Une atmosphère de guerre civile larvée, consubstantielle à notre cher et vieux pays, ressurgit à l’occasion de l’arbitrage entre M. Bernard Tapie et le CDR, la société de défaisance du Crédit Lyonnais.
J’en parle d’autant plus sereinement que, ni de près ni de loin, je n’ai été concerné par cette affaire.
En revanche, le barreau tout entier ne peut rester indifférent à cette chasse aux sorcières à laquelle se prêtent des juges d’instruction, persuadés que les arbitres ne peuvent être que des imposteurs et les avocats des corrompus.
Vincent Nioré, notre éminent confrère, l’a parfaitement stigmatisé : « Pour certains magistrats, l’honoraire est la rémunération du crime », a-t-il déclaré dans une interview du 3 au 5 février dernier accordée à La Gazette du Palais.
Ni Jean-Denis Bredin, ni Pierre Mazeaud, pour ne parler que d’eux, éminents juristes et praticiens irréprochables, n’ont été épargnés : des perquisitions ont eu lieu jusque dans leur domicile privé. Les avocats eux-mêmes ont vu saisir leurs notes confidentielles et tout ce qui est couvert par le secret professionnel le plus absolu. Les règles d’ordre public, destinées à le protéger, ont été foulées au pied dans cette fièvre à confondre arbitres et avocats nécessairement de mèche puisqu’ils ont accordé des sommes considérables à l’une des parties à l’arbitrage.
Deux ordonnances du président Magendie, rendues en juillet et octobre 2000, à l’époque où il faisait fonction de juge des libertés et de la détention par application de la loi du 15 juin précédent, ont rappelé le caractère absolu du secret et les conditions strictes auxquelles il pouvait y être porté atteinte par la justice : ne peuvent être saisies que les lettres ou notes couvertes par le secret qui contiennent intrinsèquement des indices donnant à penser que l’avocat a pu participer à une infraction. Ces principes ont été confirmés par la Cour d’appel et la Cour de cassation. Des juges aujourd’hui n’en ont cure.
Quant aux arbitres, ils exercent leurs fonctions dans les conditions des articles 1464, alinéa 4, et 1479 du code de procédure civile. La procédure arbitrale est soumise au principe de confidentialité et les délibérations du tribunal arbitral sont secrètes. Telle est la loi. Elle ne semble pas intéresser des magistrats prêts à tout saisir simplement par aversion d’une justice qui n’est pas sous leur contrôle.
Imagine-t-on que demain, dès qu’une décision de justice aura été rendue par des juges professionnels accordant des dommages et intérêts qui paraissent excessifs, plainte soit immédiatement déposée par l’avocat d’une partie devant la juridiction répressive ?
Imagine-t-on qu’avec le même zèle, les mêmes juges d’instruction se rendent dans les bureaux et les domiciles de leurs collègues, à l’heure du petit-déjeuner ?
Tout plaideur est-il fondé à soupçonner le juge qui lui a donné tort d’avoir été corrompu et acheté ?
Un abîme est en train de se creuser à nouveau entre les juges professionnels et les praticiens libéraux. Seuls les premiers seraient légitimes, les seconds suspects de tout. Par définition, le libéral serait malsain tandis que le fonctionnaire serait pur. Le secret serait le masque de la fraude. Ce n’est pas seulement un outrage, c’est le signe d’un dogmatisme insupportable.
Quant à l’arbitrage, que l’on continue sur cette ligne et Londres aura à nouveau de bonnes raisons de se réjouir ! Tout est fait pour que la grande délocalisation de l’arbitrage s’effectue.
Fouquier-Tinville avait dit à Lavoisier : « La République n’a pas besoin de savants ». Il semble qu’elle n’ait pas non plus besoin d’arbitres.
Nous voilà revenus au bon vieux temps qui, loin de faire notre gloire, a scellé notre déshonneur et notre ridicule.
Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel
Président du Conseil national des barreaux