentaux qui voyaient en lui un rempart contre les dérives islamistes terroristes.
Je cite volontiers la phrase de Benjamin Franklin :
« Celui qui sacrifie une liberté essentielle à une sécurité aléatoire et éphémère ne mérite ni la liberté, ni la sécurité. »
Au temps de l’Empire soviétique, Alexandre Soljenitsyne comme Andreï Sakharov, comme Leonid Plioutch et comme avant eux Ziniavsky et Daniel, ont tous été condamnés au goulag ou à l’hôpital psychiatrique sur le fondement de l’article de la Constitution qui réprimait les activités antisoviétiques comme étant attentatoires à la sécurité publique.
La Chine d’aujourd’hui procède de la même manière en emprisonnant les avocats qui plaident pour les femmes que l’on oblige à avorter à huit mois afin que les communes ne paient pas les amendes liées à la surnatalité.
La sécurité publique est l’alibi dont se servent toutes les tyrannies pour justifier la restriction, voire la suppression des libertés. Et chaque jour, depuis des mois, de malheureux civils syriens meurent sous les balles au prétexte qu’ils ne seraient que des terroristes.
2°/ La dérive française
Je me garderai bien de me livrer à des amalgames douteux. La France n’est ni la Russie soviétique, ni la Chine populaire, ni la Syrie. Mais la tentation sécuritaire atteint aujourd’hui des excès qui ne sont pas conformes à notre idéal démocratique.
Au temps du président Giscard d’Estaing, on se rappelle qu’un ancien procureur général, devenu directeur de cabinet du ministre de la justice, avait fait voter une loi intitulée « sécurité et liberté ». La conjonction « et » ne suffisait pas à masquer qu’il s’agissait de promouvoir la sécurité, fut-ce au prix de la liberté.
1981 vit un retour à la raison : suppression des juridictions d’exception telle que la Cour de sûreté de l’État et les tribunaux permanents des forces armées ; abolition de la peine de mort ; adoucissement des lois sur la récidive.
Pour autant, Paris ne s’est pas vu livré aux bandes armées, ni revenir le temps où entre Paris et Orléans les diligences se faisaient dépouiller cent trente ans plus tôt dans « le bas de Torfou ». Ce ne sont pas des lois plus humaines qui ont favorisé l’assassinat du Général Audran ou l’attentat qui avait visé le magasin Tati rue de Rennes. Aucune société, nous en reparlerons, n’est à l’abri du crime. Toute société au cours de l’histoire voit surgir des nihilistes et des terroristes. Il ne serait guère de bon ton de faire de la poésie en évoquant ces assassins égarés. Mais les vers de Valéry me reviennent en mémoire :
« Je pense sur le bord doré de l’univers
À ce goût de périr qui prend la Pythonisse
En qui mugit l’espoir que le monde finisse … ».
Il y aura toujours des fous parmi nous.
Le drame qui vient de se passer en Norvége aurait-il été évité si la peine de mort avait existé ? Évidemment non.
La concurrence du Front National et je ne sais quel penchant personnel ont conduit le ministre de l’intérieur de 2002 à 2007 puis le président de la République qu’il devint, de 2007 à 2012, à multiplier les lois sur la délinquance : neuf lois de 2002 à 2007, puis du 10 août 2007 à juillet 2011, plus de seize lois que j’énumère ici :
– 10 août 2007 : loi sur la récidive ;
– 23 octobre 2007 : test ADN pour les candidats au regroupement familial ;
– 25 février 2008 : loi de rétention de sûreté ;
– 2 décembre 2008 : loi sur l’hospitalisation d’office ;
– 3 décembre 2008 : projet de loi sur la justice des mineurs ;
– 29 juin 2009 : loi anti-bandes ;
– 16 février 2010 : projet de loi Loppsi 2 (loi sur la sécurité
intérieure) ;
– 31 mars 2010 : éloignement des sans-papiers ;
– 5 mai 2010 : mesures contre les violences scolaires ;
– 9 juin 2010 : déchéance de nationalité pour les polygames ;
– 30 juin 2010 : responsabilité pénale des parents de délinquants mineurs ;
– 23 juillet 2010 : amende pour outrage au drapeau ;
– 28 juillet 2010 : mesures contre les Roms ;
– 30 juillet 2010 : annonce d’un projet de retrait de la nationalité française en cas de violence sur les forces de police ;
– 14 août 2010 : projet de sanctions contre les maires rétifs aux mesures sécuritaires ;
– juillet 2011 : la délinquance des mineurs.
À chaque fait divers de nature à bouleverser légitimement l’opinion publique, une nouvelle loi est annoncée. On en est aujourd’hui à juger comme pénalement responsables les mineurs de treize ans et donc à prononcer contre eux des peines d’emprisonnement.
Depuis les fichiers qui nous repèrent aux péages des autoroutes jusqu’aux fadettes des téléphones portables en passant par le piratage d’internet, nous devenons transparents comme des méduses. Malgré la législation sur les écoutes qui exige qu’elles soient ordonnées par un juge, on découvre sans cesse de nouvelles écoutes illégitimes. Encore a-t-on échappé à des fichiers encore plus contraignants qui auraient contraint chacun à faire état de ses préférences politiques ou syndicales et de ses fréquentations habituelles.
Sous prétexte de sécurité, c’est en réalité un fichage généralisé de la population dont la tentation hante l’esprit de nos gouvernants.
Deux législations particulièrement critiquables, outre la pénalisation des enfants, ont suscité les réactions des juristes raisonnables :
– la loi sur la récidive instituant les peines planchers. Elle oblige les juges à motiver leur décision s’ils sont bienveillants en les dispensant de le faire s’ils sont sévères ;
– la loi sur la rétention de sûreté :
La rétention de sûreté procède d’une abomination intellectuelle. Elle consiste, dès lors qu’une personne a été condamnée pour un crime sexuel, à une peine criminelle d’au moins quinze ans de réclusion, à ne pas la laisser sortir, une fois sa peine achevée, au prétexte qu’elle présenterait un danger de récidive.
Or, de deux choses l’une : ou la personne en cause est vouée à la récidive, auquel cas elle n’est pas libre et ne pouvait donc pas faire l’objet d’un jugement, mais d’un enfermement dans une unité hospitalière où l’on aurait tenté de la guérir. Ou la personne était responsable de ses actes, ce qui a conduit à la juger. Dès lors qu’elle a achevé sa peine, elle doit être rendue à la liberté.
Cette philosophie du désespoir heurte la conscience. Robert Badinter avait dit à l’époque :
« Désormais, l’on ne sera plus jugé pour ce que l’on aura fait, mais pour ce que l’on est. »
C’est cette philosophie du désespoir sur laquelle je voudrais m’arrêter un instant à l’occasion de ses états généraux du christianisme.
III – LA TENTATION DU DÉSESPOIR
Le poison qui s’est instillé dans notre société est aux antipodes du message du Christ.
A – L’ORDRE DE LA FORCE CONTRE CELUI DE LA FRATERNITÉ
La devise républicaine emprunte directement au christianisme son mot le plus important, celui de fraternité.
Certes, on ne saurait dénombrer les âmes généreuses, les cœurs anonymes et les pèlerins de la fraternité qui œuvrent jour après jour, individuellement ou dans des associations pour venir en aide aux autres : des restaurants du cœur jusqu’aux petites sœurs des pauvres, en passant par toutes les structures institutionnelles comme la Croix Rouge ou le Samu social, cette armée invisible de soldats du Christ qui le connaissent ou l’ignorent, méritent notre admiration et notre respect.
Mais la société toute entière, l’État, nous-mêmes, que faisons-nous pour casser l’isolement de celles et ceux qui vivent dans des cités ignobles, mènent des existences de réprouvés, quand ils ne sont pas chassés dans l’indignité comme le furent les Roms à l’été 2010 ?
Que faisons-nous pour que soient disloqués ces ghettos de la misère ou de l’exclusion ? Lorsque M. Éric Zemmour a déclaré à la télévision que la discrimination est un droit ou que la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes, un grand frisson d’indignation n’a pas parcouru l’opinion française. Ne pouvait-il pas ajouter : « Mais je tiens à souligner que l’immense majorité des arabes et des noirs ne sont pas des trafiquants » ?
Pourquoi le port du hijab met-il les uns ou les autres mal à l’aise ? Pourquoi ceux qui exercent le ministère de la parole dans la République ne martèlent-ils pas sans cesse le vers de Victor Hugo :
« O insensé qui crois que je ne suis pas toi !. »
J’entends déjà sourire à mes propos.
Angélisme ! Littérature ! Allez vous-même vivre dans une banlieue déshéritée, dans un immeuble crasseux et sonore où des jeunes encapuchonnés dans le hall injurient les adultes ou s’en prennent aux filles !
Certes ! Il n’en demeure pas moins que l’on ne saurait recevoir plus de respect que l’on n’en témoigne à l’autre et qu’il n’est pas conforme à l’esprit de la République qu’il faille à certains des efforts héroïques pour parvenir au même statut social que d’autres à qui le parcours est aisé.
Or, construire trente mille places de prison en plus coûte en effet moins cher que trente mille logements et un gardien de prison est moins payé qu’un éducateur spécialisé.
Notre société entretient ses foyers de délinquance comme un hôpital mal tenu ses maladies nosocomiales.
B – LA PHILOSOPHIE DU DÉSESPOIR
Je parlais tout à l’heure de la rétention de sûreté. Nous savons que la récidive en matière d’atteinte sexuelle n’excède pas 1,5 % : ce sont les statistiques de la Chancellerie.
Certes, que sur deux cents délinquants sexuels, il n’y en ait que trois qui recommencent après être sortis de prison, est une abomination pour leurs trois victimes. Faut-il pour autant enfermer à vie avec eux les cent quatre-vingt dix-sept autres pour être sûr qu’aucun ne recommence ?
Mais quelle société peut rêver d’éradiquer le crime ? Quelle société peut prétendre assurer une sécurité absolue ? Faut-il emprisonner à vie l’alcoolique qui risque demain de prendre le volant et de tuer des innocents ?
Nous sommes solidaires dans le bien et le mal. C’est ce que nous appelons la communion des saints et je ne puis, à cet instant, ne pas rappeler les propos de Georges Bernanos à propos du criminel Eugène Weidmann qui avait tué six personnes parmi lesquelles la célèbre danseuse américaine Joan de Koven.
Le 8 décembre 1937 s’ouvre son procès devant la cour d’assises de Versailles.
Le 11 décembre, Paris soir publie un long article sur ce qu’il appelle « l’extraordinaire carrière vouée au mal du tueur Eugène Weidmann ». Le public est bouleversé par le cas mystérieux de ce jeune Allemand, issu d’un milieu bourgeois honnête, qui depuis son enfance manifestait des tendances criminelles.
Son sort ne fait pas de doute.
Condamné à mort, il sera le dernier guillotiné en place publique.
Mais alors que le verdict n’est pas rendu, Georges Bernanos écrit à la mi-décembre 1937 à l’avocat de Weidmann, notre confrère Renée Jardin Birnie, la lettre suivante :
« Madame,
… Je n’ai aucune prévention romantique en faveur des assassins. Mais il me semble que, passé un certain degré dans l’horreur, le crime se rapproche de l’extrême misère, aussi incompréhensible, aussi mystérieux qu’elle. L’une et l’autre mettent une créature humaine hors et comme au-delà de la vie.
J’ignore tout du misérable que vous assistez. Mais il est impossible de regarder sans une espèce de terreur religieuse les admirables photographies de « Paris soir », particulièrement celle du mardi 14, qui est, entre deux braves têtes de gendarmes quelconques, l’image même de la solitude, d’un surnaturel abandon. Je dînais ce soir-là dans un monastère proche de Toulon, et je répétais aux religieux qui me tenaient compagnie et qui ignoraient cet effrayant fait divers, la parole que les journalistes mettent – faussement d’ailleurs peut-être – dans la bouche d’Eugène Weidmann (« C’est parce que vous me parlez avec douceur… »).
Je ne vous rapporterai pas notre conversation, qui s’est prolongée bien tard dans la nuit. Qu’un enfant ait pu venir au monde avec ce signe invisible déjà écrit sur son front, cela doit fournir le prétexte à beaucoup d’ingénieuses hypothèses de la part des psychologues ou des moralistes. Je ne suis pas psychologue et encore moins moraliste, étant chrétien. Une telle pensée n’éveille en moi que le sentiment déchirant, déchirant jusqu’à l’angoisse, et au-delà de l’angoisse, déchirant d’une espérance à peine concevable : – la solidarité de tous les hommes dans le Christ.
C’est à vous, Madame, que je remets le soin d’exprimer ou de taire à Eugène Weidmann ma pensée et celle de mes amis moines. Pour moi, je ne lui apporte pas grand-chose. Je voudrais qu’il fût capable de comprendre que des religieux dans leur solitude, font mieux que de le plaindre, prennent fraternellement désormais une part de son épouvantable fardeau. »
Il n’existe pas de faute qui ne soit ma faute et il n’est qu’un jugement, celui de la compassion et du pardon dont seul Dieu est capable.
Pour nous, juristes, que les penseurs, les écrivains, les philosophes et les mystiques inspirent, le pragmatisme est un devoir : quand ferons-nous de nos prisons autre chose que des pourrissoirs ?
La privation de liberté constitue un châtiment d’une dureté que l’on imagine mal : si la peine est longue, tout s’estompe, famille, épouse, amis, utilité sociale, estime de soi. Si pendant les quinze années de la réclusion criminelle, on ne se préoccupe pas de ce semblable, comment peut-il naître ou renaître à l’humanité ?
C’est à cette réflexion que je vous invite.
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Mesdames, Messieurs,
Cet exposé, trop long et superficiel, m’a donné l’occasion de vous livrer quelques unes de mes pensées. Aucun de nous ne peut seul changer le cours des choses. Mais nous pouvons, ensemble, faire entendre une voix dissonante dans ce monde trop matérialiste, préoccupé d’argent et de sécurité où chacun est tenté de vivre pour soi.
Nous ne vaincrons ni le mal ni l’injustice mais nous devons tout faire pour tenter d’obtenir qu’ils reculent.
J’ai parlé de Bernanos, je cite, en conclusion, sa prière à Dieu :
« Pardonnez-nous nos fatigues ! Lavez-nous de cette ordure ! Nous ne voulons pas rouler morts de fatigue devant votre face ».
Et j’ajouterai que nous devons, partout, porter le flambeau de l’espérance.
Christian Charrière-Bournazel
Le 5 octobre 2011